[Terminé] - Aquarium - Le regard de la Méduse | ft. Ryuji

Le regard de la méduse

Feat. Moon Kawaguchi

12 août 2017

"Je vois", avait-elle fini par lâcher des suites du monologue du prof de design, qui dut lui paraître interminable. Lorsqu'il était lancé dans ce genre de tirade, qu'elle soit inspirée ou non, sa perception du temps était comme altérée. Il n'était donc pas rare que ce qui lui paraissait ne durer que quelques secondes avait en vérité duré plusieurs minutes. Plusieurs longues minutes. Il s'était habitué, les autres un peu moins. Il espéra qu'elle s'en était déjà accommodée.

Il lui rendit son sourire qui l'avait quelque peu rassuré sur la qualité de ses explications. Elle semblait satisfaite de la réponse et il l'était un peu aussi ; espérant juste ne pas s'être montré plus ridicule que nécessaire. "Pas une fois de plus, pitié Ryuji., lui disait la voix de la raison quelque part au fond de sa tête, en écho bien marqué. Un simple et naturel "Rentrons" le sortit de sa gamberge. Une phrase, proposition, demande (?) qu'il ne s'attendait pas à entendre venant de sa bouche, mais qu'il espérait voir sortir d'entre ses lèvres rouges. Il sourit en la suivant dehors puis déchanta lorsque la chaleur écrasante de l'été de Kobe le ramena à sa place de simple mortel sensible aux rayons UV.

Argh... C'est infernal. Suis-moi. lui dit-il en lui prenant gentiment le sac des mains et en lui proposant sa main en échange.

Ils se mirent en route vers le fameux bâtiment où ils logeaient tous deux, ce même bâtiment qui avait coupé court à leur premier rendez-vous en juillet dernier. Foutu hasard, hein. A moins que cela ne soit encore pire et qu'on parle de destin, à ce moment là ce serait se moquer des gens sans aucune once de honte, vicieusement, comme un gosse armé d'une loupe qui suit à la trace deux fourmis. Les fourmis en question fuyaient le soleil, s'engouffrant dans les rares petites rues situées entre deux bâtiments assez haut pour projeter une bulle d'ombre salvatrice. Ryuji les connaissait bien, il avait pris l'habitude de suivre cet itinéraire pour revenir à l'appart dans ce genre de cas de figure. Il avait aussi appris sa leçon. Rentrer, certes, mais profiter du chemin, des quelques minutes lui restant en sa compagnie avant d'arriver au moment fatidique de la séparation.

Sauf qu'il n'en avait aucune envie.

Ils arrivèrent bien plus vite qu'il ne l'ait voulu devant le bâtiment, qui n'avait évidemment pas changé d'un iota. Toujours aussi imposant à sa façon. Le hall n'avait pas changé en quelques heures non plus, bien-sûr. Toujours aussi oubliable, toujours aussi chiant, mais il y faisait plus agréable qu'en-dehors, c'était ça de pris ! Il respira un peu mieux mais avait hâte de rentrer...

Mais rentrer où, au juste ?

La formule de Moon lui revint en tête comme un boomerang. Elle n'avait pas mentionné où. Cela devait sous-entendre "chacun chez soi et les hippopotames seront bien gardés" ou quelque chose de moins ridicule mais avec le même sens. Du coup il entreprit de gravir la longue ascension vers le deuxième étage de l'immeuble, qu'il pourrait renommer en l'étage des soupirs tant il en avait réprimés depuis un bon mois.

Il s'arrêta net dans la cage d'escaliers, pile devant la porte de l'étage, comme pour marquer une pause. Sa main entourant toujours doucement celle de sa coréenne d'une journée. Il attendit. La moindre remarque, le moindre son, le moindre tressaillement de la main de Moon.

Etait-il le seul ?

Après avoir épargné sa salive tout le long du trajet, il se retourna vers elle, lui tenant toujours la main comme un Thésée se raccrochant au fil d'Ariane dans le Labyrinthe. Il la regarda dans les yeux, la détailla comme s'il n'allait pu pouvoir le faire pendant plusieurs longues semaines encore une fois, tentant de graver une image rémanente suffisamment fidèle de ses traits pour les coucher sur papier, de la forme de son nez aux boucles de ses cheveux formées par sa manie de rabattre ses mèches rebelles derrière ses oreilles.

Mais il ne dit mot, se contentant de s'approcher d'elle doucement, pas comme un prédateur mais comme un ami. Lentement avec le respect qu'elle méritait. Il n'allait pas refaire de kabedon cette fois. Il voulait juste profiter de ce moment d'intimité fugace pour (la) goûter avant de devoir probablement la laisser. Une fois encore, la distance entre leurs deux corps était si fine qu'il doutait qu'une feuille de papier puisse s'y glisser.

Moon... murmura-t-il à son oreille, dans un soupir.