Une offre qu'elle ne pourra refuser feat. Tessa Yorke

Le Concours International d'Affiches de Chaumont existe réellement ! Pour cadrer avec la réalité, j'ai décidé d'en faire mention, bien que le concours en lui-même ne soit pas celui-là

... et c'est donc sur ce projet-là que nous nous concentrerons ce trimestre. Des questions ?

Ryuji ralluma les lumières auparavant éteintes pour la projection sur le tableau. Quelques mains se levèrent, accompagnées de questions parfois pertinentes, parfois pas ; une rentrée qui commençait sur les chapeaux de roue après un long week-end ressourçant à Okinawa (enfin, pas si ressourçant que ça au final, mais suffisamment loin de Kobe pour qu'il puisse souffler un peu).

Le projet était simple sans pour autant être facile. Il consistait à revisiter entièrement l'identité graphique d'une marque au choix après en avoir identifié la philosophie et les lignes de forces, en se conformant à une grande inspiration graphique de l'histoire. Il avait projeté plusieurs exemples, de l'art contemporain à des choses plus classiques, sans faire de détour par le blanding, cette tendance à toujours tout vouloir standardiser qui le déprimait au plus haut point. Un beau petit projet sur plusieurs semaines avec suivis réguliers qui devraient les emmener tout doucement vers les prochains partiels. L'avantage de ce genre de travaux, c'est que les cours magistraux devenaient quasi-facultatifs, le professeur pouvant décider de se concentrer sur des corrections de groupe. C'est qu'il était futé, le Ryuji.

Les étudiants partirent progressivement après le balai habituel de remarques, questions et autres tentatives de corruption de sa personne. Il n'était pas spécialement le plus populaire des professeurs de l'université ou même de la section arts en particulier mais il commençait presque à avoir son petit fan club, des étudiants qui étaient prêts à toutes les bassesses pour obtenir de bonnes notes ou un coup de pouce, comme déposer du café en début de cours, lui proposer des sucreries en fin de semaine. Bien évidemment, il refusait (presque) toutes les offres. Ryuji n'était pas (si) corruptible (que ça).

Cependant, dans tous ces étudiants il y en avait une poignée qui se démarquait des autres, quelques un qui avaient un réel avenir dans le métier s'ils décidaient de partir dans cette voie-là ; et parmi eux, Tessa Yorke. Une fille sympathique, assez discrète mais qui en voulait à mort. Le genre d'enthousiasme qui poussa Ryuji à lui faire une proposition qu'elle ne pourrait refuser.

Mlle Yorke, je peux vous parler deux minutes ?, lança-t-il d'un air sérieux et un peu distrait, en rangeant son matériel dans son sac.

L'étudiante venait à peine de se lever pour passer à la suite de sa journée, probablement, elle dut paraître surprise d'être demandée par le professeur, c'était une chose qu'il faisait assez peu souvent ; en général d'ailleurs, c'était lui qui était harcelé en fin de cours et qui devait se débattre pour fuir la salle de classe, enfumer ses poumons dans le coin le plus discret possible avant de poursuivre sa journée. Cette rentrée de septembre était placée sous un signe totalement différent.

Pas de panique Miss Yorke, commença-t-il en affichant un sourire rassurant. Vous pouvez vous détendre un peu.

Elle affichait sa plus belle poker face mais Ryuji n'était pas dupe: il avait été jeune (aie) avant elle et étudiant aussi de surcroit, il connaissait les vieilles ruses. Une étudiante sans histoire subitement appelée au bureau du professeur, ça n'annonçait rien de bon en général : soit une remontrance en bonne et due forme, soit un professeur bien trop zélé qui dépassait le cadre de ses prérogatives d'enseignant. Heureusement pour Tessa, Ryuji Yamashiro n'était aucun de ces deux professeurs. Il sortit un tube de dessous du bureau, caché là en début de cours avant l'arrivée des étudiants. Il tendit le tube à son étudiante pour qu'elle en examine le contenu.

Tenez. lui dit-il en lui offrant le tube de transport. Vous pouvez l'ouvrir, c'est un tube de transport pour poster. Il y a quelques exemples d'affiches au style contemporain. Ca devrait vous être utile... Il marqua une petite pause, le temps de sortir une autre affiche, bien moins conservée que les exemples contenus dans le tube, qu'il accrocha avec nonchalance sur le tableau devant eux. J'aimerais vous proposer de participer au Concours International d'Affiches de Chaumont, en France.

