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![[Tokyo] Au rythme des rails | solo Empty](https://2img.net/i/empty.gif)
Au rythme des rails
Le fer secoue le corps de Moon d’un rythme saccadé. Les arbres défilent et battent la mesure, d’un temps qu’elle aurait voulu éviter. Les yeux clos, elle lui tarde de rentrer. Six heures à Tokyo. Six heures de trop. La saison des pluies ne s’est toujours pas manifestée, et la chaleur des astres a brûlé ses épaules. Le tissu de sa robe frotte et frotte, comme du papier de verre, sa peau abîmée. Elle est toute serrée, dans son vêtement religieux. C’est à peine si elle peut respirer.
Soudain tout s’arrête. La cloche du passé, de quand elle était heureuse, tint d’un timbre à l’harmonie désolée. Elle doit se confronter aux œillades, aux mots soufflés, de ses anciens compagnons. Alors qu’elle pose un pied sur le quai, son ventre se noue de peur d’un rêve frustré. Celui que ce midi sera une exception et qu’enfin, elle trouvera la paix.
Moon ! Quel plaisir de te revoir !
Minami. Petite, blonde, trop gentille. Ses bras enlacent les épaules douloureuses de Moon. Elle s’en serait bien passée. Étudiante, elle n’était pas la dernière des danseuses. Depuis qu’elle a passé la bague au doigt, plus question de déroger au couvre feu. Moon s’échappe du piège.
Minami, que deviens-tu ?
En une phrase, Moon allume la machine à paroles. Les mots se déversent de la petite blonde, sans atteindre leur cible. Moon n’a plus grand chose à faire de la vie de Minami. Balancés par la conduite terrifiante de la mère de famille, le cœur et l’estomac de la coréenne menacent de déborder. Le moulin n’a toujours pas cessé les ragots.
Porte ouverte, chaussures retirées, sac posé dans l’entrée. Caressée par l’air frais du climatiseur, Moon est presque heureuse d’être arrivée. Pourtant, la petite maison de Minami est triste à en mourir. Sombre, blanche, couverte de photographies à l’honneur de la petite famille. Dans ses mains, Moon tient fermement un petit paquet cadeau. Le papier argenté est parfaitement plié, malgré le voyage.
Les garçons ! Moon est arrivée !
Le cœur de Moon se resserre. Yuki, le divin enfant, s’élance dans le couloir, pour s’échouer dans les bras de sa marraine. Il est bien la seule raison pour laquelle Moon a fait le voyage jusqu'à Tokyo. Elle l’enserre, respire son odeur, avant de le relâcher et de lui tendre le petit paquet. Il ressemble tellement à son père…
Elle aurait pu être heureuse de le voir, s’il n’avait pas choisi Minami. Brillant, drôle, élégant, il avance dans le couloir plus beau que jamais. Contrairement à sa femme, la vie conjugale ne l’a pas abîmé. Moon mord sa joue lorsque Takumi l’enlace.
Je suis si heureux de te revoir.
Tu sais que je suis là pour Yuki.
Des murmures, presque secrets, qui doivent rester interdits. Si seulement elle pouvait passer à autre chose, comme il a pu le faire. Minami ne sait rien de leur relation passée. La blonde et le brun n’étaient qu’un jeune couple lorsqu’il s’est laissé séduire par la froideur de Moon. Ils ont profité, de nombreuses nuits, d’un amour condamné. Mais quand le temps est venu de se marier, Takumi a préféré Minami.
On n'épouse pas les coréennes.
A table !
Moon tire la chaise, en face de Yuki. Un ange. Un résultat improbable. De grands yeux, des cheveux soyeux, tout ce qu’elle aurait aimé faire avec Takumi. Terriblement jalouse, elle ne se permettra jamais de l’avouer. Yuki, elle l’aime tant. Minami n’a jamais appris pour leur liaison. Takumi n’aurait jamais eu le courage de le lui dire. Alors, naturellement, Moon a été élue marraine de l’enfant.
