[Club de Théâtre] Entre couleur et monochrome [Ft. Rina Kosho]

Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Musique (attention à bien baisser le son avant de lancer) :




Le rideau tombe. Les projecteurs s’éteignent, c’est la fin de la représentation. “Acta est Fabula, Plaudite”.

…En tout cas, ça, c’était dans la tête d’Aliénor, qui prenait, comme à son habitude, la représentation théâtrale très à cœur. Ce n’était en réalité aujourd’hui qu’une énième répétition, et des exercices d’improvisation somme toutes classiques. Tous les jours n’étaient pas tous faits de grandes représentations et de longues tirades lyriques captivantes. Parfois, il fallait tout simplement s'entraîner. Peut être que la vie, ce n’était pas Broadway. Mais il fallait travailler dur, et donner à fond, pour que ses passages sur scène le soient.

Et c’est quand la française saisit sa bouteille d’eau pour l’ouvrir, et en boire une gorgée, que la cloche annonçant la fin des clubs sonna. Elle prit sa serviette pour éponger les quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front. Entre le fait d’occuper l’espace, la gestuelle, la gestion des émotions, la concentration que demande le simple fait de jouer, que l’on vienne pas dire que le théatre, ça n’avait rien de physique.

La demoiselle, après avoir bu un peu, salua simplement les gens qui partaient, et comptait faire de même, vaquer à ses occupations…Quand une fille, arrivée il y a peu, retint son attention. Ce n’était pas le fauteuil roulant, ou son côté très terne, qui l’avait retenu. Non. Elle jouait mal. Enfin, c’était plus compliqué que ça. Il était facile de déterminer ceux qui jouaient juste, ou non, mais le cas de cette fille était un peu plus complexe, et décortiqué par les années d’expérience d’Aliénor sur le sujet. Rina Kosho, de son nom, ne jouait pas mal. Elle se contentait simplement du strict minimum. Et de ses yeux bleus océan, elle percevait tout le potentiel que gâchait la jeune fille à chaque réplique, et c’était bien dommage.

Cependant, il serait bien malvenu de lui dire de juste “bien jouer”. Premièrement, c’était une notion relativement subjective, qui avait peu de sens. Il y avait certes des méthodes, mais celles-ci étaient respectées. Elle n’avait ni le charisme, ni l’autorité de lui dire quoi faire. Pourtant…Elle aimerait pouvoir aider cette fille. Premièrement, elle était nouvelle, pourquoi ne pas en faire une amie et l’encourager ? Et ensuite…Pour s’investir dans son club, et le tirer par le haut, tout simplement. Il y avait bien une méthode. Tout simple. Lui parler. Ca allait être difficile, les batteries sociales de la jeune française étaient à plat après sa journée et son club…Mais en tête à tête, elle survivrait. Probablement.

Alors, tandis que tout le monde partait, et que la jeune fille terne n’allait pas non plus tarder, dans cette salle de plus en plus vide, Aliénor s’approcha de celle-ci pour lui poser cette simple question.

- Kosho-san, est-ce que tu aurais le temps de discuter un peu ?

Elle regardait la nouvelle, avec un peu d’appréhension dans le regard. Les paroles résonnaient dans la pièce, où il ne restait maintenant plus qu’elles. Dans cette salle, maintenant éclairée par le coucher de soleil, les deux palettes différentes, colorées et monochromes, allaient se rencontrer, teintées d’ambre.

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Entre couleur et monochrome

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Hmm. La prononciation était un peu anglaise. Dommage, Kosho-san. Heureusement, la française ne lui en tiendra pas rigueur. Elle était japonaise après tout, et il pouvait être compréhensible que la distinction nette entre deux pays, frères ennemis de surcroît, ne leur soit pas nécessairement des plus évidente. Mais au moins, elle acceptait de lui parler. Un petit soupir de soulagement échappa alors à la demoiselle, qui vint ensuite poser le regard sur l’une des tables. Là où ses affaires étaient presque rangées…A l’exception de quelques feuilles, d’astuces sur le jeu d’acteur, le théâtre…Quelques petites notes, qu’elle avait compilé à force de films et de représentations.

