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Accompagnement musical pour vous mettre dans l'ambiance...
Deuxième quadrimestre, jour 2.
Contrairement à la veille, le second jour de la semaine et du quadrimestre n'était pas au beau fixe. La bonne humeur avait quitté Ryuji Yamashiro, trente ans, professeur de design de son état qui arpentait tardivement dans sa journée de cours les couloirs de l'université d'un pas décidé, ferme et avec une tension palpable à des centaines de mètres à la ronde. Pas au point de plaquer les pauvres étudiants sur sa route, certes, mais leur instinct naturel semblait leur indiquer qu'il ne valait pas mieux le croiser ou le regarder dans les yeux. Les jeunes adultes préférèrent partir du principe que l'acuité visuelle du professeur était basée sur le mouvement, bien qu'aucun consensus scientifique n'existe pour prouver ou réfuter la théorie ; cependant cela sembla bien fonctionner sur la pratique, on ne décompta aucune victime directe ou collatérale dans le rang des étudiants cet après-midi là.
Ryuji le dragon soufflant de la fumée par les nasaux arriva finalement jusqu'au nid, la salle des professeurs, habituellement déserte à cette heure-là. Parfait, il en fera sa montagne en attendant que la tempête ne passe, pour peu qu'elle passe. Le trentenaire d'un naturel plutôt calme fulminait et l'image du dragon fumant n'était pas anodine : s'il en avait le pouvoir il carboniserait tout sur son chemin d'un souffle destructeur. Il ferma la porte de la salle des professeurs avec fracas, qu'importe le respect des lieux, il était en colère et devait l'extérioriser d'une manière ou d'une autre. Il présentera ses excuses à l'esprit des objets plus tard quand il sera calmé. Pour l'heure, il se contenta de balancer sa sacoche, qui glissa sur le bureau lui étant attitré pour finalement s'écraser au sol. Son bureau était facilement reconnaissable des autres, c'était celui où trainait le plus grand nombre de paperasse, des papiers plus inutiles les uns que les autres, sans réel sens dans leur classement ou leur placement ; du prospectus aux cartes de visite, on y trouvait tout ce qui avait pu piquer l'intérêt du professeur de design. L'inspiration était partout et bien souvent là où on ne la soupçonnait pas, alors il collectait plusieurs exemples pour lui ou pour ses étudiants. Mille fois il s'était promis de tout classer mais la flemme était l'ennemie la plus redoutable qu'il ait à combattre.
Non loin, il y avait le bureau d'Ogawa, le professeur d'histoire. Ryuji ne le connaissait pas plus que cela, ils s'étaient croisés lors de l'afterwork de l'été dernier à la fin des examens mais si ce n'est ça... inconnu au bataillon. De toute façon il était rentré bien trop éméché pour se souvenir de quoi que ce soit de précis ; il se rappelait juste qu'il avait lancé les hostilités en trinquant et en provoquant la chute des verres de saké dans les bières de ceux ayant commandé un Saké Bomb. Son bureau était net, droit, pas une trace de choses ne devant y être et encore moins de poussière, comme si une femme de ménage privée venait tous les soirs débarrasser son bureau à l'abri des regards. Sourcils froncés, regard pointé sur la place de son collègue, il fut interrompu dans sa gamberge par le bruit de la porte qui commençait à s'ouvrir. C'est fermé ! Revenez plus tard, nom d'un chien.
, lança-t-il en direction de la personne derrière la porte. Peu importe son identité, elle se fourrait au mauvais endroit au mauvais moment et allait faire face aux conséquences. Ryuji espérait juste qu'il ne s'agisse pas de Moon, il ne manquerait plus que ça.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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❖ Âge : 28 ans
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❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Rentrée en mode crash test, Yukio se prenait mur sur murge. La tête enfarinée par le choc dans les cloisons de plâtre et les culs de bouteilles, le professeur d'histoire laissait en ces jours son talent naturel transpercer les cloisons et casser la glace. Il avait fait forte impression sur les étudiants parachutés dans les amphithéâtres, comme à son habitude. Il n'avait plus vraiment besoin de préparation pour ça, il lui suffisait laisser son corps libre de ses mouvements, la mémoire gestuelle parlait ensuite d'elle-même, mouvant les muscles et captivant les regards avec une audace bien trop habituelle. Ce n'était même plus si fatiguant, et presque moins comique de voir des rangs de visages juvéniles si décontenancés. Petite perte de vitesse et de motivation, il avait l'impression d'être Genghis Khan ayant brûlé une énième ville de plus, massacrant la population par méthode plus que par envie. Quand on a pillé la moitié du monde connu, la rapine perd de son charme.
Peut-être faut-il, en pareil cas, laisser au loin les colonnes d'Hercule, prendre la mer vers les contrées que les cartes habitent de terrifiantes créatures fantasmagoriques. Après tout, les géographes ne peuplent-ils pas l'inconnu de dragons aux airs cauchemardesques ? Ubi dracones, ibi gloria. Là où sont les dragons se trouve la gloire, et Yukio se savait l'ambition d'un Saint-Georges terrassant le monstre et sauvant la princesse de ses griffes diaboliques. Au bras de fer avec la main du Malin, l'enseignant se sentait d'humeur à briser des phalanges. La foi était intense, la détermination immense, il était la lumière prête à délivrer du mal un monde obscurci par l'ombre des armées lucifériennes.
Cependant, il était 16h30, soit l'heure du goûter, et personne n'avait jamais purgé la Terre des démons de l'Enfer avec le ventre vide. Au loin, dans l'antre des professeurs, dans un tiroir de bureau bien rangé, une relique des plus nourrissantes l'attendait. Le Saint Snickers avait été déposé par des anges des semaines auparavant, attendant patiemment l'heure se servir son destin. Telle une épée brisée du premier âge, il reposait, occulté aux vues des soudards, se tenant prêt à être saisi par le héros d'une prophétie millénaire.
