[U-104] Choisir d’aimer c’est accepter d’être inquiet

Jeudi 28 septembre 2017 - Après-midi

J’ai mal partout. Mon corps m’interdit de le bouger. L’infirmière aussi. J’ai craqué, p*tain j’aurais jamais pensé que ça pouvait m’arriver. Pourtant j’ai tenu, tenu tout ce mois malgré les douleurs. Tout ça pour m’écrouler comme un moins que rien, devant Seito en plus. Je l’ai inquiété et j’inquiète tous mes autres proches... Je n’aime pas mentir alors quand je reçois un message de Tatsu qui prend des nouvelles sans rien savoir, je lui dis la vérité... J’aurais p’têt pas dû...

Ce matin j’ai envoyé un autre message aussi. Celui-là je le regrette comme mes forces ne me le permettent plus. Mais il valait mieux que je lui dise moi-même le plus tôt possible. Je sais que Riku va me tomber dessus, et le pire c’est qu’aucun moyen d’y échapper n’existe. Cloué au lit je fais une proie facile. Elle va m’bouffer... P’têt que si j’avais rien dit elle l’aurait pas su...


Inutile de lui de ne pas s’énerver, ça l’énerverait encore plus... Plus qu’à attendre ma sentence, faites que ma couverture me protège. Il m’aurait fallu un chat comme protection. Je somnole, trop fatigué...

Oh nan j’en étais sûr. La porte s’ouvre à peine et j’sais déjà dans quelle humeur est Riku. Je ferme les yeux et rapproche mes jambes douloureuses de mon torse. Parce qu’elle ne pouvait pas réagir comme tout le monde et juste s’inquiéter. Faut que ce soir ma fête. Eh ben moi non plus j’suis pas d’humeur alors on est deux, ça va être génial je sens...

« Ouais ben relis-le, j’ai pas b’soin que tu m’engueules... Et si tu pues va t’laver, j’ai déjà assez l'tournis comme ça... »

Carpe diem. Moi signer mon arrêt de mort ? Non, pas du tout. Mais ça me saoule. Quand elle se surmenait elle, j’étais là pour la rassurer. C’est dingue, j’suis pas du tout surpris de sa réaction parce que je la connais, mais ça m’empêche pas de me renfrogner et lui tourner le dos sur mon lit. Avec une grimace mais j’y arrive quand même.

Je sais ! Je sais bien... Rien à répondre, je soupire bruyamment et fixe le mur. A sa question je garde aussi le silence, Riku a deviné de toute manière. Quand elle reprend mes mots prononcés dans la salle de kendo, je serre les dents.

C’est toujours plus facile de conseiller les autres, agir pour leur bien, moins de suivre ses propres conseils. J’ai dis ça pour elle mais moi... J’étais persuadé que ça irait, que mon corps tiendrait le coup tant que j’avais de la volonté. J’ai été bien c*n.

« J’me reposais ! Et puis est-ce que tu l'écoutes mon conseil toi au moins déjà ? »

Du repos oui, mais pas assez, clairement pas. J’suis juste en colère contre moi-même. Croire que les autres se trompent quand ils vous disent de pas en faire trop pour ensuite leur prouver qu’ils avaient raison, c’est vraiment la honte ! C'est pire quand elle me balance ça.

« Et puis j’vais bien, j’étais un peu fatigué c’est tout, ça arrive à tout l’monde... »

C’est ça, même moi j’y crois pas à mon bobard. T’as juste carrément déliré et dû aller à l’infirmerie mais sinon tout va bien ! Tu t’es juste cru meilleur que tu ne l’es réellement, tout va bien ! L’ambiance est en train de refroidir et je déteste ça.

Ça me rassure qu’elle m’affirme le suivre, au moins elle ne se fait pas du mal. Mais j’ai même pas le temps d’être soulagé... Ah ouais... Donc frapper un homme à terre ça se fait toujours... P*tain. Plus déterminée et résistante que moi, plus déterminée... Ouais j’suis p’têt juste une merde en fait... C’était ça le problème. Merci Riku, j’y avais pas pensé. Elle se rend pas compte d’à quel point ça fait mal ce qu’elle dit, j’ai juste envie qu’elle ferme sa bouche ! Il n’y a pas que moi qu’est con !

Ben voilà, j’ai mon diagnostic, je fais quoi maintenant ? J’arrête tout ? C’est mieux hein, qu’est-ce qu’un imbécile moins que rien comme moi peut espérer réussir. Si ma propre amie me descend comme ça, c’est même pas la peine d’imaginer la suite. Ca me dégoûte. Je l’entends même pas partir. Juste ce besoin de serrer mon oreiller entre mes doigts. Ma vue se brouille, j’arrive plus à me retenir de tout lâcher, j’en ai le hoquet. Je ne sais pas combien de temps je pleure mais ça m’épuise et je finis par m’endormir.

Je rouvre les yeux sans savoir combien de temps est passé. Toujours seul dans la chambre. Tant mieux, pas envie qu’Orion me voit comme ça. Mais ça veut dire que Riku... Ma tête est encore dans le brouillard, si seulement je pouvais me rendormir sur commande mais j’ai beau refermer les yeux, pas moyen. J’entends encore ses mots.

Puis la porte s’ouvre doucement. Orion ? Non. Ça sent les nouilles, j’ai un haut le cœur. Comme si ça allait suffire, je lui en veux. C’est déjà assez dur comme ça pour moi. Riku s’assoit sur mon lit, je fronce les sourcils en évitant soigneusement de la regarder. Sa main me fait sursauter, pourquoi elle me touche ?! J’ai juste envie qu’elle me laisse tranquille. Son inquiétude lui donne pas le droit de dire des trucs comme ça ! Je renifle et cache mes yeux rouges comme je peux.

