My head's under water

C'est donc bien Yuuta-san dont elle parle. Ce qui m'embête, c'est que de mémoire, il m'avait dit de ne pas ébruiter cette histoire de groupe... alors que Maya parle de ça sans sourciller. Peut-être qu'il ne lui a pas dit la même, ou peut-être est-ce ma mémoire me faisant défaut.

« Oui ! Il m'a proposée ! »

Là, c'est la débandade dans ma tête. Maya vient de me sortir de but en blanc qu'Oswald-san voulait sortir avec moi. Je ne vois pas d'où elle s'est fait une opinion pareille, mais ça me fait froncer les sourcils. Il n'a aucun moment émis cette abomination.

« Pourquoi tu dis ça... ? Il y a rien entre lui et moi »

Je soupire. Il y a protectrice et protectrice façon Maya. J'ai l'impression que si je tombe à cause d'un pavé, elle l'insulterait de tous les noms pour le punir d'avoir osé me faire mal, et l'écraserait de ses semelles compensées. C'est parfois étouffant.

« J'ai jamais dit que tu me faisais du mal. Mais si tu es trop protectrice... voilà quoi, c'est un peu blessant : Je sais me défendre toute seule »

On s'installe dans les sièges tout au fond.

Alors... comment dire.... je n'ai pas spécialement envie de tomber dans le même groupe de jeu de rôle. Déjà, parce que Maya est invivable avec les garçons et risque de les pourrir. Et aussi parce qu'on passe déjà beaucoup de temps ensemble, et ça risque d'être étouffant à force.

« Si on est beaucoup, il y a des chances qu'on ne soit pas dans la même partie »

J'y crois à peine. La blonde demandera sûrement à Yuuta-san pour qu'on tombe ensemble. Et je me vois mal lui demander le contraire. Enfin bref, elle me parle du Kabedon, et je sais très bien dans quelle occasion on fait normalement un tel acte.

« Je te l'ai dit, il a demandé à sortir au jeu de rôle, pas à moi »

Ça me fait rire de penser à Oswald-san avouer son amour au jeu de rôle, et sortir avec une entité intangible. Il est bien assez taré pour le faire, celui-là. Je ne sais pas pourquoi, je l'imagine vers une valse avec l'air autour de lui.

La blonde dit vouloir bien faire ; après tout, je le sais. Il n'y a aucune mauvaise raison derrière son comportement protecteur. Elle suit son cœur et ce qu'il lui dicte. Même si c'est étouffant ou déplacé. Elle admet aussi que je sais me défendre.

« Je sais bien que tu veux bien faire. Je ferai de mon mieux pour que tu ne t'inquiète plus »

Je lui souris d'une sourir le plus rassurant.

Oui, on peut bien dire, c'était une déclaration bizarre. Il s'était enflammé à l'évocation du jeu de rôle, aux licences que j'appréciais, et quelques minutes plus tôt, pour les jeux vidéos. Avec le recul, c'est probablement juste un geek en mal de connaissances.

« J'aurais sûrement fait une crise de panique »

Après tout, j'étais déjà à deux doigts d'en faire une alors que ce n'était pas vraiment dirigé vers moi. C'était tellement intense comme moment. Je peux comprendre les filles s’amourachant des garçons faisant preuve d'une telle témérité.  

« C'est compréhensible, je m'inquiète aussi pour mes amies »

Contrairement à Maya, je ne les étouffe pas.

Ça doit être une peu compliqué d'imaginer une crise de panique lorsqu'on en fait pas soi-même ; l'impression de suffoquer, la douleur à la poitrine, la tête en vrille, les nausées et j'en passe.  Elle me tapote la tête, et je lui souris.

Sa phrase suivante me laisse perplexe : rencontrer son âme sœur avec un kabedon ? Déjà que je ne crois pas aux âmes sœurs, ou du moins, je suis plutôt sceptique sur le sujet. Je voulais montrer à Maya comment il m'a kabedon, mais je vais m'abstenir.

« Ce serait vraiment bizarre comme première rencontre amoureuse »

Et notre première rencontre l'a été. Même s'il est plutôt impressionnant, carrément intimidant, je suis persuadée qu'il a un bon fond. Je le trouve même plutôt mignon avec ses cheveux de feu, et sa cicatrice qui fait un peu beaucoup bad boy.

Je chasse mes pensées parasites, et lui répond en hochant la tête :

« Nan, pas autant que toi »

Gérer l'amitié... Je pense qu'il n'y a qu'avec Hina et Tsumugi que je me comporte vraiment comme je le souhaite. Il y a l'entre-deux de ceux avec lesquels j'arrive à ne pas bégayer, et il y a les nouvelles connaissances, où je balise complètement.

« Je ne pense pas avoir de difficulté à gérer mes amitiés »

Y a Maya l'intruse, mais c'est pas le sujet.