Conduit vers l'objet de sa quête par des jambes en crainte d'hypoglycémie, Yukio fendait la foule dans les couloirs avec l'assurance de Moïse coupant la mer en deux. Devant lui, les disciples du lieu s'écartaient, comme éblouis. Nulle crainte dans le regard étourdi de ces flots étudiants, seulement la pieuse félicité de se voir illuminés de la vision d'un héraut des puissances de la Lumière. Il eut été suivi d'une armée d'anges qu'ils se seraient prosternés, demandant la rémission de leurs devoirs bâclés.
La porte, enfin. Derrière, le Saint Snickers et son pic d'insuline.
Maléfice ! Le Dragon est là, il fulmine. Les voies des Puissances sont impénétrables, elles ont choisi de mettre à l'épreuve leur élu avant même de lui offrir de fréquenter le Graal de son estomac.
La bête est assujettie à sa colère, elle tance d'une voix caverneuse, essaie par des paroles hargneuses d'effrayer son futur pourfendeur. Il en faut plus pour décourager un partisan de l'Ordre et de la Morale.
Qu'importe le danger, le bras de la justice ne peut trembler devant l'incarnation du Mal. Le glaive doit s'abattre, et les mots en affuteront la lame:
- Laissez le labrador du Doyen en dehors de ça, elle n'a rien demandé cette pauvre bête. Pour le reste, si vous avez besoin de privatiser la salle des professeurs, il y a un formulaire dédié à déposer à l'administration, avec un préavis de 15 jours, à remplir au stylo noir uniquement, et c'est soumis à l'accord du comité d'orientation pédagogique. Je préfère vous prévenir, là comme ça vous avez pas vraiment une tête de motif légitime.
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Ryuji resta pantois devant l'arrivée de son collègue professeur d'histoire, toujours aussi pédant et coincé qu'à son habitude, le reflet parfait de son bureau beaucoup trop bien rangé pour faire preuve d'honnêteté. Son homologue enseignant le design – avec brio qui plus est ! –, était pantois car de tous ses collègues Yukio Ogawa était bien le dernier qu'il s'attendait à croiser en cette heure ; il l'aurait plutôt imaginé dans accoudé à un bar en train de faire l'exposé d'une guerre quelconque avec force de détails.Vous savez ce qu'il vous dit le motif légitime et ce qu'il en fait de votre laisser-passer A37 ?
répondit Ryuji en se relevant, appuyant ses mains contre le bureau.
Au fond, il n'avait rien contre lui et il supposa que la réciproque était vérifiable. Cependant, ce jour-là très précisément était un jour lors duquel il ne fallait pas se trouver dans ses pattes. Malheureusement pour Yukio, il était déjà trop tard le concernant, il avait pénétré dans l'antre du dragon et ce dernier avait remarqué la présence de l'intru. Ryuji se releva totalement puis s'approcha de son collègue. La différence de taille entre les deux hommes était perceptible mais il n'en fit rien, il était partisan du "plus il sont grands, plus ils tombent facilement" et s'était déjà imaginé plusieurs fois en train de courir autour des chevilles de ses adversaires de grande taille, une corde à sa suite, afin de les lier et les faire trébucher tel des colosses de métal dans une planète de glace désertique.
Ou bien il consommait bien trop de pop culture, allez savoir.
En d'autres circonstances il aurait empoigné Ogawa par le col de sa chemise trop bien repassée pour le plaquer contre le mur le plus proche mais après analyse rapide de la situation, il vint à penser que l'acte ne constituait pas une approche des plus judicieuses. D'une part, il s'agissait d'une attaque directe qui aurait des conséquences automatiques et d'autre part, le terrain était loin d'être avantageux pour lui. Démarrer une rixe dans la salle des profs était la garantie d'une escalade véloce qui les conduiraient potentiellement devant les autorités académiques ou au fond d'un parking tard le soir entre plusieurs adultes formant un octogone et pariant sur la victoire de leur préféré ; et Ryuji était aussi frileux d'un rendez-vous avec sa hiérarchie qu'il ne s'appelait pas Tyler Durden.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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L'ennemi approchait comme les chiens de l'enfer lâchés sur le jardin d'Eden. Ses yeux brûlaient de la rage démoniaque des serviteurs des puissances obscures. La colère consumait cet homme aussi sûrement que le feu brûlait dans la forge de Vulcain. Il exsudait une fureur aussi instable que vaporeuse. Sur les steppes venteuses de la salle des professeurs - les ventilateurs étaient allumés - la horde mongole chevauchait, portant avec elle la promesse de faire couler le sang. Yukio tint bon, soutenant le regard du barbare ensauvagé en pleine frénésie. Les sphères incandescentes se jaugeaient, qui porterait le premier coup ? Le temps était comme suspendu devant le vertige d'un combat qui se faisait attendre. L'horloge comptait les secondes avec prudence, comme détentrice d'un savoir maudit des esprits de la paix. Les colombes elles-mêmes avaient cessé de battre des ailes, comme foudroyées en plein ciel par l'éclair irrévocable de la destinée. Le monde avait rompu sa course, hoquetant face au poids de l'enjeu sur la poitrine des possibles.
Sitôt les épées dégainées, la mort serait convoquée, et le temps ne reprendrait son cours qu'après qu'elle eut emporté de ses mains l'âme d'un combattant. Le duel se tenait au sommet des enjeux et des influences. Le Royaume de Campus avait laissé choir son trône sans qu'un successeur ne soit désigné. Il était maintenant temps que la couronne, portée par les flots déchainés des courants telluriques, retrouve une tête sur laquelle asseoir sa splendeur. Le sacre ne pouvait être scellé que par les cavaliers de l'Apocalypse. Conquête, Guerre, Famine, Mort, nageant dans des rivières pourpres et vermeilles, irriguant le sol du malheur des vaincus. Si, à la fin d'une lutte homérique, l'un restait debout, il emporterait dans son règne, et les terres et l'éther. L'éternité les attendait, elle était promise mais n'était pas polygame. Il n'en resterait qu'un. Ils le savaient, et leurs épaules ployaient sous la masse écrasante du devoir. La Lune éclairait les cieux, elle guiderait les pas des valeureux, et jetterait, sur les cœurs licencieux, le voile inaltérable de l'oubli.
