[Terminé] Blind date, bienvenue en enfer

Depuis son arrivée à Kobe, Cassius est obsédé par une certaine personne, il parait même épris par celle-ci au point de s'y abandonner. La vérité est muette. Toutefois, cela ne détourne pas Cassius de ses petites instances car l'information et la désinformation restent primordiales dans la propagation d'une rumeur jusqu'au boudoir de famille, jusqu'aux oreilles de ses parents. C'est plus ou moins le principe de réputation, que Cassius s'évertue à tenir sinon à ternir.

La fin des examens est une bonne occasion de refaire circuler des on-dits à son sujet. De quoi passer son bonjour à ses parents. *Le prix de l'indécence se paie assez bien par le flirt.* songe-t-il narquois tandis qu'il est assis parmi un groupe de jeunes célibataires, pour une soirée rencontre. Il avait accepté juste plus tôt de s'ajouter au gokon afin de compléter le nombre de participants masculins. Un garçon de son club l'avait abordé pour ça et il avait accepté de rendre service. Sans la moindre intention sincère cela dit. De vague intérêt, il se complait dans la réserve puisqu'il ne veut conquérir personne ici. Il parle peu, sourit factice et ne s'attarde pas. Puis vient le tour de se présenter.

— Cassius Marshall-Siegren.

Quand on lui demande quel est son type de fille, il se contente de répondre sans répondre puisque la question est stupide.

— Ça dépendra qui m'aura fait bonne impression. déclare-t-il énigmatique.

Il laisse alors lui-même une impression distante et malaisante qui s'en suit rapidement par l'enchaînement du tour de table. Il observe alors les réactions d'autrui, cherchant à savoir quelle personne est susceptible de l'intéresser un minimum pour passer cette soirée pénible. Son choix s'arrête assez vite sur une demoiselle brune, tout au mieux aussi distante et inintéressée que lui. Il ne l'aborde pas, elle est assise juste en face de lui et il soutient son regard sur elle, le faisant peser exprès pour la mettre mal à l'aise.

Cassius est ravi de constater que la dénommée Tessa Yorke, en laquelle il place tous ses espoirs ce soir-là, montre déjà de l'audace. Celle-ci est de bonne augure car non seulement, elle désigne le divertissement mais elle plaque également le désintérêt. Cassius a déjà remarqué les regards languis pour lui, en outre, les plus évidents évitent simplement de soutenir le sien. Ou alors, ils débordent de lueur transie, pour les plus épris évidemment. Pour Tessa, aucune des deux indications ne précède. Idéal pour Cassius qui ne recherche aucune approche sérieuse en affection.

Elle se lance même dans la conversation, tandis que le groupe jase à côté, ça ne pose pas de problème qu'ils commencent à discuter tous les deux. La question qu'elle pose l'intrigue immédiatement et quand leurs regards se croisent fermement, tel un bras de fer, Cassius penche la tête sur le côté. Adossé contre la banquette, il s'y accoude et repose une partie de son visage contre sa main, l'index et le majeur sur la tempe.  *Oh... en voilà une qui est finalement bien informée.*

Bien sûr, l'entreprise familiale Marshall était connue dans le domaine pharmaceutique, toutefois le nom en lui-même n'évoquait pas forcément grand-chose au premier venu. Au contraire, c'était même assez vague et inconnu dans la masse, un peu comme pour retenir le nom d'un médicament mais pas son fabricant ni sa composition. Il en conclut donc instantanément que Tessa connaît forcément quelqu'un du groupe Marshall, à moins d'avoir un intérêt pour l'industrie pharmaceutique.

— Peut-être que oui, peut-être que non. rétorque-t-il, hautain.

La réponse provoque de toute évidence. Il ne répond pas par oui ou non, cela est bien trop facile. Néanmoins, Cassius ne laisse pas son coup au hasard et prend le temps de bien disséminer les informations qu'il accepte de délivrer.

— Quoiqu'il me faudrait sûrement un remède contre le mal d'amour. fait-il presque éploré tant sa voix traîne, alors que son regard oblique dépeint un sarcasme ouvert.

Remède, médicament, pharmaceutique. Bête acheminement. Subtilité sans effort.

Dans le comportement de Tessa, il note de l'itinérance à l'orgueil et au préjugé, qui semble en dire suffisamment sur elle. Il ne rétorque rien et pose volontairement une élude sur le superflu. Il laisse passer un silence pour bien marquer le fait d'ignorer totalement ce qui ne trouve aucun écho dans son intérêt. Il n'a pas à répondre à des piques, il voit bien plus loin dans cette façon qu'elle a de lui parler. Tessa sait des choses au sujet de sa famille, par expérience ou par occurrence, et Cassius l'a senti, l'a compris. Il ne manque que du détail pour mettre le doigt dessus.