Ses prunelles se reposèrent sur sa camarade, aussi terne que son jeu. Il n’y avait pas que celui-ci qui était vide…Son regard naturel également. Était-ce dû à son handicap ? Probablement, mais ce serait bien trop déplacé d’en discuter ainsi de but en blanc. Il fallait adopter une autre approche, quelque chose qui n’allait pas la brusquer. Son visage devint un peu plus sérieux, sans pour autant perdre en douceur. Ce n’était pas tant une question qui allait forcer la sévérité ou la tester, plutôt une question qui lui tenait terriblement à cœur. Elle savait comment s’y prendre.

- Ma question va te sembler étrange, vu que tu te tiens ici, avec moi…

Un petit rire nerveux, un peu gêné, ponctua la pause entre son introduction, et la question qui en découla.

- Est-ce que…tu aimes le théâtre ? Est-ce que tu aimes jouer ?

…D’accord, ça faisait deux questions. Aliénor se doutait que Rina ne serait pas stupide, loin de là, et comprendrait un peu pourquoi elle posait cette question. D’autant plus si sa camarade en monochrome l’avait vue jouer. Puisant jusqu’au plus profond de ses tripes, éblouissante de couleur…Non, la question ne se posait même pas pour elle. Et prenait alors tout son sens, lorsque l’on pouvait voir leur contraste. Le regard de la française était posé sur elle, une pointe d’inquiétude lisible une fois que la question avait été mise sur la table.

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Entre couleur et monochrome

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

”J’aime le théatre. C’est un médium passionnant fortement lié à la culture nationale.”

Donc elle aimait ça. C’était quelque peu rassurant. Sa camarade était une personne de culture, appréciant tant le théâtre en tant que littérature, qu’à jouer. Elle ne se forçait pas, prenait du plaisir sur scène. Ce n’était peut être qu’un problème d’expression sur scène, après tout ! Tout le monde ne parvient pas forcément à sortir ses tripes, exprimer sa créativité…

Elle était dans l’erreur. Oh que oui, Aliénor avait tort, et Rina brisa le silence religieux qui régnait sur la salle de club pour le lui prouver par la plus frontale des manières.

”Mais je n’aime pas…Plus. Je n’aime plus jouer. Je n’apprécie pas être sous les projecteurs à la vue des autres, et j’éprouve un certain déplaisir à agir comme quelqu’un que je ne suis pas. Même si ce n’est que durant une courte pièce.”

L’expression de soulagement de la française se décomposa au fil de la phrase, alors que les informations atteignaient son cerveau, pour mieux frapper son petit cœur de plein fouet. Encore une fois, la réalité était face à elle. Elle. Avait. Tort. Les feux de la rampe, les regards rivés sur son jeu, à aucun moment Rina n’appréciait ça. Mais dans ce cas, pourquoi ? Pourquoi jouer, pourquoi ne pas faire autre chose ? Concevoir des décors ? Des costumes ? Des accessoires ? Gérer les lumières ? Etait-ce à cause de sa condition qu’elle ne le pouvait pas ? Qu’elle détestait jouer ? Ses pensées se bousculaient…Et bien que la demoiselle ne voulait pas aborder la question du fauteuil…Elle sentait petit à petit l’étau se resserrer. Peut être que sa camarade en parlerait d’elle-même. Elle l’espérait. Mais la question lui brulait les lèvres.

- Ma question va peut être te sembler abrupte, voire odieuse, mais dans ce cas…Pourquoi aller toi-même sous les feux des projecteurs alors ? Tu sembles aimer beaucoup le média, être cultivée…Tu pourrais écrire le script. Il y a même bien d’autres choses à faire pour qu’une pièce fonctionne, les acteurs n’en sont qu’une partie…

Loin de la jeune femme l’idée de dégager Rina loin des projecteurs. Les partager n’avait jamais été un problème, au contraire. Toute bon seigneure qu’elle était, elle souhaitait simplement alléger l’inconfort de sa camarade. Peut être était-ce déplacé, mais sa candeur la faisait agir ainsi. Mais il suffit d’un regard vers celle-ci pour comprendre le contraste qui les séparait. Et à quel point c’était plus violent. Plus saisissant. A ce moment, Aliénor comprit que ce n’était pas que le jeu qui était apathique. C’en était presque terrifiant. Un mot résonnait dans sa tête. Une phrase, plutôt.

“Je n’aime plus jouer”.

Ca voulait dire…

- Tu…aimais jouer, avant ? Tu as dit que tu n’aimais plus ça…C’est que fut un temps, ça te plaisait ?