« Pas faim. »

Petite voix mais froide. J’entends ses excuses mais je ne sais pas si j’ai envie de les accepter aussi facilement. Inquiète, ouais je sais, et après ?!

« Tu devrais être celle qui m’comprends le mieux, faut croire que non... »

Qu’on soit tous les deux en train de pleurer n’est pas du tout comment j’imaginais les choses. J’ai beau toujours lui en vouloir pour ses mots, entendre sa voix trembler me fait un pincement car j’imagine déjà ses joues mouillées.

Riku reprend la parole et je veux la croire, vraiment, mais c’est difficile. Moi, super doué ? J’en doute maintenant que je suis dans cet état. Tout se bouscule dans ma tête, mes certitudes, mes objectifs, je remets tout en question. C’est faux, ses excuses comptent beaucoup mais j’ai besoin de temps pour avaler le tout. Je sais, je sais que les mots ce n’est pas notre truc. Il y a juste des moments où c’est plus difficile d’encaisser la maladresse.

Ses paroles défont malgré tout un nœud dans ma poitrine, je comprends son inquiétude comme moi j’ai pu m’inquiéter pour elle. Ce jour-là au dojo, j’ai dû prendre sur moi pour ne pas avoir une réaction semblable à la sienne. Riku de son côté, a surtout été submergée par le tout. Ma colère s’est calmée aussi vite qu’elle est apparue. Ça me fait tellement de bien de l’entendre dire qu’elle me soutiendra toujours, parce que j’en ai vraiment besoin. Besoin de savoir que mes proches croient en moi.

En revanche c’est faux, je ne pense pas être plus mature, performant et ambitieux comme elle l’affirme. Elle aussi est très douée, épatante même et c’est totalement objectif ! Je sais que Riku a raison, qu’ils ont tous raison. Un soupire m’échappe face à cette réalité. A ce rythme, c’est peine perdue, il faut que je m’y fasse.

Si je persiste... ? Ok ? Comment ça ok ? Oh... Je déteste la voir dans cet état et c’est de ma faute. Mes yeux recommencent à me piquer mais je les essuie avant qu’ils ne coulent. Ses derniers me touchent beaucoup et je me rends compte que j’ai de la chance de l’avoir près de moi.

« Comme si je pouvais... »

C’est un murmure un peu étouffé mais suffisant pour que Riku entende. Je ne sais pas quoi lui dire, je ressens trop de choses à la fois. Avec difficulté, je me redresse sur mes bras pour lui faire face et en tend un vers Riku pour qu’elle se rapproche. A peine sur le lit je la serre dans mes bras, la tête sur son épaule. Ma main caresse lentement son dos.

« Je suis désolé de t’avoir inquiété... C’est pas si simple au final, de savoir s’arrêter... J’essaierai de plus écouter mon corps, j’te le promet. »

J’embrasse son épaule et reste encore quelques instants contre elle.

« Mais tu te trompes, si moi je suis mature, tu es une sage. Et tu es aussi performante et ambitieuse toi aussi. Ne doute pas de toi. »

Je me décolle de Riku, caresse sa joue du pouce et lui sourit.

« T’es une fille géniale et j’ai de la chance que tu sois là pour moi. »

Le temps vient de s’arrêter, je crois. Il n’y a que ses magnifiques yeux bleus dans lesquels je me perds qui comptent. Je n’arrive plus vraiment à réfléchir, j’ai juste envie... De l’embrasser. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, j’hésite. Comme s’il y avait de quoi. Je pose mon front contre le sien et ferme les yeux. Mes lèvres finissent par rencontrer les siennes et je réalise que c’est mon premier baiser. Je l’imaginais dans d’autres circonstances mais peu importe. C’est timide mais doux, je sens la chaleur envahir pas seulement mes joues mais tout mon corps, comme si je flottais. Je n’ai pas envie d’arrêter, j’ai peut-être un peu peur aussi.  

Je voudrais que ce moment ne s’arrête jamais. J’ai toujours trouvé ce genre de paroles un peu niaises, mais je crois que je comprends ce sentiment maintenant. Ça fait du bien de ne plus avoir rien d’autre qui compte pendant un instant. Alors quand Riku s’éloigne je n’ai que l’envie de la reprendre contre moi. Mais je veux bien attendre un peu si c’est pour la voir sourire.

Elle m’embrasse de nouveau mais c’est différent. Toujours aussi doux mais plus... Plus tout. Je suis un peu maladroit je crois mais ça n’empêche pas mon cœur de tambouriner dans ma poitrine. Riku est bien plus assurée que moi c’est sûr, je suis presque étonné qu’elle ne m’est pas juste poussé sur le lit. Enfin ce serait oublié qu’elle est en réalité plutôt pudique. Sa chaleur contre moi est réconfortante, c’est tout ce dont j’ai besoin pour aller mieux, j’en oublierai presque mes courbatures. Ses doigts dans mes cheveux me détendent et j’en fais de même avec les siens.

Tu ? J’attends la suite. Est-ce qu’elle va me le dire ? J’aimerais l’entendre autant que ça m’effraie. On est vraiment ensemble, après tout ce temps à se voiler la face. Fatiguée. Je ris doucement. J’ai très bien compris, et je l’aime comme ça.

« Moi aussi, très très fatigué ! »

Je croise son regard et embrasse sa joue tout en la serrant contre moi. Il se pourrait que je me sois rendormi aussi.