[Terminé] Réunion de famille

J'ai mal au cœur. Les mots de Gideon sont durs, mais justes. Mais ce n'est pas parce que je peux, que je dois. Je ne sais pas si je suis prête à vivre dans le secret jusqu'à ce que ça éclate, à la vue de tous, et tout perdre pour Maya.

Une voix au fond de moi me susurre de ne pas avoir les épaules assez larges pour supporter un tel train de vie. Déjà, le simple idée de sortir avec une fille me fait pleurer, me révulse... Alors le faire, tout en mentant aux gens, à mes proches, à Momo...

« Tu ferais quoi à ma place ? »

Une question égoïste qui essaye de se rattraper à tout ce qu'elle peut. Je n'aurais pas dû lui demander ça, il n'est pas à ma place, n'a pas à l'imaginer. Je baisse les yeux de honte sur mes doigts. Si seulement, la situation était beaucoup plus simple.

Dis Dieu, pourquoi je ne suis pas un garçon ?

Mon frère a l'air d'hésiter à ma question. Il parle de vivre cacher jusqu'à un possible déménagement où les mentalités sont différentes. Sauf que de mon côté, je ne pense pas partir du Japon... Alors je reste au même point, dans le flou.

Il me saisit la main, et me confie s'être déjà posé la question. Mon visage s'illumine presque. Lui aussi, il a déjà pensé à l'autre bord ? La pilule passe un peu mieux, me sentant beaucoup plus comprise, et moins seule. Je lui souris, tendrement.

« Merci d'être là pour moi... Je ne sais pas où j'en serais si tu n'étais pas là »

L'histoire reste certes compliquée, mais elle me donne un peu moins la nausée. Je n'envisage pas encore l'idée de vivre une relation cachée, mais si Maya est prête à faire de même sans le crier sur tous les toits... Mine de rien, c'est aussi ce qui me fait peur.

« Je ne pensais pas que tu t'étais déjà posé la question... Est-ce que toi aussi, cette pensée te faisait te sentir mal ? Comme si tu étais... dégoûté de toi-même ? »

Tout va dépendre de la discussion avec Maya.

Petit hochement de tête lorsqu'il parle de la plage. La discussion aurait pu être sur tout et n'importe quoi, mais ça tombait juste sur le sujet qui me trouble. Comme quoi, si j'avais cherché à lui en parler plus tôt, je ne serais peut-être pas dans une telle situation.

Je l'écoute parler de son propre ressenti sur sa propre bisexualité. Lui, il ne s'est jamais senti mal d'avoir ce genre de pensées. Le naturel qui s'occupe aux contre nature qu'on m'a enseignée. Anormal de se chercher, il n'y a que l’hétérosexualité qui était viable.

Tout ce qu'il dit est aux antipodes de mon propre vécu. Ce n'est pas normal de se cacher, mais c'est comme ça au Japon. Ce serait tellement plus simple si on ne vivait pas ici. On verra bien ce que me réserve l'avenir, la société pourrait avancer dans le bon sens.

« La dispute ? C'est ma faute... Maya voulait à tout prix prendre l'onsen avec moi... »

J'avale difficilement ma salive, je sais que je suis en tort dans cette histoire.

« J'étais mal à l'aise de le faire... Prendre l'onsen avec elle, c'était comme le prendre avec un garçon vu qu'elle est attirée par les filles. Et les bains ne sont pas mixtes pour une bonne raison »

Je ne me vois pas prendre un bain avec Isaac, alors que je l'apprécie beaucoup.

« Et puis, elle ne vit au Japon que depuis quelques temps. Alors elle n'a probablement pas les mêmes mœurs sur la pudeur... »

Ou comment traiter les étrangers de pervers.

« Enfin, voilà. Les mots ont dépassé mes pensées, et je lui ai dit que je ne voulais pas prendre l'onsen avec elle parce qu'elle était homosexuelle et étrangère »

J'ai honte de moi alors je baisse les yeux.

Il voit ou comment dire qu'il n'était pas si d'accord avec ce que je venais de dire. Il confirme mes doutes en disant que les étrangers ne sont pas tous des pervers... Et c'est loin de ce que j'insinuais même si ça sonnait comme tel. Au moins, il le sait.