Et si c’était le cas…Aliénor était bien des choses. Mais stupide ne faisait pas partie de ses traits de caractère. Les pièces s’assemblaient presques d’elle-même à ce stade. Et tout pointait toujours plus vers le seul élément, tabou aux yeux de la demoiselle, qui se dessinait de plus en plus nettement au fil de la discussion.

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Entre couleur et monochrome

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Finalement, ce fut sa camarade qui aborda d'elle-même le sujet, comme pour crever l'abcès qui s'infectait toujours plus dangereusement à chaque seconde passées entre elles. Aliénor s'en doutait bien, c'était ça le problème. Elle pensait que la peur d'être jugée par le public, à cause de son handicap. Bien sur, qu'elle n'avait pas prévu de rejoindre le club de théâtre, après tout... Elle ne pouvait qu'imaginer la douleur d'avoir un jour pu marcher, s'exprimer pleinement de par sa gestuelle, et qu'un accident arrête tout du jour au lendemain. La colère, la honte, puis la résignation avant que l'espoir ne s'éteigne. Surement que Rina avait du sentir tous les regards apitoyés, les "oh, je suis désolé", les attentions intéressées pour se donner bonne conscience. Et qu'elle attendait la même chose de sa camarade blanche aux yeux bleus.

Le regard d'Aliénor n'affichait pourtant pas de la pitié. De la compassion, bien sur. Non pas pour son état, mais ce que celui-ci avait du lui faire traverser. Mais pourquoi avoir de la pitié ? Rina n'était-elle pas un être humain comme tout le monde ? Elle avait su s'adapter à sa condition, vivre. Même si son jeu, et son regard étaient apathiques, le fait qu'elle se tienne là, en bonne santé, qu'elle étudie, témoignait de sa volonté de vivre normalement, voire de vivre tout court et d'aller de l'avant. Ce ne serait que de lui manquer profondément de respect que de la traiter comme un vulgaire animal blessé ou éclopé.

Alors la française sourit doucement. Après tout, elle ne pourrait pas forcer Rina à jouer. Qui serait légitime, à part un metteur en scène, pour dire aux gens comment agir lorsque les projecteurs sont braqués sur eux ? Quelqu'un qui jouait mieux, probablement. Était-ce le cas ? C'était quelque chose de subjectif après tout...Il était temps d'en parler...Et de donner, aux yeux de l'expatriée, quelque chose qui n'était, finalement, qu'une opinion. Comme pour fuir le jugement de sa camarade, son regard se perdit dans le ciel couchant à la fenêtre.

"Je mentirais en disant que je ne compatis pas. Tu as du traverser bien des choses difficiles, et vu le regard des gens changer vis à vis de toi...Mais pourtant."

Son regard vif et coloré se posèrent à nouveau sur les prunelles grisâtres de sa camarade.

"Tu es revenue au club, pourtant. Rien ne t'y obligeait. Pour peut être retrouver cette passion ? Aller de l'avant ?...C'est un débat qui serait passionnant. Au théâtre, on exprime des émotions, une partie de soi, sur scène. L'on parle beaucoup de s'effacer, pour ne laisser plus que le personnage, mais honnêtement je n'y crois pas trop. Bien sur, c'est important de comprendre le rôle que l'on doit jouer...Mais l'on doit sortir tout ce qu'on a. Jouer avec nos tripes, y prendre plaisir. Est-ce que tu n'as vraiment plus rien que tu veux exprimer ?"

C'était bien ça, le plus important...Et le plus problématique. Et le sourire d'Aliénor qui, peu à peu, se perdit alors qu'elle se rappela cette amère vérité. Elle baissa la tête un instant, avant de la relever, un peu honteuse, son sourire s'étant mué en une sorte de rictus un peu gêné. Gênée d'avoir imposé ses opinions. De son propre égoïsme. D'avoir, peut-être, tenté d'écraser Rina de sa propre vision et de sa propre passion. Peut être de la forcer dans quelque chose qu'elle ne souhaitait pas. Et ce, même si, ce qui était au centre des paroles de la demoiselle, ça restait Rina. Rina, et ses souhaits, qu'elle essayait de comprendre. Mais si ça la gênait ? Alors, il valait mieux se coucher.

"Je...suis désolée. Peut être que maintenant, tu n'y éprouves plus de plaisir, et je ne peux pas t'imposer ma vision des choses de manière aussi égoïste, Kosho-san. Et en ce qui s'agit d'écrire le script...On est un club d'étudiants, par des étudiants...Tu peux toujours faire une ébauche et la proposer au président du club ?"