Ryuji souhaitait l'affrontement, il l'aurait. Yukio n'était pas homme à chercher dans les jupons de l'administration de quoi camoufler sa couardise. Les règles ne survivaient que jusqu'au moment où les cordes de la révérence se déchiraient. Une époque était révolue. Tandis que le monde en flammes avait cessé de se taire, les montagnes enneigées du bord de la Pangée s'étaient muées en falaises ascendantes. Il ne subsistait désormais que des regards, des mains, des lames et des idées. Les vagues frappaient du son du fond des siècles. Ici et maintenant. Pour toujours et à jamais. Ce n'était plus une joute, c'était une ordalie, et les dieux, de leurs yeux favorables, étaient en cohue descendus de l'Olympe.
Au jeu du faucon et de la colombe, Yukio se savait oiseau de proie. Fronçant les sourcils, souriant en coin face à l'absurde détermination de son vis-à-vis, il attrapa de la main droite la chaise la plus proche, et la coinça sous la poignée de la porte, bloquant toute action d'ouverture qui aurait su provenir de l'extérieur. Se retournant calmement, le visage acéré comme de l'acier trempé, il énonça d'une voix froide et granitique:
- Là, maintenant c'est fermé.
Par des gestes contrôlés, le professeur d'histoire se sépara ensuite de sa veste, la laissant soigneusement pliée sur l'une des tables présentes à proximité. Se rapprochant de son adversaire, il planta de nouveau ses orbites dans les siennes, fit craquer ses phalanges, et balança d'une voix faussement courtoise:
- Venez donc, je vais vous expliquer ce que c'est qu'un motif légitime. Avec ma méthode, je pense que ça va finir par rentrer.
- InvitéInvité
L'historien pédant avait coupé toute forme d'issue, ils étaient enfermés dans cette salle des professeurs qui ferait office de ring pour un combat de coq dantesque. L'artiste contre le littéraire, le chaos contre l'ordre, mais probablement deux coeurs ardents et deux fiertés qu'il ne faudrait pas froisser. Les japonais pouvaient vraiment être bornés, alors imaginez un franco-japonais !
Au royaume des cons, Ryuji se savait le roi, l'empereur incontesté. Ne jamais le mettre au défi, il avait suffisamment d'égo pour pouvoir le relever, qu'importe la débilité de ce défi ; plus absurde c'était, plus il le relevait avec une joie non dissimulée. Alors forcément, la réponse de son collègue sonna comme une belle provocation à répondre avec un grand sourire, ce qu'il finit par faire, les sourcils relevés comme s'il était agréablement surpris. Il changea ensuite d'expression faciale, affichant son sourire en coin le plus irrévérencieux, les sourcils froncés, comme un ado impertinent ou un jeune Yakuza.Allons allons...
commença-t-il en français avant de reprendre en japonais. Si nous devons nous affronter, mon cher Ogawa, afin de décider duquel d'entre nous dominera cette salle des professeurs, autant que ce soit sans casse.
Il avait une idée derrière la tête, bien évidemment, d'une et malgré sa testostérone qui bouillonnait dans son organisme, il se savait piètre combattant et n'estimait pas avoir de grandes chances face à un japonais faisant presque une tête de plus que lui ; ensuite s'il devait écraser on adversaire, il préférait autant que cela se passe intellectuellement, la défaite n'en serait que plus amère qu'importe le perdant et il appréciait ce petit frisson... puis de toute façon, il ne voulait pas risquer d'abîmer sa petite gueule d'ange, c'est qu'il avait prévu de revoir sa belle coréenne, enfin, si elle daignait se mettre sur son chemin pour qu'ils se recroisent, ce qui n'était pas arrivé depuis le début de la semaine.J'ai quelques jeux, des échecs, des cartes, un petit reste d'alcool si vous voulez pimenter ça encor plus. Le choix est vôtre.
Il retint tout de même un « Puis ça m'emmerderait de te casser le nez, connard », c'était du venin inutile qu'il aurait craché, il avait décidé de changer de tactique et de se calmer un peu. Alors il ouvrit le bras en direction de Yukio, comme s'il voulait l'inviter, avec un air certes de défi mais plus "amical" si on pouvait dire.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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Quelques paroles soupirantes, quasiment inaudibles:
- Ignavus draco se detumescit. Num potuimus alteram rem sperare ?
Yukio était presque déçu. Il n'était pas adepte d'une violence décomplexée, mais son collègue avait cette façon si particulière d'être agaçante. Cette sorte de moue sursatisfaite et incapable du moindre doute lui activait l'aire de Broca et lui donnait des démangeaisons dans la main. N'était-ce pas faire obstacle à la destinée que de se refuser à mettre une gifle à une tête à claques ? Cette joue était si affriolante, c'était presque comme s'il cherchait à se prendre des coups, et il était plutôt rare que le professeur d'histoire puisse avoir la conscience totalement tranquille en pareil cas. Après tout, on l'aurait provoqué.
Mais soit, le sort avait choisi de leur proposer une voie plus paisible. Les passions devraient se soumettre à la loi du jeu. Combien de guerres avait-on ainsi éviter, par la mesure du poids ludique de gonades métaphoriques ? Une fois de plus, le divertissement venait éteindre tout risque d'échange plus cinétique que courtois. Pour autant, l'enjeu ne pouvait se limiter à la simple domination passagère sur les alentours de la salle de pause. Il fallait redonner à cet affrontement le souffle épique qui venait de lui être retiré, et si l'homérique ne pouvait plus provenir de l'échange en lui-même, le défi devrait trouver sa valeur dans la mise. Yukio n'avait pas peur de faire tapis, il fallait rabattre son caquet à cette sorte de chaton grognon persuadé d'être un tigre à dents de sabre. En cet après-midi, le professeur de géographie n'était pas lui-même, il était le héraut incandescent du brusque retour à la réalité, le principe de gravité tout incarné qui recollerait au sol les ambitions stratosphériques d'un oiseau trop sûr de lui même.