Le jour de l’annonce, Moon a vomi de tout son saoul dans les petites toilettes de son appartement. Elle s’est affamée quelques jours. Plus une goutte d’eau ne pouvait se glisser entre ses lèvres. Takumi avait eu un enfant avec Minami.
La coréenne n’est pas fière de cette histoire, ni de la garder secrète, mais il lui est impossible d’avouer quoi que ce soit à son amie. Elle ne veut pas lui faire du mal. Mais surtout, il lui est inimaginable de ne plus voir les yeux de Yuki… Ni ceux de Takumi.
A chaque fois que leurs regards se croisent, elle aimerait pouvoir se raccrocher à lui. Goûter de nouveau à ses lèvres. Au fond, elle en est persuadée, lui aussi pourrait craquer. Parfois, Moon se demande si Minami le sait. Si elle aussi le cache, pour garder la face. Leurs amies ne tiennent pas leur langue, et même si Minami est l’ange, et Moon le démon, pas question de laisser courir les rumeurs d’un adultère. Takumi a toujours donné l’impression d’être le petit-copain parfait. Puis le mari parfait.
Tsuki ! Un surnom affectif que l’enfant a choisi en apprenant la traduction du prénom de Moon de l’anglais au japonais. Tu m’aides à souffler mes bougies ?
Bien sûr, mon ange.
Sur le quai de la gare, direction Kobe, Moon a la nausée. Le trajet retour est encore plus dur que l’aller. Chaque au revoir avec les deux garçons qu’elle aime est un couteau dans le cœur. Elle voudrait rêver au scénario d’une comédie romantique. Mais, alors que le train démarre, pas l’ombre d’un Takumi sur le pavé.
De retour dans son triste appartement, dans sa triste chambre, entourée d’un triste silence, elle court jusqu’aux toilettes, s’affale et verse toute sa frustration. Dans le mouvement, sa robe craque le long de son dos. Elle est pathétique. Trentenaire et toujours empêtrée dans des fantasmes d’adolescentes.
Les yeux embués de larmes, elle se sert dans son placard à alcool, histoire de se rincer la bouche. Un verre, puis un autre de trop. L’alcool ne comble aucune fissure.
#terminé
Soudain tout s’arrête. La cloche du passé, de quand elle était heureuse, tint d’un timbre à l’harmonie désolée. Elle doit se confronter aux œillades, aux mots soufflés, de ses anciens compagnons. Alors qu’elle pose un pied sur le quai, son ventre se noue de peur d’un rêve frustré. Celui que ce midi sera une exception et qu’enfin, elle trouvera la paix.
Moon ! Quel plaisir de te revoir !
Minami. Petite, blonde, trop gentille. Ses bras enlacent les épaules douloureuses de Moon. Elle s’en serait bien passée. Étudiante, elle n’était pas la dernière des danseuses. Depuis qu’elle a passé la bague au doigt, plus question de déroger au couvre feu. Moon s’échappe du piège.
Minami, que deviens-tu ?
En une phrase, Moon allume la machine à paroles. Les mots se déversent de la petite blonde, sans atteindre leur cible. Moon n’a plus grand chose à faire de la vie de Minami. Balancés par la conduite terrifiante de la mère de famille, le cœur et l’estomac de la coréenne menacent de déborder. Le moulin n’a toujours pas cessé les ragots.
Porte ouverte, chaussures retirées, sac posé dans l’entrée. Caressée par l’air frais du climatiseur, Moon est presque heureuse d’être arrivée. Pourtant, la petite maison de Minami est triste à en mourir. Sombre, blanche, couverte de photographies à l’honneur de la petite famille. Dans ses mains, Moon tient fermement un petit paquet cadeau. Le papier argenté est parfaitement plié, malgré le voyage.
Les garçons ! Moon est arrivée !
