« Si hortum in bibliotheca habes, deerit nihil »

Les aiguilles de l'horloge approchaient de 19h00 lorsque Kazane, plongée dans son livre, réalisa qu’elle était assise là depuis des heures. Ses pensées flottaient, se heurtant les unes aux autres dans un mélange de tourments et de doutes. Le visage de Shinji revenait sans cesse, accompagné d’une impression amère. Elle avait passé des jours à se convaincre qu'il ne ressentait pas vraiment quelque chose pour elle, son regard suivant bien plus souvent son meilleur ami que leurs conversations ne lui étaient dédiées. S’y ajoutait maintenant sa rencontre avec Akari, dont l’énergie et la gentillesse avaient laissé une empreinte inattendue dans son esprit. Deux mondes, deux émotions, et pourtant, un sentiment commun de désillusion et d’incompréhension.

La demoiselle ferma enfin le livre, émergeant lentement du calme apaisant que la bibliothèque lui offrait. La grande salle était presque vide, seuls les murmures lointains d’un groupe d’étude dans la salle de travail rompaient le silence parfait. La bibliothécaire, avec son air sévère habituel, supervisait les derniers élèves d’un regard qui en disait long sur son désir de tout remettre en ordre pour la fermeture. Sur les tables, des piles de livres abandonnés trônaient ici et là, laissées par des étudiants pressés de s’échapper dans la nuit.

Mitsugu se leva doucement, étira ses bras en sentant ses muscles se détendre après des heures d’immobilité. Elle ramassa ses propres livres, les empilant avec soin, puis se tourna pour observer la salle une dernière fois avant de s'en aller. Cependant, quelque chose la retint. Peut-être était-ce la fatigue visible du bibliothécaire qu'elle vit traverser la pièce pour ranger quelques ouvrages en silence, le visage concentré, bien qu’éreinté.

Kazane s’approcha de lui à pas feutrés, ses chaussures murmurant contre le parquet ciré. Elle s’inclina légèrement, les yeux pleins de cette politesse respectueuse qu’elle réservait aux figures d’autorité.

-« Bonsoir, excusez-moi de vous déranger. »

Elle marqua une légère pause, guettant la réaction du bibliothécaire à son intrusion.

-« Si vous le souhaitez… je peux vous aider à ranger un peu les livres ? Je suis restée longtemps, et je vois qu’il reste encore pas mal de choses à mettre en ordre. »

Le silence de la bibliothèque l’enveloppait toujours. Elle voulait prolonger un peu ce moment de paix, d'ordre, comme si ranger ces livres pourrait aussi l’aider à mettre de l’ordre dans ses propres pensées éparses.

Kazane observa un instant Félix Fortune, remarquant son air fatigué et le chariot encore à moitié plein. Elle devina aussitôt le défi que représentait pour lui cette fin de service, la bibliothèque n’ayant pas encore recouvré son ordre habituel. Elle répondit d’un ton déterminé tout en inclinant la tête avec respect.

-« Bien sûr, Monsieur Fortune, ça me ferait plaisir de vous aider ! »

La demoiselle avança d’un pas vers lui, inspectant la pile de livres qui restait à ranger et prenant mentalement note des différentes sections à explorer pour la tâche. Même si la bibliothèque n'était pas totalement inconnue pour elle, elle souhaitait respecter scrupuleusement les normes de rangement en vigueur. Après tout, cet endroit était presque comme un sanctuaire pour elle, et l’idée de le remettre en ordre en respectant son organisation parfaite la motivait plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

-« Peut-être pourrions-nous nous répartir les zones de la bibliothèque ? Ainsi, nous serions plus efficaces. Je peux m'occuper des sections de littérature et de sciences humaines, si cela vous convient ? Et si vous me donnez des consignes précises pour l’organisation, je les suivrai à la lettre. »

Kazane attendit les indications de Félix avec une attention vive, ses doigts effleurant déjà les couvertures des ouvrages posés dans le chariot, se préparant insconsciement au travail de rangement. Mitsugu espérait sincèrement que sa proposition allègerait la tâche du bibliothécaire et qu'enfin, elle se montrerait utile pour une fois.