D'une voix aventureuse, presque moqueuse, il tança son adversaire:
- La salle des professeurs ? Est-ce là toute l'étendue de votre ardeur ? Je propose au contraire que le perdant subisse un gage. Vous devez connaitre le principe... Disons par exemple que le perdant devra saluer l'autre de manière foncièrement méliorative pendant toute une semaine, surtout si c'est en public, ou que le gagnant devra payer à l'autre à boire durant toute une soirée. Qu'en dites-vous ? Je comprendrais que vous estimiez un tel investissement comme étant trop risqué. Je ne voudrais pas vous brusquer dans vos petites habitudes de trentenaire immature...
Puisqu'on lui laissait le choix des armes, Yukio allait se prononcer avec assurance. Pas trop con le bourdon, il allait se tourner vers quelque chose de connu et de maitrisé. Sans attendre la réponse de son vis-à-vis, il se dirigea vers l'une des tables les plus proches, dérangea une chaise afin d'inviter son collègue à s'y asseoir, et alla se poser sur le siège d'en face. Sur un ton calme, imperceptiblement emballé, il continua:
- Vous avez des cartes dites-vous... Savez-vous seulement jouer au Dourak ? J'ai appris à m'y frotter lors d'un passage dans des pays de feu l'URSS. Dourak pourrait se traduire par "crétin", c'est comme cela qu'on appelle celui qui perd la partie en tout cas. Ce me semble plutôt adapté pour ce qui nous concerne. Les règles sont simples quand c'est pratiqué à deux, mais il y a une certaine profondeur tactique qui est relativement discriminante, pour certains du moins...
- InvitéInvité
Ryuji afficha un sourire presque satisfait au moment de prendre place à table, ignorant pour ainsi dire les provocations précédemment énoncées par son futur adversaire. Il croisa les jambes une fois assis, posture désinvolte en avant, comme l'imposent ce genre de combats de coq.
Il n'en avait pour ainsi dire rien à secouer du défi, de ses conséquences : au pire il lui suffirait de ne pas croiser le prof d'histoire pour esquiver l'obligation de lui lécher les bottes ; car c'était bien de ça qu'il s'agissait au fond, camouflé derrière les belles paroles un peu creuses de cet individu pédant. Dieu qu'il était énervant, d'ailleurs, avec ses longues phrases, ses tournures alambiquées... Il rappelait à Ryuji quelques-uns de ses propres enseignants à la fac de Tokyo, voire même le ton qu'il prenait lorsqu'il était chargé de faire des présentations durant ses études ou des discours motivants un peu bateau lorsqu'il était directeur artistique. Bien bien. J'accepte.
fit-il par dire en secouant la main, indiquant à Yukio d'enchainer avec la suite.
Son impatience n'avait d'égal que son envie d'en découdre avec lui. Il voulait que ce soit rapide, net et sans bavure ; d'une part pour que la branlée qu'il comptait lui mettre laisse un souvenir aussi amer que la Blitzkrieg en Belgique en 1940 et d'autre part afin de ne pas laisser de chance à son adversaire de trouver l'une ou l'autre tactique pour le contrer et le faire chuter. Ryuji était naturellement doué pour les jeux mais sur de courtes durées, dès lors, le faire jouer trop longtemps équivaudrait à faire compétiter un sprinter à un marathon : il ne tiendrait tout simplement pas la distance. Il se promit de faire attention à ne pas se laisser submerger et d'expédier leur duel ni vu ni connu.
Le jeu proposé/imposé par Yukio lui était totalement inconnu. Il serra les dents et son corps se raidit. S'affronter en terrain connu lui aurait forcément mieux convenu, là il allait avancer au radar, sans aucune connaissance de l'épreuve et il détestait être pris au dépourvu dans un contexte de défi ; même s'il adorait la surprise dans d'autres contextes bien évidemment.Ce sera une première pour ma part dit-il en se redressant sur sa chaise, plus sérieux tout à coup je vous laisse tout le loisir de me présenter votre jeu...
Il fixa le regard dans celui de Yukio. Il était déterminé à ne pas se laisser ridiculiser aussi facilement, surtout par lui...
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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L'ennemi était dans le saillant, il était temps de refermer la pince. Attiré en terrain défavorable par sa fierté, perdu d'avance par son orgueil démesuré, il serait lui-même l'architecte de sa propre perte. Un esprit joukoviste guidait les pas du professeur d'histoire. Dans un instant, l'impétrant serait empêtré dans la raspoutitsa jusqu'au cou, prêt à boire la tasse et à s'emplir les poumons des limons fertiles des grandes plaines de l'Est. Préchauffez le wagon de Rethondes camarade Yamashiro, cette fois-ci l'Armée Rouge passera Berlin sans baisser le régime moteur.
Soutenant le regard de son collègue, Yukio attrapa le jeu de cartes que la providence lui tendait, et se mit à mélanger méthodiquement les bouts de carton rectangulaires, tout en se lançant dans des explications concises, froides et factuelles:
- Nous aurons six cartes chacun, je retournerai une carte de la pioche pour donner la couleur de l'atout. Le but général est de ne plus avoir de cartes. Ensuite, nous alternerons les positions d'attaque et de défense. Celui qui attaque pose une première carte, le défenseur doit alors choisir s'il cède, auquel cas il prend la carte et l'ajoute à son jeu, ou s'il défend, auquel cas il doit poser une carte plus forte de la même couleur, ou bien d'atout. L'attaquant peut alors poser une deuxième carte pour mener une deuxième attaque, mais cette deuxième carte doit être de la même valeur qu'une carte jouée auparavant en attaque ou en défense. Nous avons six cartes, soit jusqu'à six attaques possibles durant le round. Si vous réussissez à défendre, les cartes sont défaussées. Si vous manquez une défense ou si vous décidez de ne pas défendre, vous prenez toutes les cartes. Une fois ce round terminé, nous piochons pour avoir à nouveau, au minimum, six cartes. Celui qui a gagné le round reste attaquant, ou le devient, selon la situation, et l'on repart pour un round. Le dernier à avoir des cartes en mains perd, et devient le dourak. Dernière précision: sur la fin de partie, si le défenseur a moins de six cartes, il n'est pas possible de l'attaquer plus de fois qu'il n'a de cartes.