Cassius n'a jamais rencontré Tessa auparavant, de ça il demeure certain. Drôle hasard que de se retrouver assis en face d'une demoiselle qui réagit au nom Marshall. Il choisit de jouer à un jeu d'impudence avec elle puisqu'il y a déjà méfiance de sa part, à son égard.

— Je t'intrigue ? demande-t-il en rehaussant un sourcil sur un doux sourire suggestif.

Des boissons sont disposées sur les tables par le service. Les verres viennent se glisser entre lui et Tessa. Du thé glacé pour convenir à tout monde. Dans le brouhaha de la salle de karaoké, Cassius ne quitte pas Tessa du regard. Il lui donne volontiers toute son attention. Puis, il baisse les yeux un instant sur le verre qu'on lui a servi. Il trempe le bout d'un doigt, l'annulaire, dans la boisson avant de passer celui-ci tout autour des bords du verre, en cercle. Enfin, il vient porter son doigt jusqu'à sa bouche et sa langue, prenant goût langoureusement de l'arôme du thé glacé. Le tout en ayant relevé un regard presque suave sur Tessa.

Pour Tessa, ce geste ne signifiera peut-être rien d'autre que la dubitation, pour Cassius, cela marque l'objectif de la soirée. *Un trompe-l'ennui comme je les aime.* C'est entre eux deux désormais et il compte bien obtenir ce qu'il veut.

En tout cas, cette fille est très douée pour rester de marbre, même si chaque réaction ou non-réaction suffit à donner des informations à Cassius. Il serait plus juste de dire qu'il s'en contente comme de preuves et les interprète comme bon lui semble et comme ça l'arrange, lui. En outre, il en conclut que Tessa sait se tenir sur ses nerfs, toutefois Cassius ne rejette pas la possibilité de lui faire du charme, puisque son nom seul suffit à l'ébranler. Il pense donc qu'elle n'est pas aussi insensible à son charme qu'elle le laisse paraître.

Cassius entre donc dans la pratique de sa théorie. Car si Tessa fait une bonne joueuse de poker, Cassius lui est bon public. Comme les prémices d'un jeu d'échecs qu'il va faire avancer, il cherche à décrocher des réactions par-ci par-là puis à dérober des indices. Il s'accoude à la table, les mains jointes sous le menton. Ce faisant, il réduit la distance qui le sépare de son interlocutrice puisqu'il se met, littéralement en avant.

— Ah oui ? Dis m'en plus. encourage-t-il, sans cacher son intérêt qu'il expose via une voix toujours plus suggestive.

Il prend le pari de demander directement, ça lui évitera de se fatiguer trop dur. Après tout peut-être qu'il se trompe et que cette fille n'est pas aussi orgueilleuse qu'il le soupçonne. Ce qu'elle lui a révélé l'amène déjà sur une piste solide mais il ne quitte pas pour autant sa manœuvre car en fait, ça l'amuse de jouer aux feintes avec elle. De son côté, il montre aussi un peu de son jeu à Tessa, lui parlant volontairement d'un sujet précis.

— J'imagine que cet autre Marshall t'a fait forte impression, ce serait terrible si je devais ranimer le trouble dans ton esprit. lui fait-il sournoisement remarquer avant qu'elle ne lui réponde.

Et il pense alors tout à fait ce qu'il lui déclare, de l'arrogance jusqu'à l'impertinence.

Elle tourne autour du pot sans vraiment y tourner.

— C'est suggestif comme je l'aime. dit-il d'un ton avili, suivi d'un soupir dans l'exagération de sa déception.

Cassius confirme ce qu'il a déjà deviné. Tessa lui avoue connaître Neil I. Marshall, son cousin direct. La coïncidence ne le frappe pas. Il s'en contrefiche même totalement dans les faits. Toutefois, en regroupant toutes les informations qu'il possède et celles qu'elle semble détenir ou non, Cassius ne peut s'empêcher d'éprouver de la suspicion à son égard. Pour ainsi dire, il flaire un soupçon sous-jacent. Il décide de la mettre à l'épreuve encore une fois.

Par posture, il prend du recul, se réadossant à la banquette.

— Mais je suis aussi fils de PDG, la belle affaire n'est-ce pas ? déclare-t-il dans une subtilité de mépris, qu'il fait échapper volontairement.

Il accompagne sa déclaration par un toisement vraiment arrogant.