Mes parents se sont rencontrés au travail ; beaucoup de personnes doivent être dans ce cas-là, mais combien ont résulté sur un rejeton dû à un adultère ? Je baisse les yeux sur mes mains un peu triste, après tout ma naissance a été un accident.

« T'as plus de chance de trouver quelqu'un dans ton futur travail que dans un ascenseur »

Je laisse échapper un petit rire, un peu forcé, mais sincère. Pour Maya, un ascenseur n'est pas le meilleur endroit propice au rencontre, et je suis bien d'accord. On peut tout de même partagé un moment fort s'il tombe en panne assez longtemps.

« Dans une piscine ? Tu t'agrippes à quelqu'un, et hop vous sympathisez ? »

Je la taquine en lui donne un petit coup de coude. C'est bas de l'embêter là-dessus, mais ce serait magique si ça arrivait ! Elle enchaîne en disant n'y avoir aucune chance qu'un kabedon fonctionne sur elle, si c'est fait par un mec. Sans blague ?

« Je te corrige.... Ce qu'un mec fait, ne marchera pas sur toi »

Je lui souris, fière de moi. Je ne sais pas pourquoi, malgré ma tristesse, je me sens d'une humeur taquine. Peut-être est-ce ma manière de combattre mon bad mood.

Certes, comme elle dit, c'est le plus important... mais je ne suis pas douée pour me faire des amies... mais j'en ai plusieurs de confiance alors c'est tout ce qui compte. Je n'ai pas besoin d'être entouré par une myriade des connaissances.

« Oui, elle m'a prévenue direct par sms ! »

Je ne lui dis pas que Hina l'a trouvé géniale.

Fun d'être professeur pour faire des rencontres... Il y a bien Kawaguchi-san et Yamashiro-san comme possible dans les couples de professeur... mais j'ai plus en tête l'idée interdite de sortir avec ses élèves. Et ça, c'est pas glorieux.

« Tu vas crusher sur tes étudiantes ? »

Je lui lance un faux regard de jugement. Et elle répète mon commentaire sur la piscine. Elle me fait un peu rougir en disant m'avoir agrippée plus tôt. Avec le recul, c'était plutôt déplacée de faire ça là-bas, mais sur le coup, je pensais qu'à sa phobie.

« Vui... »

La blonde parle de Hina, et mon visage s'illumine quelques instants, avant de s'assombrir en parlant de Tsumugi. Elle n'a pas eu la chance de réussir à convaincre ses parents pour venir. Et maintenant, c'est elle qui se retrouve toute seule.

« On ne sait pas. Après, elle est très sociable, donc elle a des amis aussi à Nagoya »

Mais je m'inquiète tout de même pour elle.

Ouf, Maya me rassure en disant ne pas draguer les étudiantes. Ce serait immoral, et probablement très mal vu. Mais comme elle est un peu du genre à tomber amoureuse de sa professeur, l'inverse pourrait peut-être être vrai aussi.

Je m'étrangle avec ma salive avec la suite qu'elle sort. Je ne m'y attendais pas, et ça me prend totalement au dépourvu. Je tousse, tousse, tousse jusqu'à avoir la nausée. Et plus je tousse, plus je deviens rouge, et ma tête commence à me faire mal.

Je sors ma gourde de mon sac, et boit au goulot comme une sauvage. C'est bon, c'est passé. Tous les regards se sont retournés sur moi, et je me tasse un peu plus dans mon siège. Je bois une autre gorgée pour faire passer la pilule, et faire comme si de rien n'était.

« L'enlever ? Kof... Ça pourrait être une bonne idée »

Ça m'a fendue le cœur de savoir Tsumugi seule à Nagoya. J'ai été habituée à vivre sans elles pendant des années, mais ce n'est pas leur cas. Elles ont toujours eu l'une et l'autre pour se soutenir. Ça doit lui faire un sacré vide sans Hina.

« Inséparable oui... Tu as des amies qui t'attendent en Amérique ? »

Est-ce qu'elle avait des amitiés aussi fortes ?

Petits tapotements alors que je tousse comme une perdue. Sa phrase m'a vraiment perturbée. Sauf que je ne suis pas prête pour lui en parler dans ce bus bondé, et encore moins après avoir passé un moment si traumatisant pour Maya.

« Pourquoi pas ? Un plan à trois pour la capturer, avec toi et Hina, on peut faire des folies »

Je nous imagine débarquer, toutes de noires vêtues. Un pistolet de crochetage pour ouvrir la porte, ainsi qu'un gaz sédatif pour endormir les parents, et partir en douce avec Tsumugi sous le bras. Ce serait tellement drôle et un total n'importe quoi.

« Tu ne sais pas encore si tu vas rester vivre ici ? »

Mine de rien, ça me rendrait triste qu'elle parte. Elle est déjà en troisième année du cursus littéraire. Et si elle part à la fin de ses études, ça voudrait dire qu'on a plus qu'un an et demi à se fréquenter... ça laisse un peu de temps quand même.