Il prit une craie pour écrire le nom du concours, autant en romaji qu'en kanas. Il avait une vague idée des origines de Tessa, ne serait-ce que par ses nom et prénom, mais autant vérifier qu'il ne disait pas de bêtises en traduisant. Après tout, certes, il lui en parlait à elle pour l'instant mais il n'était pas exclu que d'autres étudiants y soient intéressés, alors autant déjà préparer le terrain dans sa tête pour le jour où il fera une annonce devant la classe. Il balança le cul de la craie dans un petit bac situé près de la poubelle non loin de la sortie, rata son coup. La précision sportive et lui, ça faisait deux. La craie finit tout de même sa course dans la poubelle.

Thème libre, seule contraire : ça doit être contemporain. Je vous renvoie à vos cours d'arts plastiques, hein. dit-il après un soupir d'exaspération en contemplant son échec. L'idée c'est que je vous coache personnellement en vue du concours, ça aura lieu à la rentrée prochaine, il vous reste une dizaine de mois à vue de nez pour préparer mais les inscriptions et la pré-sélection se clôturent en octobre.

Mais justement... dit-il en s'asseyant sur le bureau et en orientant son PC vers l'étudiante.

On pouvait y voir un collage des créations de Tessa, un beau florilège de tout ce qu'elle avait pu lui présenter. Du bon travail, à n'en point douter, mais avec une seul "ombre" au tableau, l'absence de créations plus contemporaines, moins classiques. Ryuji n'était pas forcément plus enclin à faire ce genre de travail mais il savait que plus on est capable de faire des choses différentes, plus les perspectives d'embauche sont grandes, pour peu que l'on se dirige vers ce domaine, bien entendu. Il se souvenait avoir dû se plier à l'exercice durant ses études à Tokyo, mais n'avait jamais imaginé un seul instant imposer ce même type de commande à ses étudiants. C'était violent, comme torture, quand même.

Vous travaillez très bien, vous comprenez parfaitement les concepts, vous êtes même bien en avance contrairement à certains projets que j'ai vus, même en quatrième année. poursuivit-il en fermant les yeux et en croisant les bras, pensif. Mais si vous voulez suivre cette voie à l'avenir, il vous faudra sortir de votre zone de confort et oser.

Il prononça le dernier mot en rouvrant les yeux, le regard déterminé fixé sur l'étudiante. Au fond le concours n'était qu'un prétexte, une belle excuse pour "justifier" ce devoir exceptionnel et sortant totalement du programme qu'il donnait ce quadrimestre. Le contemporain n'était pas à l'ordre du jour et cadrait même plutôt avec le programme de l'année suivante, mais Ryuji avait vraiment envie de prendre une poignée d'étudiants prometteurs sous son aile et les mettre un peu en difficulté pour voir comment ils pouvaient se débrouiller en conditions presque réelles.

N'anticipez pas trop. Il y a une sélection, n'oubliez pas. Considérez que c'est comme la peche : on lance sa ligne en voyant si le poisson mord.

L'étudiante était bien évidemment dubitative, une réaction que Ryuji aurait pu prédire même avant que l'idée ne germe dans son esprit. Elle se prenait bien trop là tête, il le savait, elle le savait et les autres étudiants devaient s'en douter aussi tellement cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Il sentit qu'il y avait un coup à jouer pour qu'elle sorte de sa crysalide et prenne pleinement son envol. Il regretta toutefois que le concours ne soit pas un concours lié au design de mode, elle était bien plus proactive dans ce domaine-là et forcément, bien plus douée, sans compter le fait que la proposition aurait pu lui paraître plus alléchante qu'un concours d'affiches contemporaines.

Il posa ses lunettes sur le nez et fronça les sourcils en croisant les bras. Il devait paraître le plus sérieux possible pour détailler en quoi allait consister son accompagnement spécialisé et éprouvé par des années de pratique (spoilers: non, ndla).

C'est plutôt simple, cela consiste à faire des heures supp' avec votre serviteur – il ouvrit le bras droit comme dans une révérence –, après les cours bien évidemment. On repassera en revue les finalistes des dernières éditions, on identifiera les éventuels points communs et divergents dans leurs créations pour repérer ce qui pourrait plaire à un jury-type (...)