« C'est juste que les onsens... se baigner nu avec d'autres personnes... ça fait partie de notre culture. Ce qui n'est pas le cas pour la plupart des étrangers. C'est ça que je voulais dire »

Je finis mon verre de limonade, me lève pour le rincer dans l'évier et le déposer sur la pile de vaisselle. Je sors une bouteille d'eau fraîche du frigo. Après tout, on a beaucoup parlé, et je commence à manquer de salive alors autant bien s'hydrater.

« Ah oui ! Je ne t'ai pas dit le pire concernant Maya »

Je retourne m'asseoir auprès de mon frère, et ouvre la bouteille pour boire quelques gorgées. Je ferme le bouchon, et pose l'eau à côté de moi. Je ne sais pas comment il va réagir à l'information, mais je pense que s'il veut la rencontrer, c'est impératif de lui en parler.

« Elle est misandre »

Comment lui dire que ça va être compliqué.

C'est triste mais les traditions se perdent. Enfin... Heureusement. Parce que ça ne serait pas jojo si on continuait de brûler les sorcières sur la place publique ou même le droit de cuissage. Erk. Je secoue la tête de droite à gauche pour m'enlever ça de mes pensées.

Quand je lui annonce la petite particularité de Maya, mon frère répond d'un simple « Ah » puis finalement enchaîne sur plusieurs questions à son sujet. Perdue dans mes pensées, j'essaye de me rappeler de la réaction de la blonde quand je lui avais appris que j'ai un frère.

« Elle pense que tous les garçons de notre âge sont libidineux et veulent la mettre dans leur lit. »

Elle n'a certes pas tort pour une minorité de mecs, mais de-là, à dire que tous les mecs sont comme ça... ça m'énerve un peu. Heureusement qu'elle ne m'a pas contredit quand je lui ai dit que mon frère était quelqu'un de cool.

« Non, pas vraiment. Je crois qu'elle se comporterait normalement avec toi pour le bien de notre relation »

Sinon, elle l'enverrait paître sans y penser.

Au rire doux amer de mon frère, je tourne les yeux vers lui. Il a raison dans ce qu'il dit : pour penser de cette manière, faut avoir un ego surdimensionné. Pourtant, je suis sûre que ça s'arrête à sa misandrie et qu'elle ne l'est pas vraiment.

« C'est juste avec les garçons qu'elle pense comme ça »

Fausse et pas sincère... Oui, bon, dis comme ça, le tableau est loin d'être glorieux. C'est juste que... je suis sûre qu'elle pourrait apprendre à l'apprécier, et vice versa. Y a probablement d'autres garçons avec qui elle arrive à s'entendre.

Là, je baisse les yeux. Avec Pablo, c'était la même chose. Sauf que là, il me dit clairement ne pas aimer me voir fréquenter une fille pareille. Je cherche à prendre sa défense, je patauge dans mon esprit à la recherche du moindre argument.

« Je comprends bien... Mais elle m'a promis de voir un psychologue pour sa misandrie. Et avec moi, elle est adorable »

Je tire sur les bords de mon short, nerveuse.

Ça me chagrine un peu la réaction de mon frère. Après tout, je m'en doutais, lui parler de sa misandrie ne pouvait que résulter sur une réponse pareille. C'est sûr maintenant, je dois le faire se rencontrer pour qu'aucun n'est d'à priori sur l'autre.

« Tu sais bien que je ne suis pas si influençable... je sais faire la part des choses »

Je me sens un peu bête de devoir préciser ça. C'est un peu vexant aussi... c'est comme s'il me croyait incapable de réaliser les faits. Enfin bref, il y a une autre chose qui m'embête vis-à-vis de Maya, alors forcément je lui en parle aussi :

« Maya est très fière d'être homosexuelle. Beaucoup de monde est au courant, à vrai dire. Alors... J'ai un peur que les gens fassent le raccourci avec moi si je la fréquente trop »

Encore un autre sujet qui m'éloigne d'elle.