Ce qu'elle comprendra à cet instant mènera la suite de l'investigation. Et qu'elle soit divertissante, Cassius l'en prie.

Et tout vient à point à qui sait attendre et plus encore à qui sait quel appât mettre au bout de la ligne. Bien que cela soit plutôt un filet, dans le cas présent, au sein duquel un petit poisson vient de ferrer très gentiment.

Cassius obtient des informations plus précises sur ce qu'il devine déjà, sait déjà. Tessa nomme Neil. Il sourcille brièvement à l'entente réelle du prénom de son cousin puis il a un sourire un coin, tandis qu'il vient frotter ses doigts contre sa lèvre inférieure, quand la demoiselle semble ignorer le détail de leur relation. Car cela ne lui enlève pas cette suspicion. Il n'ajoute rien aux déclarations de Tessa mais son intention pesante de la fixer à nouveau, à travers un visage de marbre mais un regard plissé plutôt pernicieux, démontre qu'il la juge.

Il la trouve assez fade. Si elle n'avait pas piqué son intérêt pour le patronyme, il se dit alors que cette jeune femme est comme de l'eau de surface. Presque autant que lui. *Tessa, tu es comme un miroir d'eau, un rien peut faire trembler ta surface mais tu ne fais que refléter une pensée, limpide pourtant, et les vaguelettes tu calmes toujours pour ne pas troubler la paix de ton esprit, n'est-ce pas ?* émet-il tout en dissimulant tout à coup une partie de son visage derrière sa main, malgré le regard qui est resté soutenu sur Tessa. Il émane alors une aura de danger venant de lui, de vice.

— Dans ce cas, faisons passer cette soirée. déclare-t-il en réponse à l'ennui de Tessa, clin d'œil suivi.

Il se lève tout à coup et prend deux micros. Pendant qu'ils conversaient, le groupe avait entamé la discussion sur le démarrage du karaoké. Son geste est clair, personne ne le stoppe, Cassius veut commencer. Certains sont sûrement soulagés de ne pas passer immédiatement. La règle est de chanter en duo avec le sexe opposé, après tout. Il tend évidemment l'autre micro à son binôme choisi, sa charmante brune si lassée, Tessa. Dans cette ambiance, difficile pour la jeune femme de se dégonfler. Il initie le chant en premier à raison, lui adressant un doux regard plissé, malicieux mais audacieux, alors que l'instrumental de la chanson a déjà démarré. L'attendre ne ferait que la mettre mal à l'aise, il ne se fait donc pas prier et entame les paroles tout naturellement.

— J'ouvre la fenêtre et regarde le ciel nuageux. Ah, je lève les yeux... ~~

Tenant un rythme séduisant et posé lors du premier couplet, sa voix se soulève ensuite pour porter l'instru dès que le premier refrain arrive, comme le climax de la chanson. La beauté de sa voix masculine éclate à travers le lyrisme des paroles et la profondeur du son retentissant.

— Je veux traverser cet arc-en-ciel et retourner à ce matin-là. Lorsqu'on se promenait tous les deux, se racontant nos rêves. GLAMOROUS DAYS ~~

À cette soirée sans aucun intérêt ni presque aucun sens pour certains, chanter est bien la seule chose qui compte vraiment. L'adjectif pour décrire ce duo, que forment Cassius et Tessa, serait : inattendu.

Cassius sait chanter et s'il est ravi que sa partenaire ne fasse pas sa mauvaise tête, en le rejoignant dans l'exercice, il déplore cependant l'engouement du chant de Tessa. La demoiselle ne chante pas si mal, elle chante surtout faux. *Effort moindre, effort pingre, hein.* pense-t-il, moqueur. Pour la confronter à cela, Cassius s'arrête volontairement de chanter à partir d'un moment, à la manière d'un enchaînement de duo, de quoi mettre facilement la pression. Et accessoirement l'affiche. Puis il reprend spontanément quand il sent que le climax revient.

— Je veux éclairer ton futur, pour effacer tous ces nuages autour de toi. En ces jours glorieux, j'emporte mon rêve et marche seul. ~~

La chanson se termine sans déraillement pour surdité. À la fin, le groupe applaudit la prestation, les compliments et encouragements fusent. Cassius sourit de façade. Il sait pertinemment que la plupart ne pensent rien en vérité, pas plus que lui.

Cassius retourne s'installer sur la banquette, toujours en face de Tessa, qu'il observe. Et il la trouve assez tendue, ce qui est normal étant donné les circonstances précédentes. Il a presque l'impression de voir sa joue bougonneuse gonfler. Il prend sa boisson et avale une gorgée pour se rafraîchir.