Il se perdit lui-même dans ses propres explications que nous vous ferons grâce de passer, l'important étant qu'il proposait effectivement à son étudiante du travail supplémentaire alors qu'elle en abattait déjà pas mal ; après tout personne ne nait prodige, c'est en forgeant que l'on devient forgeron et autres maximes du genre. Quant à sa méthode, elle n'avait rien de révolutionnaire et consistait surtout à répéter plusieurs fois jusqu'à atteindre la satisfaction, car la perfection n'existe pas. Dans d'autres termes: faire ce qu'il dit et surtout pas ce qu'il faisait lui-même car comme tout bon cordonnier, c'était le plus mal chaussé en ce qui concerne les conseils pour créer, et en particulier créer sans pression.

Maintenant c'est à vous de voir... conclut-il après son très long, trop long, exposé. Si vous en avez le cran. Je ne vous en tiendrai pas rigueur si jamais vous préférez ne pas vous mouiller, je comprendrai.

La dernière phrase était intentionnellement provocatrice, un coup de pied dans la fourmilière appuyé par un regard vif dirigé vers la jeune femme. Si les encouragements ne fonctionnaient pas, il essayera la provoc.

L'étudiante était piquée au vif, parfait, c'était la réaction voulue par son professeur qui prit immédiatement une posture plus posée et moins vindicative une fois ses arguments délivrés. Au fond il voulait avant tout savoir quelles étaient ses limites, ses contraintes ; tout ce qui pouvait l'empêcher de prendre part à ce genre d'initiative. Il le savait pertinemment que ce n'était pas une question de cran, il avait entendu parler des quelques restrictions la concernant, sans entrer dans les détails. Il savait ce qu'il avait besoin de savoir, rien de plus, rien de moins.

Si jamais j'ai pensé à vous et que je vous propose un coaching, c'est bien parce que j'ai consciences de vos petits soucis, Miss Yorke. reprit-il en se frottant les sourcils. L'idée n'est pas de vous épuiser à la tâche, rassurez-vous. J'ai voulu vous pousser dans vos retranchements pour que vous parliez de vous-mêmes de vos limites. C'est important de les connaître avant de se lancer dans n'importe quel projet.

Il ne disait pas que des conneries, le prof de design, ses propres mentors seraient fiers de lui, à n'en point douter. Il avait réussi à mener sa barque pour obtenir l'information capitale en sortant l'étudiante de ses réserves, c'était une victoire en soi et il aurait pu s'en féliciter s'il était à ce point arrogant. Contrairement à certains de ses collègues artistes et/ou professeurs, il était encore suffisamment humain pour avoir assez de compréhension. Il referma le clapet de son ordinateur et reprit place sur le bureau.

Clairement, j'ai assez donné avec les parents. Puis si j'ai décidé d'enseigner à l'université c'est pour avoir affaire aux étudiants, par leurs parents. repondit-il avec un peu de cynisme, il le savait que l'implication des parents de Tessa n'étaient pas forcément de son fait à elle. Quant à l'organisation générale de ces heures supplémentaires, j'avais pensé à soit des rendez-vous réguliers au cours de l'année, une ou deux fois par semaine, un peu comme une permanence, soit un suivi à distance. J'ai entendu parler du bien de ce genre de méthode un peu moins conventionnelle. Nous pourrions faire le point en visio une fois par semaine, comme une sorte de rapport ou journal de bord. Le format m'importe peu, la durée aussi au fond, ce qui m'intéresse c'est observer comment vous évoluez dans un contexte semi-réel d'un travail collaboratif. Il marqua une pause pour sortir un formulaire déjà pré-rempli avec ses données personnelles, qu'il tendit à Tessa. Parce que je compte bien me présenter avec vous, Miss Yorke.

Il l'observa calmement, en attendant sa réaction.

Aperçu de l'affiche en pop-up si tu passes ta souris sur les mots en gras et souligné

Le professeur de design sourit lorsque son étudiante lui demanda le délai final pour l'inscription. Dans un sens, il avait gagné, elle était visiblement intéressée par le concours, à moins que ce soit le genre de fille à ne pas pouvoir être en mesure de dire non quand on lui demande quelque chose ? Ryuji devait s'en assurer.

Mais avant ça il sortit de sa besace une affiche grossièrement enroulée, avec très peu de soin tant il y avait de plis visibles même depuis la position de Tessa puis la colla aussi grossièrement sur le tableau de l'amphithéâtre avant de tapoter du bout d'une règle qui traînait par là les éléments visibles sur elle: le nom vague d'un événement en français, une date, un lieu, du visuel très conceptuel et surtout son nom en bas à droite suivie d'une année de participation au dit concours.