À priori, ce n'est pas le genre de Maya de réfléchir avant de parler, ou de le clamer tout autour d'elle. Si je me souviens bien, je l'ai appris à notre première rencontre qu'elle était homosexuelle... alors tout le campus doit être au courant...

« Elle ne doit pas réaliser l'impact que ça peut avoir sur ses proches »

Je baisse les yeux sur mes mains à mesure que mon frère parle. Il se fait du soucis à cause de moi, et pour moi. Je suis une mauvaise petite sœur pour l'inquiéter autant. À partir d'aujourd'hui, je vais faire de mon mieux pour que ça n'arrive plus.

Quant à Maya, il faut peser le pour et le contre... ça paraît simple comme ça mais, je sais déjà dans quel sens penche la balance, même si ça me fait mal de me l'avouer. Donc... j'y penserai à nouveau, seule avec moi-même et dans le calme.

« Se charger des rumeurs ? Comment c'est faisable ? »

À moins de poursuivre chaque détracteur...

C'est une préparation au champ de bataille, ses techniques. S'il y a plusieurs sources, il faut toutes les traquer ou balancer des rumeurs contraires pour balancer la chose.  Des éclaireurs et des crieurs, en somme. Je connais un garçon du journal :

« Y a Isaac, un de mes colocs avec qui je m'entends très bien qui est au club »

Oui, on n'en est pas là. Et si ça arrive... Je préfère ne pas imaginer. C'est déjà assez difficile de mettre un point sur mes sentiments avec Maya, ça le serait encore plus si j'ai détracteurs extérieurs qui viennent mettre le nez dans mes affaires.

« J'espère aussi... Et il y a un truc dont je dois te parler »

Je me mords la lèvre, toujours incertaine. C'est quelque chose qui m'a marquée, et même si j'ai fait la paix avec le professeur, ça me trotte toujours dans la tête. Ce n'est pas si grave ou je devrais m'en faire un peu plus?

« Y a un professeur qui a reniflé mon parfum, dans le parc. Il a fait une remarque dessus même »

Je fais juste une moue un peu trop perplexe.

Franchement ? Je ne m'attendais pas à ce qu'il s'énerve aussi vite. J'ai probablement mal jaugé l'acte de Yamashiro-san, peut-être l'ai-je trop allégé dans mes pensées. Faut dire qu'il s'est excusé de suite après, alors j'ai assez vite avalé la pilule.

« C'est juste que j'en ai parlé à personne, et je ne savais pas la graviter du geste »

Je m'étais dit que c'était juste une bêtise. Après tout, il y avait du vent, on était assez proche sur le banc, et c'était probablement dit sur le ton de la plaisanterie, même si je ne l'ai pas ressenti comme tel. Ce n'est pas si grave, si ?

« C'est le professeur de design. Mais il s'est excusé, et je ne pense pas qu'il l'a fait avec une autre étudiante »

Maintenant, je dois sauver les meubles non ?

Ça, j'en sais rien ? Il ne sait pas que je l'ai stalké dans mon coin pour être sûre qu'il ne le faisait pas la même chose avec d'autres étudiantes. Dès que j'avais un instant libre en journée, je n'étais pas loin à veiller. Sur les réseaux aussi.

« J'ai mené mon enquête avec les moyens du bord, je l'ai un peu espionné »

En parler à notre père... Je n'ai pas envie que Yamashiro-san se fasse radier, mais s'il est coupable, ce sera dans l'ordre de choses. Il a déjà commis une faute une fois, rien ne l'empêche de recommencer avec d'autres actions déplacées.

« Je te le dirais, je me vois mal en parler à notre père »

Je ne parle pas de sa rencontre avec Maya.

Gideon me connaît pas cœur. Il sait bien que j'ai fait mon enquête de mon côté. C'est un peu ma spécialité de stalker les gens, alors ce n'est pas si étonnant qu'il s'en doute. On peut même dire c'est une passion de me renseigner sur les personnes que je côtoie.