— Tu chantais comme si tu avais vécu ce que disent les paroles. complimente Cassius, non sans une pointe d'ironie.

Sirotant, il baisse les yeux dans le vide, repensant aux paroles de la chanson. C'était une chanson d'amour parlant de nostalgie, de rêves d'antan, de regrets. Tout ce à quoi Cassius ne s'identifie pas du tout. Néanmoins, l'évocation de ces thèmes ne le laisse pas indifférent pour autant. Il les interprète autrement, c'est tout.

— Si seulement l'ambition et les rêves pouvaient être la même chose... lance mystérieusement Cassius, la voix embrumée dans un aspect murmureur. — Alors on ne confondrait pas l'amour avec l'autodestruction. fait-il sombrement railleur, sans espérer la moindre compréhension de la part de Tessa ou quiconque l'aurait entendu dire ça.

Son regard a changé, il le relève de ça et là, la lueur dans ses yeux semble avoir disparue comme si tout ici n'existait plus. Son esprit vaque ailleurs comme s'il était perdu au loin dans un horizon sans retour. Qui oserait percer à travers pour l'atteindre maintenant ? Cassius se lève doucement et sort sans rien dire à personne. L'ambiance est étouffante dans le vacarme du karaoké. Il reste simplement devant le box, près de la porte fermée, son verre à la main.

Dans ce couloir étroit, des bruits cacophoniques et étouffés se font entendre depuis les différents boxes, se superposent en résonance. Cassius a l'impression de se trouver à l'intérieur d'un espace hors du temps, loin et proche à la fois de toute cette animation. Une main dans la poche, l'autre tenant son verre, il boit le restant de son breuvage, l'air absent. Ses pensées sombres se dissipent peu à peu toutefois cela ne désembrume pas pour autant son esprit. Il ne pense plus à rien.

Soudain, il est rejoint par Tessa qui sort du box de karaoké. Il ne sourcille aucunement, ne réagissant même pas à sa présence. Il ne tourne finalement la tête vers elle qu'après l'avoir écouté s'enquérir de lui. Le visage froid, il la toise, avalant sa dernière gorgée de boisson. Cassius n'a jamais eu l'intention de rester jusqu'à la fin. Ces rencontres arrangées ne sont qu'un moyen de faire parler de lui. Dès qu'il a suffisamment passé de temps, il s'éclipse de lui-même. Le fait que Tessa lui propose de le couvrir l'amuse.

— Tu t'enfuirais avec moi ? suggère-t-il tout à coup, le sourire charmeur.

Si sa question est malicieuse, il tend pourtant la main vers elle. Si elle la saisissait alors, ils pourraient partir ensemble. Il le ferait vraiment.

Dès que le souhait de Tessa est prononcé, le visage de Cassius prend de doux traits énigmatiques. Ses yeux se baissent sur leurs mains qui se touchent. Pendant quelques secondes, il ne se passe rien puis ses doigts saisissent ceux de Tessa, tel un piège qui se refermerait sur elle. Il vient passer son autre main par-dessus. Il approche son visage de la main de Tessa, comme s'il amorçait un baiser. Il s'arrête juste avant de lui faire peur. Si elle souhaitait le repousser, c'était peut-être la dernière chance qu'il lui laissait de se raviser.

— Vos désirs font désordre... déclare-t-il sur le murmure.

Il lève alors ses yeux vers Tessa, son regard possède un étrange éclat, similaire au désir du danger. Cassius n'a pas l'intention de trahir sa proposition. Sans plus tarder, il se tourne vers la sortie, tenant toujours la main de Tessa. Il se déplace à allure tranquille, cependant la cadence s'accélère progressivement, jusqu'à escalader lorsqu'ils passent les portes de l'établissement. Cassius l'entraîne dans une course. Sur le chemin, il se met à éclater de rire tant la situation est grotesque. Cette histoire de fuite fera parler d'elle et c'est ce qui l'amuse, au-delà de la véritable situation.

Lorsqu'ils sont suffisamment éloignés pour rentrer chacun de leur côté, Cassius relâche la main de Tessa avant de s'éloigner à reculons.

— J'espère que la prochaine fois, ce sera toi qui viendra me chercher à dos de cheval blanc. dit-il malicieusement, encore légèrement essoufflé par la course.

S'éclipsant dans les ténèbres de la nuit déployée, Cassius ne laisse derrière lui qu'une impression fantomatique, après cette brève rencontre pour laquelle il ne se retourne pas. Néanmoins, Il doit se rappeler de cette fille, Tessa. Elle en sait sur sa famille et c'est parfait.