A la façon d'une fin de cours magistral, le professeur demanda doctement:
- Des questions ou ça vous parait limpide ?
Il ajouta avec malice:
- Comme je ne suis pas particulièrement lâche, je vais vous éclairer un peu le méta-jeu. Dans la mesure où les attaques successives au cours d'un round, en dehors de la première, doivent se fonder sur les valeurs de cartes déjà posées, il est utile de collectionner les cartes puissantes de même valeur. En attaque, cela garantit de pouvoir attaquer encore et encore. En défense, cela évite, à chaque défense, d'ouvrir une nouvelle possibilité d'attaque à l'adversaire. Il peut donc être utile d'accepter de perdre certains rounds de défense pour récupérer les bonnes cartes, surtout en début de partie, où l'on sera, de toutes façons, amené à piocher. Attention à ne pas en abuser cependant, laisser l'autre joueur attaquer sans cesse permet juste à ce dernier de vous considérer comme une défausse pour ses cartes les plus mauvaises, et de collectionner les fortes têtes et l'atout pour la fin de partie.
Il se mit à distribuer assez lentement, comme pour ajouter à la tension dramatique du moment.
- InvitéInvité
Ryuji, pris dans les explications de son collègue-rival, commença à regretter quelque peu d'avoir relevé le défi : s'il avait su que le jeu proposé par son adversaire était aussi chiant, il aurait finalement choisi lui-même leur terrain d'affrontement ou aurait décidé d'en découdre par la seule force de ses poings ; bien qu'il n'était pas sûr de pouvoir avoir le dessus sur lui...
Cependant, il n'avait aucune question, les explications lui avaient semblées claires comme de l'eau de roche. S'il y avait bien une qualité à trouver à Yukio, c'était sans aucun doute sa façon d'expliquer. C'était un bon professeur, très pédagogue et ce malgré la complexité des concepts à développer, comme les règles de ce jeu sorti d'on ne sait où, probablement d'un voyage en Europe de l'Est ? De Russie ? Qu'importe, il était décidé à le battre sur son propre terrain.Allez, allez, commençons ! dit-il en agitant la main, tout désinvolture qu'il puisse êtreOn fait un tour de chauffe, histoire de voir si j'ai bien suivi vos explications alambiquées ? Ou bien vous êtes sûr de vous ?
Il espérait tout de même qu'il accède à sa demande camouflée : certes il avait saisi l'essence du jeu, mais jouer pour du blanc pour débuter lui parut être un bon plan, afin de ne pas perdre la face directement. Il se refusait à admettre sa faille mais il refusait encore plus de perdre à leur petit combat de coq.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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L'as d'atout s'abattit sur la table avec la puissance évocatrice d'un dragon blanc aux yeux bleus invoqué en plein désespoir après trois cliffhangers de fin de saison. Yukio avait beau avoir posé sa dernière carte avec la douceur feutrée d'une aristocrate anglaise en retraite, passionnée de bridge et amatrice de thé Earl Grey, son geste fit l'effet d'un séisme cataclysmique. Si les murs n'en tremblèrent pas, les regards se croisèrent au fil du tranchant, comme deux épées lors d'un duel au cours duquel le premier sang avait été versé. Le gant avait été jeté, il avait été relevé, et la destinée avait désigné l'élu des esprits de la fortune et de l'adresse. Que les cieux se brisent et que les mers s'ouvrent en deux, les dieux avaient choisi leur prophète en ces terres.
Bien évidemment, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et il ne s'agissait que de la partie d'entrainement, mais quand même, c'était déjà ça. Une façon de se rassurer sur ses propres capacités. Au Japon, le professeur d'histoire n'avait pas vraiment eu le temps de pratiquer son jeu avec qui que ce fut, et à tout avouer, il convenait de préciser que même à ses heures de magnificence immature, il s'était plus exercé ivre que sobre, contexte culturel oblige. En de telles circonstances, il aurait pu tout aussi bien oublier les règles de son art, mais le fait de partager l'ingurgitation - et la régurgitation - de grandes quantités d'éthanol, avait pour conséquence bien étonnante de fixer dans la mémoire quelques moments mémorables, entre fous rires, chutes de chaises et pognes échangées dans des chahuts de bastringue.
Surprenamment amusé par la tournure que prenaient les événements, obligé dans son humeur par les réminiscences joyeusement pochtronnes qui se rappelaient à son esprit, Yukio se décida sans même le percevoir à s'ouvrir à son collègue, inconsciemment détendu par les massages euphorisants de ses ombres passées.
Laissant libre cours à sa logorrhée enjouée, il pérora tandis que les cartes étaient à nouveau redistribuées, circulant sur la table de manière ininterrompue:
- Pour ne rien vous cacher, à l'origine, ce jeu sert surtout à tuer le temps pendant les nuits d'hiver, et à perdre sa solde du mois ou ses paquets de cigarettes en quelques heures. Lorsque l'on est loin de tout, il n'y a pas trente-six manières d'oublier les heures qui passent. De manière incidente, l'idée est d'enchainer les parties, ce qui fait autant circuler le statut de perdant que les mises en jeu. Pour une raison que j'ignore encore, les meilleurs souvenirs que j'ai dans la tête se sont tous déroulés dans des rades de marins, des troquets de mineurs, des pubs d'ouvriers et des comptoirs de chercheurs d'or. Je ne sais pas vraiment si les voyages forment la jeunesse. Matériellement, j'en ai surtout ramené une hépatite et une blennorragie, mais il est vrai que ce n'était pas complètement à fonds perdus, j'y ai quand même gagné quelques certitudes, et j'en ai perdu d'autres.