« Plus d'opportunités pour ? »

On descend du bus, direction la crêpe glacé.

Franchement, j'aimerai bien présenter Tsumugi à Maya, tout comme Hina. Elles me sont tellement chères que j'ai envie de les montrer au monde, et dire haut et fort « ce sont elles » sans rien préciser, mais on comprendrait quand même.

« Si tu veux, je peux te rajouter à notre conversation Line, tu pourras un peu apprendre à la connaître ! »

Les gens qui font ça de leur métier ? Cette image me glace le sang. Peut-être dans des pays un peu moins développés, c'est relativement plus courant. Ou peut-être même chez les Yakuzas ? Brrr. Tout ce qui est criminel me met vraiment mal à l'aise.

« C'est carrément flippant, même pour un sujet de sociologie »

Oui, vivre au Japon, pour une personne comme Maya, ça doit être compliqué. Rien que du fait d'assumer autant son homosexualité, il y a forcément des retombées. Comme son souhait d'adopter, ou même se marier, on va devoir attendre des années avant que ce soit en vigueur.

« Ça me rendrait triste que tu partes, mais si c'est le mieux pour toi... »

Je hausse un peu les épaules en descendant du bus. Ce sera son choix de vie, je ne peux rien n'y faire. On continue jusqu'au magasin de crêpe glacée, on y arrive au bout d'une bonne demi-douzaine de minutes, tout en parlant de tout et de rien.

« Tu veux quoi comme crêpe ? Je vais sûrement prendre celle au chocolat, brownie et banane, nappée nutella »

J'en salive déjà, très très très très fortement.

Maya n'a pas à s'en faire, j'ai déjà invité d'autres gens par le passé avec mes conversations avec les filles, comme Riley. Lui, c'était pour discuter des comics, et batailler sur les adaptations au cinéma. Là, avec la blonde, ça pourrait être une ouverture sur un monde différent.

« T'inquiète donc pas, je te proposerai pas sinon »

Ça fait certes partie de la société, mais c'est pas pour autant que ça ne me retourne pas l'estomac... comme la drogue, les viols, les meurtres. Tout ça me donne la nausée, et me met très mal à l'aise. Mais je suppose que c'est la même pour beaucoup de monde.

« Tu pourrais faire quel autre sujet ? »

Partir la rendrait triste aussi mais je comprends ses raisons. Moi aussi, le Japon m'étouffe un peu. C'est pour ça que je suis bien contente d'être ici à Kobe High School, où les mœurs sont différents de ce qu'on voit habituellement au Japon.

« On gardera contact si tu t'en vas ? »

Ma question est un peu frêle alors que je regarde le présentoir à glaces en vitrine. Faut pas que je déprime à l'idée de la voir partir, alors je vais me consoler avec une bonne crêpe, remplie de diabètes. La blonde choisit une crêpe à la fraise.

« Je paye ! C'est ta récompense pour ton dur labeur à la piscine »

Je commande donc les crêpes, en bégayant.

C'est une vrai défi le thème abordé... ce sera surtout très mal vu ici au Japon, et très mal accueilli. Si elle se projette vraiment sur ce sujet-là, je ferai de mon mieux pour la soutenir... même si je ne sais pas trop comment faire ça. On verra bien.

« T'as du courage pour aborder ça, surtout ici »

Maya me rassure en me disant, qu'évidemment, on gardera contact. Et c'est vrai, elle n'est pas encore partie, mais sa présence me manquerait vraiment si c'était le cas. Ce ne serait pas aussi brutal que mon déménagement, et l'éloignement de mes meilleures amies... mais quand même.

« Vui... Tu pourrais vraiment te plaire ici, et rester »

Je commande donc les glaces et les paye, en bafouillant un petit peu comme à mon habitude. Quelques minutes plus tard, on récupère chacun notre crêpe remplie de chantilly. Je choppe un bout de banane que j'engloutis presque aussitôt. Je coupe un bout de brownie et demande à Maya :

« Tu veux goûter un bout ? »

Cette fois, ça ne me dérange pas de partager.

Faire bouger les choses, hein. C'est compliqué dans un pays si traditionnel comme le notre, où les coutumes et les mœurs sont ancrés profondément. Elle aurait plus de chance dans un pays comme la nouvelle Zélande où ils sont très ouverts sur la communauté LGBT.

« T'as de quoi être fière de toi de mener un tel combat »

Je sais bien qu'au grand jamais, j'aurais ce courage-là. Trop peur des retombées, des conséquences difficiles à vivre. Maya ne manque pas de courage et de détermination. Après tout, elle le crie haut et fort, et recule devant rien du tout.

En échange de mon bronwie, elle me donne une fraise que je fais croquer sous ma dent. Je ne suis pas une grande fan de ce fruit, mais c'est toujours bien de temps en temps. On continue de discuter de tout et de rien, tout en savourant nos glaces à la chantilly.

Mais demain, je ne sais plus trop où on sera.