L’ami est celui avec qui on peut rester silencieux

Le 13 septembre - midi

Je suis complétement à côté de mes pompes depuis lundi soir et la lettre de Neil. Depuis que j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps dans les bras de Keitô, j'ai l'impression d'être un robot. Comme si j'avais besoin de ça dans ma vie, en plus des autres choses qui se sont présenté à moi récemment. Cela dit, je m'autorise cet état de presque catatonie encore quelques jours, jusqu'à mon rendez-vous avec Milan, avant de me ressaisir. Je sais que je devrais me secouer rapidement pour ne pas rester dans cette situation. Il y a des personnes qui comptent sur moi, je ne dois pas les décevoir.

Evidémment, comme je suis déprimée, je n'éprouve plus le besoin de manger, même si je sais que ça aiderait à vaincre ma constante nausée et mon mal de tête latent. Alors, à chaque fois que Keitô me demande si j'ai mangé, je trouve une parade. Le "j'ai déjà mangé" marche très bien le matin. Ça l'est moins le midi et le soir. D'ailleurs ce midi, il ne me laisse pas le choix et m'emmène au réfectoire. Je le suis sans discuter, même quand il ajoute des trucs sur mon plateau. Par contre, je lève un sourcil perplexe quand je l'entends demander de voir le cantinier après. Et j'ai une légère moue quand il dit de me mettre une portion normale. Ma moue est vite remplacée par un sourire poli forcé pour le cantinier.

Je suis ensuite Keitô jusqu'à une table libre. Ce qui est bien, c'est qu'on est souvent isolé, vu que personne ne veut l'approcher, sauf les groupies trop déterminées.

Dis donc, depuis quand tu donnes des rendez-vous au cantinier ? dis-je sur un ton taquin, quoique bien diminué par rapport à d'habitude quand je l'embête.

C'est vrai qu'il y a cette histoire de dîner de remerciement, j'avais oublié. Je pensais que depuis le temps, ça avait eu lieu. Même si je suis sûre qu'il m'en aurait parler, ça m'était sorti de l'esprit.

"Je comprends, il n'y a rien de pire que les rumeurs." dis-je en unique commentaire. Je commence à avoir l'habitude de voir des allusions apparaitre dans le journal à mon sujet. C'est une des seules raisons qui me pousse à le lire. C'est même devenu systématique de les lire. Des fois qu'il y ait des rumeurs bizarres sur Milan et moi. Cette pensée me fait soupirer et je finis par commencer à manger mon riz en le picorant. Peut-être que si je traine trop, il partira en cours et je pourrais balancer mon plateau à la poubelle.

"Hmmm il parait qu'ils annoncent jusqu'à 31°C cette après-midi. Quand est-ce que les chaleurs prennent fin dans ce pays ? Tu sais que la température moyenne en écosse était de 18°C le mois dernier ? Je crois que j'ai envie d'y retourner, juste pour échapper à cette affreuse chaleur."

Je regarde autour de nous et ajoute:

"Sinon, Hakuren a l'air de se débrouiller tout seul, je suis rassurée."

Bien évidemment, j'élude complétement le but de sa question et de façon peu discrète. De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais quoique ce soit d'intéressant à raconter.

"Et toi ? Je suis sûre que ta vie est plus palpitante que la mienne en ce moment, monsieur le président du club de basket."

Aux rentrées, il faut toujours gérer les nouveaux arrivants d'autres écoles, donc c'est une période un peu chargée. Je pense qu'il n'est pas épargné.

Sa question me fait sourire légèrement.

"Oui, tout à fait."

C'est vrai qu'il y a pas mal d'arrivée. J'ai toujours du mal avec le fait que les gens arrivent comme ça en plein milieu de l'année scolaire. Il y a tellement de choses à rattraper. Puis, les examens d'entrée ne doivent pas être facile.

Ce qu'il dit ensuite me surprends. Qui peut généré cette réaction chez lui ? Il n'y pas beaucoup de gens qui énerve Keitô au point de le montrer.

"Ah bon ? Qui ça ? Qui peut bien tester ton sang froid à ce point ?"

La sentence tombe. Rikuo qui aurait mieux fait de rester dans le trou où il était parti se terrer. Ça m'avait tellement énervé quand Keitô m'avait annoncé le retour de ce type. Je laisse tomber mes baguettes sur le plateau.

"Pardon ? Qu'est-ce qu'il fait au club de basket ? Il était pas président du club de Kyudo avant ? Il ne peut pas reprendre. La place est libre maintenant."

Malgré l'énervement, mon coeur se serre à la fin de ma phrase. La place est libre parce que Neil est parti...