Voilà un peu le genre de travail demandé. dit-il pendant qu'il passait en revue les quelques éléments sur l'exemple. En général oui c'est le genre de concours qui se fait en solo, mais les collaborations sont autorisées. Seul détail: il faut inscrire les deux participants mais seul l'un d'entre eux est repris comme "auteur principal"... et si tu acceptes l'offre, j'aimerais que ce soit toi parce qu'on bossera à deux sur ton projet à toi.

Il afficha un grand sourire aussi chaleureux et rassurant que possible à l'étudiante. Il avait conscience que c'était une offre intimidante, surtout venant de la part de son professeur. Après tout, c'était également dans ce contexte qu'il avait lui aussi participé pour la première fois, chapeauté par un prof-mentor mais il était venu avec son projet, son concept, ses idées, il avait décidé de tout ou presque et avait même dirigé son professeur ! Le travail d'un directeur artistique en somme, bien que la réalité du terrain était moins rose et moins conviviale mais il ne le découvrit que plus tard.

Quant aux délais, ils attente l'envoi du formulaire pour la fin-septembre pour participer à la première vague de sélection... Ce qui laisse quelques semaines quand même mais plus tôt on aura envoyé, plus tôt on pourra s'y mettre.

Des candidats, Ryuji en avait beaucoup, presque tous ses étudiants de troisième année, en réalité, même s'il n'excluait pas la possibilité de débaucher l'un ou l'autre première année prometteur, comme par exemple le petit protégé de Tessa en tutorat... un certain Shintaro Lawson ? Il avait un doute.

En tout cas il ne manquait pas de candidats mais avait décidé de jeter son dévolu sur Tessa Yorke, pour toute une série de raisons qui ne le regardait que lui. Pour l'heure, il devait finir de convaincre son étudiante.

Pour être franc, j'en ai peut-être mais si j'ai décidé de vous proposer cette offre à vous, c'est bien pour une bonne raison, non ? il se gratta le front avec le pouce en réfléchissant. Quand j'avais votre âge j'ai eu un prof qui m'a pris sous son aile et sans lui, je ne pense pas que j'aurais eu le parcours que j'ai eu. Je me suis dit que ce serait un beau retour d'ascenseur de faire pareil à mon tour.

Aucun baratin pour le coup, il avait été réellement pris sous l'aile d'un mentor pendant ses années sur les bancs de la fac. L'opportunité lui avait ouvert plusieurs portes dans le monde du travail, lui avait permis de rencontrer plusieurs professionnels, ... ; bref, ça lui avait bien profité, alors pourquoi ne pas en faire de même ?

Enfin elle parut convaincue, Ryuji lui rendit son sourire sincère. Au final ça lui faciliterait la tâche qu'elle soit à minima enthousiaste dès à présent, car cela n'allait pas s'arranger en allant, il fallait qu'elle garde cette motivation, qu'elle l'entretienne, même. De son côté, il fera son possible pour la titiller suffisamment pour qu'elle soit toujours stimulée. Il eut une idée.

C'est un peu le même principe ! Bon, maintenant, le concept de stage au Japon c'est pas trop trop ça mais on fera comme si ! dit-il en commençant à fouiller dans son sac après avoir rangé son ordinateur.

Il cherchait un petit classeur somme toute insignifiant en apparence mais qui se révélait être un classeur pour cartes de visites. Il avait pris l'habitude de prendre toutes celles qu'il croisait, en double, pour en faire une petite collection en conservant les plus originales ; quant aux autres, elles serviraient bien à un moment ! Dans ce cadre précis, il cherchait sa propre carte de visite, il n'en avait plus imprimées depuis son départ de son ancien job mais était certain d'en avoir conservé au moins une copie. Enfin il trouva, la sortit du classeur et regarda si les informations étaient encore exactes et mis-à-part le mail dont il ne se servait quasi plus, tout était encore bon.

Tenez, c'est ma carte de visite. N'hésitez pas à me contacter, il y a un ancien mail pro mais si vous préférez me contacter via l'adresse institutionnelle, vous pourrez la trouver dans l'annuaire des professeurs sur la plateforme en ligne. Si vous préférez des SMS je vous autorise à me contacter par ce biais, je remettrai en route la carte associée, c'est un ancien numéro pro aussi mais il devrait encore être attribué.

Il se retourna et la tendit à l'étudiante. Il espérait sincèrement qu'elle ne prenne pas ce geste comme étant déplacé, il avait déjà eu bien des des problèmes précédemment avec d'autres étudiantes ; des tempêtes dans des verres d'eau mais le moins de remous il faisait, le mieux il se sentait.