On peut tout apprendre sur internet. Si la personne aime parler de sa vie, ses passions, ses amis, ce qu'elle mange et peut-être même le numéro de téléphone pour les plus inconscients. Alors c'est toujours un exercice amusant de s'immiscer dans la vie des gens, quoi qu'un peu un plaisir coupable.

« Je te jure que non, ce n'est pas fait exprès. J'attire juste les gens bizarres j'ai l'impression. »

Pire, je ne sais pas encore pour le kabedon.

La plupart des gens de KHS sont bizarres... je n'avais jamais fait attention jusqu'à lors, restant dans mon coin, et ne liant aucune nouvelle amitié. Peut-être qu'en m'ouvrant un peu au monde, je vais continuer de faire des rencontres si particulières.

« Tu connais des personnes bizarres toi aussi ? Hors du club aventuriers bien sûr »

Parce que je sais très bien, c'est une bande de tarés dans ce club. Je ne sais pas comment la création a été fait, ça semble si irréel. C'est le repère des Chūnibyō là-bas. Heureusement que mon frère veille sur eux, sinon, ce serait vraiment le chaos.

« Oui, j'ai bien besoin de me changer les idées ! »

Je suis pressée de voir ce qu'il a ramené comme friandises à se mettre sous la dent. J'aime beaucoup grignoter devant les séries ou les films, c'est mon pêché mignon. Je le fais suffisamment dans ma chambre à KHS pour savoir que sans nourriture, c'est différent.

« The Defenders, ça te va ? J'ai pas eu le temps de regarder la série »

Rien que pour Daredevil, je veux la regarder !

Quelques unes mais qu'il ne fréquente pas. Je me demande bien qui ça peut être, et surtout, si je les ai déjà croisés. Peut-être que d'autres personnes de ma connaissances, seraient mal vu par mon frère. Ça me ferait un peu de la peine si c'était le cas.

Tandis que je reste pensive, il se lève pour aller chercher les sucreries. Il revient avec une tonne de choses : des mochis, des taiyaki au chocolat, des chips et des pop-corns ! Y a de quoi nourrir un régiment entier, ça risque de craqueter fort !

« Je comprends totalement, je n'ai pas eu le temps non plus avec les filles »

J'allume la télé, l'ouvre sur Netflix, et fait défiler les différentes séries avant qu'il revienne avec de l'eau. Il vient s'installer à côté de moi, et de mon côté, j'en profite un peu pour mieux me caler dans le canapé. Voilà, là, c'est bien !

« Prêt pour le marathon ? »

Je lance  la série qui s'ouvre sur un combat.

La scène de combat du début me laisse un peu perplexe. C'est du cafouillis, on voit pas grand chose, et Iron Fist a l'air toujours autant ridicule que dans sa propre série. Surtout la scène où son poing s’insuffle de magie, on n'a pas la sensation du coup.

« Je ne sais pas trop... comme ça, je dirais bien Elektra »

Je grimace en voyant Jessica Jones toujours autant au fond du trou. Heureusement, il y a sa meilleure amie Trish qui égaye un peu la scène, et la blague sur le café au Whisky me fait soupirer.

C'est au tour de Luke Cage de faire son apparition. Il est acclamé par les autres prisonniers de la prison, comme une haie d'honneur sur le chemin de sa sortie. On voit aussi Foggy, que j'aime beaucoup également.

Et là... Le plus beau, le plus charismatique, le plus seksy, j'ai nommé Matt Murdock ! Je glousse un peu en le voyant, et à la remarque de mon frère sur « mon ». Il écrase tout avec son discours, très bien ficelé, ce qui lui fait gagner le procès.

« Comment résister à son charme fou ? »

Je rigole de ma bêtise, à moitié sérieuse.

De nouveau, on voit Danny, et cette fois-ci, il a une vision où il est crie comme un dératé. Je le trouve tout sauf charismatique. Ils ont fait une adaptation un peu trop similaire de celle des années 70, malgré les changements de notre époque.

C'est un idiot fini, qui ne comprend rien, et à l'âge mental d'un gamin. Et son jeu d'acteur... Argh.

« Je ne sais pas ce que tu lui trouves à Danny »

Je fais un peu la moue, blasée de le voir.