Le cœur de Moon se resserre. Yuki, le divin enfant, s’élance dans le couloir, pour s’échouer dans les bras de sa marraine. Il est bien la seule raison pour laquelle Moon a fait le voyage jusqu'à Tokyo. Elle l’enserre, respire son odeur, avant de le relâcher et de lui tendre le petit paquet. Il ressemble tellement à son père…
Elle aurait pu être heureuse de le voir, s’il n’avait pas choisi Minami. Brillant, drôle, élégant, il avance dans le couloir plus beau que jamais. Contrairement à sa femme, la vie conjugale ne l’a pas abîmé. Moon mord sa joue lorsque Takumi l’enlace.
Je suis si heureux de te revoir.
Tu sais que je suis là pour Yuki.
Des murmures, presque secrets, qui doivent rester interdits. Si seulement elle pouvait passer à autre chose, comme il a pu le faire. Minami ne sait rien de leur relation passée. La blonde et le brun n’étaient qu’un jeune couple lorsqu’il s’est laissé séduire par la froideur de Moon. Ils ont profité, de nombreuses nuits, d’un amour condamné. Mais quand le temps est venu de se marier, Takumi a préféré Minami.
On n'épouse pas les coréennes.
A table !
Moon tire la chaise, en face de Yuki. Un ange. Un résultat improbable. De grands yeux, des cheveux soyeux, tout ce qu’elle aurait aimé faire avec Takumi. Terriblement jalouse, elle ne se permettra jamais de l’avouer. Yuki, elle l’aime tant. Minami n’a jamais appris pour leur liaison. Takumi n’aurait jamais eu le courage de le lui dire. Alors, naturellement, Moon a été élue marraine de l’enfant.
Tu as tellement fait pour nous deux, c’était un choix évident.
Le jour de l’annonce, Moon a vomi de tout son saoul dans les petites toilettes de son appartement. Elle s’est affamée quelques jours. Plus une goutte d’eau ne pouvait se glisser entre ses lèvres. Takumi avait eu un enfant avec Minami.
La coréenne n’est pas fière de cette histoire, ni de la garder secrète, mais il lui est impossible d’avouer quoi que ce soit à son amie. Elle ne veut pas lui faire du mal. Mais surtout, il lui est inimaginable de ne plus voir les yeux de Yuki… Ni ceux de Takumi.
A chaque fois que leurs regards se croisent, elle aimerait pouvoir se raccrocher à lui. Goûter de nouveau à ses lèvres. Au fond, elle en est persuadée, lui aussi pourrait craquer. Parfois, Moon se demande si Minami le sait. Si elle aussi le cache, pour garder la face. Leurs amies ne tiennent pas leur langue, et même si Minami est l’ange, et Moon le démon, pas question de laisser courir les rumeurs d’un adultère. Takumi a toujours donné l’impression d’être le petit-copain parfait. Puis le mari parfait.
Tsuki ! Un surnom affectif que l’enfant a choisi en apprenant la traduction du prénom de Moon de l’anglais au japonais. Tu m’aides à souffler mes bougies ?
Bien sûr, mon ange.
Sur le quai de la gare, direction Kobe, Moon a la nausée. Le trajet retour est encore plus dur que l’aller. Chaque au revoir avec les deux garçons qu’elle aime est un couteau dans le cœur. Elle voudrait rêver au scénario d’une comédie romantique. Mais, alors que le train démarre, pas l’ombre d’un Takumi sur le pavé.
De retour dans son triste appartement, dans sa triste chambre, entourée d’un triste silence, elle court jusqu’aux toilettes, s’affale et verse toute sa frustration. Dans le mouvement, sa robe craque le long de son dos. Elle est pathétique. Trentenaire et toujours empêtrée dans des fantasmes d’adolescentes.
Les yeux embués de larmes, elle se sert dans son placard à alcool, histoire de se rincer la bouche. Un verre, puis un autre de trop. L’alcool ne comble aucune fissure.
#terminé
Dimanche 20 août 2017
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