"C'est une autre façon de te stalker ? Ou se rapprocher de toi ou quoi ?"

Je reprends mes baguettes en main tandis que Keitô m'explique pour le basket. J'ai envie de ricaner quand il dit qu'il suppose que Rikuo veut mettre de la distance. Moi je pense surtout qu'il ne sait pas comment revenir, alors il se fait tout petit. Je n'y crois pas une seconde que son choix de club soit aussi innocent. J'aurais été à sa place, j'aurais été m'inscrire dans un club en ville. Pas celui de mon ancien love interest.

"C'est vrai, il faut être le plus mature des deux." dis-je en soupirant. Je reporte mon regard sur mon assiette pour continuer à déguster mon riz.

"Si tu veux évacuer ta mauvaise humeur, ma porte sera toujours ouverte."

Surtout pour trashtalk ce stalker !

"D'ailleurs, en parlant de club de basket, Milan est revenu ?"

Je m'inquiète un peu pour lui, même si il a essayé de minimiser les choses, ce n'est pas normal d'être incapable de bouger au point de raté la rentrée des vacances d'été.

J'abandonne le riz pour le bol de soupe miso alors que Keitô me réponds. Je grimace un peu à ses propos. Pauvre Milan.

"C'est vrai, j'espère qu'il n'en fera pas trop pour compenser son long séjour dans son lit."

Être coincé au lit, il n'y a rien de plus horrible et ennuyant.

"Dis le moi si tu le vois trop forcé, je lui ferais un sermon vendredi !"

C'est vrai que je n'ai pas encore annoncé à Keitô ma soirée prévue avec Milan vendredi soir.

"On doit sortir fêter son retour à Kobe. Ça m'était sorti de la tête."

Ce n'est pas forcément vrai, c'était sorti de ma tête de lui dire !

Voilà que Keitô se transforme en papa poule avec quelqu'un d'autre que moi. Ça fait plaisir à voir, lui qui était si solitaire avant. Être capitaine et président du club de basket, c'est vraiment bénéfique, je ne regrette pas l'avoir poussé dans cette voie. Après la musique, on dirait que ça lui convient comme orientation. Comme un flash, j'ai une vision de lui en joueur de basket à la NBA et ça me fait sourire avant de grimacer légèrement à la suite.

"Ah bon ? Parce que c'est une sortie au bar, alors j'ai bien peur que c'était ce qui était prévu à la base."

Je veillerais à ce qu'il n'abuse pas dans ce cas, je ne voudrais pas que notre petite sortie finisse à l'hôpital.

"Je ferais attention à lui, ne t'inquiète pas. Ça ne sera qu'un ou deux verres."

Ou pas. Pour moi en tout cas, je ne compte pas m'arrêter à deux verres. Par contre pour Milan...

Je suis surprise de la question de Keitô. Même si je sais très bien qu'il s'inquiète pour moi, je ne pensais pas que ça serait à ce point. Je m'en voudrais presque de le faire s'angoisser de la sorte. Il faut que je me ressaisisse plus vite. Enterré tout ça n'est pas simple cela dit et je ne pense pas y arriver aussi vite que d'habitude.

"Tu sais très bien que je sais bien m'occuper de moi-même. Ne t'inquiète pas." dis-je simplement d'un ton doux. D'habitude, je n'aime pas trop qu'on me couve mais là, ça me touche qu'il le fasse. "Hmmm vers 20h ? Quelque chose comme ça ? Est-ce que je dois rentrer avant le couvre-feu papa ?"

Bon cette fois-ci, c'est clairement pour le taquiner. Il me fait trop penser à Will ou mon père quand il pose des questions comme ça. Sur cette question taquine, je bois ma soupe d'une traite. Il ne pourra pas dire que je n'ai pas manger comme ça.

Je manque de me noyer avec ma soupe au ton qu'il emploi. Heureusement que j'avais fini ! Je repose le bol sur le plateau devant moi et le regarde sans comprendre. Comment ça il sera là le lendemain ? Ça ne va pas le faire, j'avais prévu de me prendre une cuite. Je ne pense pas que je serais très fraiche, même si je vais tout faire pour éviter la gueule de bois.

"Une tradition ?"

Je le répète bêtement sans comprendre avant que ça ne fasse tilt dans mon cerveau. Ah. La soirée film ou série avec une glace et en mangeant des cochonneries. Je me rappelle maintenant, c'est vrai qu'il pense que c'est une tradition Yorke ou je sais pas quoi.

"Ah. Avec plaisir mais il faut que je vois si mes parents seront là ou pas. Et si ils sont là, si ils voudront bien nous prêter le salon."