Alors qu'il parlait, la seconde partie s'était achevée, et sans y penser, il redistribua machinalement les cartes, continuant son discours sur sa lancée:
- Voyez, j'ai beau avoir gravi le chemin de l'Inca jusqu'au Machu Pichu, avoir salé des sangsues dans les montagnes du Triangle d'Or, m'être perdu dans les forêts de tsingys gris de Madagascar, m'être posé en parapente en plein milieu d'une favela sud-américaine, sur les toits, et avoir fouillé un printemps durant des ruines romaines dans un désert africain, en bonne compagnie d'ailleurs, je ne garde vraiment en tête que les visages hilares de ceux avec qui j'ai partagé des liqueurs à la qualité variable. L'important, ça reste les gens, la bonne humeur et la bière. Le reste, au fond, c'est assez secondaire...
Il était inarrêtable.
- InvitéInvité
La chance aux cartes du professeur d'histoire n'avait d'égal que sa propension à parler. Longtemps. Très longtemps. Et pour ne rien dire. C'était comme s'il occupait l'espace uniquement pour rompre le silence, comme si l'existence même du silence était source d'angoisse pour cet homme. Le genre de comportement qui dégageait une aura pompeuse et qui déplaisait fortement à Ryuji.
Non pas qu'il détestait le bruit loin de là, il était lui-même bruyant ! mais cette façon d'occuper artificiellement l'espace le dérangeait, à moins que ce ne soit tout simplement son collègue qui le dérange. Il l'ignorait encore mais quelque chose chez lui l'insupportait. Peut-être cet air suffisant de "Monsieur-j'ai-tout-vu-et-tout-fait", exacerbé par sa manière de conter les histoires tel un romancier... mais à l'oral. Typiquement le genre d'intellectuel que Ryuji avait bien pris soin de fuir autant que faire se peut, le genre d'intellectuel qui lui rappelait un peu son père par la même occasion ; une daddy issue non réglée ?
Qu'à cela ne tienne ! Il se contenta de hochements de tête faussement polis alors que son adversaire déblatérait ses exploits comme pour l'impressionner. Il n'avait cure qu'il eut vu monts et merveilles ou rencontré moult autochtones : ce qui l'intéressait c'était l'issue de ce match presque à mort pour la domination de la salle des professeurs ; et surtout le plaisir qu'il aurait lorsqu'il pourra le faire taire et profiter du gage proposé. Il n'était pourtant pas homme à avoir un égo surdimensionné mais... l'occasion était bien trop belle pour la laisser passer.A mon tour...
, dit-il en observant les cartes à sa disposition. Rien dans sa main ne lui permettait de défendre. Alors la seule option était d'encaisser, de prendre les cartes de la pile et de voir la main de son partenaire s'amenuiser, à l'instar de sa patience. Il grogna. Quelle connerie.
, lâcha-t-il entre deux grommellements, en français dans le texte.
La défaite des premiers tours n'auguraient rien de bon. Heureusement qu'il s'agissait du tour de chauffe, sinon l'issue du duel ne prendrait pas la tournure escomptée. Il se sentait tout d'un coup moins sûr de lui et moins fier. Mais pas question de se laisser avoir par la pression, il avait connu des duels plus serrés, plus difficiles, et des enjeux plus grands.
Il remportera la victoire.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
Mon personnage
❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Péroraisons sans raisons déplaisaient à Ryuji, c'était pourtant là un signe d'ouverture. Un échec ? En tout cas, ça ne marchait pas. Constatant qu'il se fourvoyait par delà les alignements d'anecdotes de voyage, pourtant à ses réminiscences truculentes et savoureuses, le professeur d'histoire tut sa voix dans une extinction progressive, baissant le volume peu à peu, comme une radio sur la fin de ses batteries. Lorsqu'enfin, il eut laissé la place au silence, il se sentit mieux à même de faire le point. D'un regard observateur, en académicien curieux, il détailla son vis-à-vis, cherchant des yeux les indices qui lui permettraient de déterminer le profil de son collègue. Parcourant les vêtements, les mimiques et les expressions contrariées qui s'offraient à sa vue, il tenta de déceler l'ethos derrière l'hexis.
Physique passe-partout, regard assuré. Il n'était pourtant pas sûr de lui. L'assurance provenait sans doute plus de l'indifférence face au jugement du quidam moyen que d'une réelle certitude sur ses capacités et sa valeur intrinsèque. Râle en français. Rien d'illogique, usage approprié de la langue adaptée à la finalité. Refus des cheveux courts, choix conscient visant vraisemblablement à renvoyer un imaginaire artistique. Élastiques au poignet toutefois, il ne faudrait pas que l'image attaque la praticité des mouvements du quotidien. Cette envie de gagner, de l'écraser pour assurer sa domination, ce n'était pas tout à fait de l'orgueil. Il n'avait pas besoin de gagner, il avait juste besoin de ne pas perdre. La peur d'échouer ? Ou de ne pas se montrer sous son meilleur jour ? Fier, démesurément fier, mais pas au point d'en être idiot. Fidèle, assurément, au point d'en être idiot. Chacun plaçait son quantum de balourdise dans la valeur qui lui seyait. Ce n'était pas un choix critiquable. Philosophiquement déontologue sur les bords. C'était attachant. Il vivait intensément, c'était admirable. Un manque de capacité à planifier les choses. Faute légère, on pouvait tout aussi bien se guider à la boussole, et savoir où l'on allait sans trop savoir où l'on était.
