[FB] Comité d'accueil

Ft. Félix FortuneLes premières fois, c’était toujours un peu intimidant. On a le coeur qui s’envole et dégringole, les jambes un peu tremblantes, les mains moites… Les mots pouvaient peiner à sortir, notre regard prenait la fuite, ou au contraire, se fixait sur un point sans oser le quitter d’un millimètre. En clair, c’était le trac. Et c’était exactement l’impression que renvoyait la jolie secrétaire qui était venue l’accueillir. Peut-être s’était-elle pensée malchanceuse quand on lui avait annoncé une heure plus tôt qu’elle devrait s’occuper de la visite du nouveau bibliothécaire, mais elle avait depuis révisé son jugement. D’un clin d’oeil charmeur, il l’avait mise en confiance, et avec un brin de tchatche et d’humour, il était même parvenu à lui soutirer un petit rire cristallin. Adorable ~

La visite fut agréable, rythmée par ses boutades et par les sourires de plus en plus rougissant de la jeune femme. Elle n’était pas exactement son type, mais il était bon de se faire bien voir par ses collègues. Après tout, les bonnes relations sont la clé d’un cadre de travail agréable, au même titre que des barrières claires permettent de maintenir des relations saines.

La pensée entraîne le geste. Machinalement, il se gratte les paumes des mains alors que la visite des locaux arrive à son terme et que la secrétaire pousse les portes de son nouveau lieu de travail. L’odeur du papier vient immédiatement envahir ses narines, au même titre que le bruissement discret de quelques voix d’élèves. Rayonnages à perte de vue. Oh. Il ne manquait que la vieille bibliothécaire acariâtre et le cliché serait parfait. Derrière son sourire confiant et chaleureux, il ne fallait pas se leurrer : il n’avait pas spécialement envie d’être là, à pourrir entre deux rangées de livres poussiéreux. Mais force est de constater que ce métier, aussi ennuyeux qu’il s’annonçait, présentait tout de même quelques avantages. Des horaires fixes pour commencer, et de semaine. Ce qui était un must pour lui laisser du temps à passer en compagnie de la lumière de son existence. Les vacances marquaient également un bon point sur sa liste, et si cette secrétaire n’était que la partie visible de l’iceberg, il lui tardait de rencontrer le reste du personnel.

Main tendue dans sa direction, l’italien s’empresse de la serrer tout en plantant son regard bicolore dans celui terne et… sérieux et… Wow mais il avait quel âge pour avoir une ride du lion aussi marquée ? Et cette tenue… Quelle horreur ! Son style flirtait quasiment avec le néant, nulle trace de bonheur ou de légèreté dans cet homme, et bien évidemment, une absence totale de bon goût. De la praticité, le blond pouvait éventuellement le concevoir, mais c’était un raisonnement de vieille personne démotivée et grincheuse que de croire qu’on devait se priver de style pour être à l’aise.

Prenez par exemple… au pif, lui-même ! Pour un premier jour, il avait opté pour une tenue faussement sobre, un petit costume taillé main de chez Brioni et qu’il avait réhaussé de quelques dorures : boutons de manchette, épingle à cravate, montre à gousset glissée dans la poche de la veste, et bien évidemment des boucles d’oreilles discrètes, mais présentes. Il était à l’aise, et il avait du style, contrairement à son nouveau collègue. Ugh.

La jeune femme s’éclipse, déception temporaire qu’il oubliera d’ici quelques secondes. Conservant son sourire de façade, il hoche la tête.

« Un plaisir partagé, Monsieur Fortune. Il me tarde de découvrir vos méthodes de travail. » qui seront sans doute aussi insipides que votre tenue.

Echange de regard. Fortune. A moins d’un pseudonyme et d’une chirurgie esthétique extrême, il y avait peu de chance que son nouveau collègue soit japonais, et à son oreille, l’ensemble sonnait définitivement français. Pourtant, avec son manque gravissime d’esthétique, il l'aurait plutôt imaginé tout droit venu de la province anglaise, maussade et pluvieuse, mais soit. Personne n’était à l’abri des erreurs, pas même la quasi perfection incarnée qu’il était, et que l’autre homme détaillait de son côté. Oh, son regard critique et cerné de fatigue ne lui avait guère échappé, mais il était peut-être un peu tôt pour lui conseiller des crèmes adaptées, aussi bien à ses bagages qu'à ses rides marquées.

« Je vous passerai l’adresse de mon tailleur si vous le souhaitez, mais peut-être pourrions-nous avant cela nous concentrer sur la prise de mes fonctions ? ~ » piqua-t-il d’un ton moqueur.

La classe à l'italienne ~