Pas que ça me dérange de regarder dans ma chambre, le truc, c'est que ma mère ne veut pas qu'on mange dans les chambre. Et surtout, je n'ai pas de télé, donc il faudrait regarder sur mon pc... ce qui n'est pas l'idéal quand on est à deux.

"Ou alors, je peux venir chez toi ? Tu préfères quoi ?"

Ma question semble le plonger dans une intense réflexion alors pendant ce temps, je commence à manger la viande dans mon assiette. Des protéines ça me fera du bien. Et on ne pourra pas dire que je n'ai pas manger de tout !

Il finit par me répondre et effectivement, présenter comme ça... ça ne donne pas du tout envie.

"Non, c'est bon, je vais me passer de tout ça, je demanderais à mes parents. Au pire, si ils sont là, on ira dans ma chambre."

Je soupire un peu et reprends ma dégustation. Je ne sais pas trop quoi ajouter pour une fois, je veux juste qu'il finisse vite de manger pour partir d'ici rapidement. Il y a trop de monde à mon goût et j'ai envie de rester seule. Heureusement avec Keitô, il n'y pas vraiment de parler et l'absence de conversation ne rend pas l'ambiance à table malaisante. C'est quelque chose que j'apprécie particulièrement avec lui, on peut être tranquille sans forcément parler. De toute façon, d'habitude, c'est moi qui fait la conversation pour deux alors bon !

En fait, je crois que je vais avoir largement le temps de finir mon assiette à ce rythme, vu que je ne parle plus, je dois faire quelque chose pour m'occuper. Et je déteste perdre mon temps inutilement sur le même morceau de nourriture.

La phrase de Keitô me fait relever les yeux de mon assiette de viande à présent vide. Voilà qui m'intrigue !

"Ah ? Tu as retrouvé des souvenirs ?"

Je doute parfois de l'efficacité de son hypnotiseur là. Cela a mit énormément de temps quand même ! Déjà plus d'un an depuis son accident. Je suis sûre que son inconscient empêchait tout ça de revenir. J'avoue que ça me plairait assez d'oublier certaines choses. La solution de facilité mais je suis sûre que ça serait efficace pour retrouver le moral.

J'écoute attentivement sa réponse. Enfin une bonne nouvelle. Ça m'a toujours un peu effrayé, le fait de pouvoir oublier des choses aussi importantes de la vie comme ça. Surtout toutes les conséquences que ça pouvait avoir. On s'était rapproché à cause de ses questions sur Heisuke à l'époque et je suis heureuse qu'on ne se soit pas éloigné à cause de la perte de ses souvenirs.

"Je me demande comment ça se fait d'avoir oublier des choses aussi spécifiques" dis-je en toute honnêteté.

Surtout que son changement de caractère, ou plutôt ouverture d'esprit, venait du fait qu'il était en couple avec Heisuke.

"C'est bien si ça ne provoque plus de migraine, surtout que c'était des passages importants de ta vie. J'espère juste que les souvenirs qui reviendront, ne seront pas trop douloureux."

Après tout, leur relation était loin d'être rose avec ce Senji de malheur et tout ce qu'il avait provoqué !!

Tu m'étonnes que c'est particulier ! Ça doit être trop bizarre comme sensation. Dans les livres, c'est bien ficelé pour que ça paraisse naturel mais dans la vrai vie ? Je ne préfère pas imaginer. C'est toujours désagréable de se souvenir des choses douloureuses.

"Oui, ça doit être bizarre... Je suppose que ce n'est qu'un mauvais moment à passer." dis-je en soupirant.

Comme la phase actuelle de ma vie. Je n'ai même pas réussi à accomplir mon objectif de manger que la moitié des choses sur mon plateau. Il reste encore quelques petites portions.

"En tout cas, si jamais tu as besoin d'en parler, tu sais où me trouver."

C'est un peu répété ce que je disais plus tôt sur le fait d'évacuer sa mauvaise humeur mais je préfère me répéter. Je regarde ma montre et demande d'un air innocent :

"Ce n'est pas bientôt l'heure de ton prochain cours ?"

Pourquoi il vérifie ? Il ne me croit pas ? Pfff. Je finis mon verre d'eau pendant qu'il confirme que c'est l'heure.

"Je te suis."

Je me lève pour le suivre et me débarrasser de mon plateau. J'ai deux heures à combler, alors je prends mon temps pour sortir après l'avoir saluer. Il faut quelque chose pour occuper mon esprit. Direction la bibliothèque pour emprunter un livre. Ça me permettra de penser à autre chose et occuper mon temps efficacement. J'ai bien retenu la leçon de ne pas trop travailler !