Yukio avait compris, au moins dans les grandes lignes. Voyant son adversaire laborieusement écouler ses cartes les plus faibles, tandis que la pioche s'amenuisait, il se lança dans une défense qu'il savait impossible à gagner, s'obligeant à ramasser l'ensemble de ce qui était vraisemblablement l'avant-dernier pli, et dilapida ses atouts en dépit du bon sens. Il ne fallut plus qu'une minute pour qu'il se retrouve avec encore quelques cartes en main, tandis que son collègue avait épuisé les siennes.
Avec un sourire imperceptible, le professeur d'histoire rassembla les cartes éparpillées sur la table, puis se leva, et, nonchalamment, prit la direction de son bureau, méthodiquement rangé. Sortant du revers de sa veste une petite clé, il ouvrit le tiroir le plus bas, sur la droite du meuble. D'un geste expert, il en sortit une bouteille de vodka et deux petits verres, qui firent un léger bruit en s'entrechoquant. Revenant calmement vers la table, il se laissa tomber sur sa chaise, posant ce qu'il portait sur le tablier avec une lourdeur un peu fatiguée. Se servant de ses deux mains pour ouvrir le contenant du spiritueux, il se mit à remplir les shooters, et laissa filer, avec amertume et sympathie:
- Alors camarade, si vous me racontiez ce qui vous énerve autant maintenant ?
- InvitéInvité
La partie n'allait pas bien, pas bien du tout. La tension de Ryuji était palpable, d'autant plus que son adversaire avait l'air de le détailler dans son esprit. Si bien que l'espace d'un instant, le trentenaire eut l'impression d'être un morceau de poisson sur l'étale d'un marché de son village d'enfance. Un frisson le parcourut. Il se crut revenir vingt ans en arrière face au regard de son paternel. Jaugé, jugé, détaillé sur toutes les coutures. Quelle mauvais coup avait-il fait, cette fois ? Quelle mauvaise note avait-il ramenée ? Quelle serait la prochaine déception de son père ? Un nouveau frisson et un léger craquement de la nuque. Il n'aimait pas du tout cette sensation d'être sondé, même quand cela venait d'autres personnes. Même les plus proches.
La partie était définitivement foutue. Le professeur d'histoire réunit les cartes éparpillées pour reformer un paquet compact et propre. Comme ça. Avec une certaine dextérité. Si Yukio était doué pour autre chose, c'était probablement les tours de carte. Ryuji ne serait pas étonné de le voir faire quelques tours de magie entre deux chapitres extrêmement barbants sur l'histoire de l'importation de bambou après la seconde guerre mondiale, ou quelque chose du genre. Un sujet barbant, en tout cas. Non, Ryuji n'affectionnait pas trop l'histoire et encore moins les professeurs qui se plaisaient à l'enseigner. Yukio Ogawa représentait, dans sa posture et son allure, tout ce qui l'avait révulsé pendant son enfance. Et voilà qu'il avait revêtit quelques secondes plus tôt l'habit du père de famille. Encore un frisson.
L'autre revint avec une bouteille de spiritueux intelligemment planquée derrière une serrure dans un tiroir de son bureau. Ryuji se promit de se souvenir de cette cache, elle pourrait être utile dans un avenir plus ou moins proche, ne serait-ce que pour jouer un mauvais tour. Deux verres accompagnaient la bouteille de ce qui semblait être de la vodka. Un verre devant eux, la scène avait tout d'une rencontre dans un tripot clandestin. Vint la question.Aucune idée.
, répondit-il sèchement en prenant son verre pour en avaler le contenu sans même trinquer. C'était une longue journée, je suis à cran, un peu au pied du mur aussi...
, finit-il par avouer une fois son verre vide. Il attendit que Yukio descende son shooter avant de les resservir et d'enchaîner : Et vous ? Une raison à votre air supérieur ? Nous ne sommes pas en amphithéâtre, à ce que je sache. Je vous trouvais plus avenant à l'afterwork en juillet dernier.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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Légèrement libéré de ses engoncés courroux par l'alcool et l'ambiance de prohibition qui régnait dans les lieux, Ryuji paraissait presque aimable. L'éthanol pouvait, en quelque occasion, calmer les ardeurs, et endormir les manifestations d'agressivité. Yukio ne voyait pas bien ce qu'il avait pu faire pour énerver à ce point son collègue. Il se savait certes agaçant, mais il y avait dans l'attitude de son artistique interlocuteur quelque chose de plus profond, comme une sorte de révulsion plus ou moins consciente. Tout en vidant son verre à courtes lampées, le professeur d'histoire se mit à lister des hypothèses en pagaille.
Première possibilité: il ressemblait au gars qui avait piqué son ex au gaillard. Seconde possibilité: Monsieur était un fashionista et désapprouvait le choix d'un noeud de cravate pinwheel. Si c'était là la vérité, il y avait effectivement matière à débat, et cela révélait une certaine qualité de positionnement. Troisième possibilité: traumatisé dans son enfance par un professeur d'histoire tyrannique, Ryuji le jeune en avait conservé une rancœur tenace. Il aurait quand même fallu une sacrée dose de rancune pour en arriver là. Quatrième possibilité: le mec était juste imbuvable avec tout le monde. Peu probable quand même, le mécheux mi-roux n'avait pas si mauvaise réputation, contrairement à son vis-à-vis, connu pour être le raseur du campus.
Avec du recul, le problème était peut-être bien là. Les envolées lyriques et les verbiages interminables ne plaisaient sûrement pas au collègue de Yukio. Trop pragmatique pour apprécier les allocutions esthétiques de l'historien, le designer préférait sûrement les propos tranchés et sans circonlocutions. Le brun encostumé était prêt à s'en vexer: être terre-à-terre n'impliquait ni de voler au ras du sol, ni de frapper sous la ceinture.
Prenant sur lui et sur ses propensions volubiles, Yukio entreprit de raccourcir ses phrases, tout en ayant la désagréable impression de désavouer sa propre nature.
- C'est juste ma manière de parler.
Il se sentait sale. Ni proposition incise, ni anaphore, ni adverbe, rien ! Même pas un archaïsme. A quoi en était-il réduit... C'était moche. Il était obligé de tourner sa langue dans sa bouche pour ne pas ajouter des précisions à son propos. Il luttait avec un dégout de lui-même qui lui provoquait une douleur presque physique. Avoir un père renfermé, taciturne, avare en paroles comme en gestes d'affection avait dû le marquer, il lui fallait combler le vide mutique de son enfance par un soliloque ininterrompu, compenser le silence appauvri de ses jeunes années par le développement foisonnant d'un idiolecte flamboyant. Mettre moins de huit mots dans une phrase. A part pour produire une rupture de ton, voilà qui était inconcevable.
N'y tenant plus, il ajouta tout de même:
- Vous êtes à cran ? J'aurais eu du mal à le deviner voyez. Et je suis toujours avenant pour qui sait être poli. Vous êtes au pied du mur... Je ne peux vous proposer que trois choses. Un avis pas forcément pertinent sur votre problème, un verre supplémentaire, ou les deux. C'est vous qui voyez.
- InvitéInvité
Ryuji ricana lorsque son collègue lui répondit qu'il s'agissait de sa façon de parler. Peu convaincu, le professeur de design regarda dans le fond de son verre pour vérifier s'il y restait la moindre goutte d'alcool pour faire passer ses ressentiments plus doucement. Non. Rien, nada. Tant pis, sa prochaine réponse serait aigrie, en attendant que son verre ne se remplisse miraculeusement tout seul ou que l'un des deux hommes ne craque et ne décide de servir une nouvelle tournée.Ouais ! A cran et aigri, je crois. Ca doit être la trentaine. J'aime votre sarcasme, ceci dit. A moins que vous ne soyez sérieux et là je m'inquièterais de vos capacités à lire le langage corporel. Je pensais que ma tête et mon amabilité de gardien de prison accompagné de sa porte étaient des signes suffisants.
Il secoua la tête de circonspection. Dire que le grand — au sens propre comme au figuré —, Yukio Ogawa n'avait pas réussi à lire en lui comme il lisait dans les étudiants. A croire que c'était un pouvoir uniquement disponible face à des gens sensiblement plus jeunes que soi. Peut-être y avait-il une sorte de limite, aussi ? Au bout de combien de temps perdait-on ce pouvoir, au juste ? Etait-ce possible de le récupérer, aussi ? Il secoua la tête de nouveau pour se reconcentrer.Vous me rappelez un vieux prof d'histoire mélangé à mon père. Je crois que c'est ça qui me fait le plus chier. Par contre vous avez une bouteille et nos verres sont vides, alors je veux bien accepter votre proposition. Plat N°3, monseigneur.
, lança-t-il après quelques secondes de blanc, en mimant un simulacre de révérence.
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
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La trentaine, voilà qui rendait aigri, pour sûr. C'était à cet âge-là, peut-être, qu'on perdait ses dernières illusions. A 30 ans, il était assez tard pour savoir des milliers des choses, et sûrement les plus importantes. A 30 ans, on savait pertinemment que l'on ne serait pas Vasco de Gama. A 30 ans, on s'épuisait généralement dans un couple où les revendications abdiquaient à la tranquillité du quotidien. A 30 ans, par dépit face au sentiment de son propre vieillissement, on se posait étrangement la question de sa propre postérité, et parfois, on en faisait un gamin. Trente années, c'était long, et plus que suffisant pour trainer des regrets, en sachant parfaitement qu'ils ne s'en iraient pas avant 40, avant 50, ou avant le bout. La trentaine: les premiers cheveux blancs, la première promotion manquée, le sentiment diffus de perdre son élasticité cérébrale, et la constatation consternée d'avoir à peine remboursé les intérêts du crédit sur 22 ans à taux fixe conclu auprès d'un établissement bancaire systémique. La trentaine: prise de conscience soudaine que les erreurs commises portent à conséquence. Non, vraiment, il y avait de quoi être acrimonieux.
C'était un peu face tu perds, pile je gagne: à 30 ans, on s'en voulait soit d'être propriétaire, soit de ne pas l'être. A 30 ans, on s'en voulait soit d'être père, soit de ne pas l'être, de s'être marié, ou de s'y être dérobé. Et, surtout, à 30 ans, on s'en voulait de se réveiller aux côtés de quelqu'un, ou d'ouvrir les yeux pour contempler sa solitude esseulée. Cette souffrance là, universelle, pouvait être partagée, d'un côté de la table, comme de l'autre. Ryuji faisait son âge. Yukio, lui, bien que plus jeune, vivait tranquillement à haute vélocité, un peu comme un pilote de bolide allemand confortablement installé dans son fauteuil en cuir, fonçant sur l'autobahn sans regarder le compteur. Moteur, c'est pas hybride, c'est V12, on ramasse ta sœur et ta couz'. En définitive, plus ça se passe et plus ça vend, si bien qu'il se donnait quand même comme plus âgé.
L'un dans l'autre, les deux professeurs devaient en être au même point de leur vie, à se poser des questions sans s'avouer les réponses, à crever d'erreurs impardonnables. C'était heureux, ils pouvaient boire ensemble à la promesse de leur crinière argentée, à leur nostalgie balbutiante, et se rapprocher malgré une incompatibilité évidente de caractère.
Toujours soucieux de respecter la sobriété militante de l'oreille attentive de son vis-à-vis, Yukio parla brièvement, joignant à ses paroles un geste destiné à refaire les niveaux sur la table.
- Je suis un vieux prof' d'histoire. En revanche, je ne sais pas si je me suis mélangé à votre père, c'est possible, il s'appelait comment ?
Il compléta:
- Pour ce qui est de la trentaine, je partage votre désappointement. La force de l'âge, c'est très surfait. La vodka, un peu moins, on sait à quoi s'en tenir. Un verre par espérance déçue... Il va nous falloir plus d'une bouteille !
Il descendit son verre.