Parce qu'après tout, pourquoi pas ? Pour la française, ça amènerait un vent de fraicheur auquel le club aurait bien besoin.

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Aliénor comprenait de mieux en mieux sa camarade énigmatique. Sa manière de penser, de voir son état. Et quelque part, bien qu'elle compatissait à sa condition, trouvait cela profondément dommage que celle-ci ne l'empêche de jouer. Toutefois, elles allaient pouvoir visiblement en discuter davantage. Le test de pertinence était passé, et visiblement la française avait su le remporter avec brio. Sinon, Rina serait partie, ou lui aurait demandé de l'amener jusqu'à l'internat, peut être.

Alors, histoire de valider son approbation, la demoiselle d'un geste gracile vint déplacer une chaise pour venir s'y asseoir. Ses gestes étaient empreints d'un certain raffinement. Non pas de ceux qui veulent dévoiler leur statut de manière ostentatoire, plutôt de ceux qui souhaitent se faire discret. Le moins de bruit possible, le moins de vagues. Sale habitude, qui contrastait brutalement avec ce que sa camarade monochrome avait pu constater d'elle sur scène. Où elle était déchainée, expansive, passionnée, à vouloir le plus de lumière possible sur elle. A l'image d'une boite à musique que l'on referme pour en savourer le silence, les flammes de la scène s'étaient taries pour laisser place au calme, à la discrétion et à la douceur.

Rina voulait exprimer plus de choses sur scène. Mais ne voulait pas que les gens regardent son fauteuil. Encore une fois, compréhensible. Mais également une sorte d'aveu d'échec aux yeux de la future actrice. Certes, le public le verrait à coup sur. Mais celui-ci ne devrait, sur les planches, ne devenir plus qu'un détail, alors que la monochrome se dévoilerait pleinement dans le rôle qu'elle jouerait. C'est ce qui devrait arriver, si elle jouait bien. Mais la colorée comprit bien vite son erreur quand son interlocutrice saisit la diversion afin d'éviter de s'étendre sur le sujet et parler d'écriture. C'était tout aussi intéressant, mais...

La demande fut assez incongrue. Si bien qu'Aliénor cligna des yeux, une, deux fois. L'aider et la soutenir ? Elle, à l'aise dans le club ? Lorsqu'il fallait monter, se cacher derrière un script, oui, certainement ! Mais socialement, elle n'était pas la meilleure, loin de là...Elle se gratta un peu la nuque, semblant légèrement gênée qu'on lui accorde ainsi du crédit, qui, à ses yeux, n'avait pas lieu d'être. Mais bon. Rina lui avait fait l'honneur de rester, de faire la demande. Le mieux était de tenter de l'aider, tout en restant honnête...Puis, son regard, son sourire, avait changé. Pour de la gêne, de la passion peut être ? Sa camarade de club semblait profondément aimer l'écriture.

"Eh bien...Je suis à l'aise lorsqu'il s'agit de monter sur scène, je ne connais pas très bien la présidente...Je ne suis pas une membre de poids. Mais si ça peut te donner du courage qu'on s'y rende à deux, ce sera avec grand plaisir, Kosho-san."

Aliénor se fendit d'un sourire sincère, approuvant par la même cet accord tacite entre elles. Maintenant, il fallait revenir au sujet principal. Passer d'expression écrite à orale...Tant pis, mettons les deux pieds dans le plat. Encore une fois la française prit une grande inspiration pour réunir son courage.

"Et si tu veux exprimer encore des choses...Alors nul n'a le droit de t'en priver. Pas même le public, pas même ton état. Ce n'est encore une fois que le point de vue d'une valide, et de quelqu'un qui prend plaisir à jouer...Mais je pense que tu es très douée, et que si tu dévoiles toutes tes couleurs, alors il se peut que ton fauteuil ne devienne plus qu'un détail aux yeux des autres."

C'était un point de vue des plus sincères. Et si Rina n'avait qu'une chose à voir dans les yeux de sa camarade, c'est que celle-ci croyait fermement en elle.

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Rina se répandit en excuses devant elle. Etrangement, ça eut davantage l'effet de la gêner que de la soulager...La française voulait aider sa camarade, surtout s'il s'agissait d'exprimer sa passion. Et puis, la monochrome avait l'air gentille, sous son air stoïque et apathique. Sous cette carapace de gris se cachait une fille comme elle, avec son lot d'émotions, de problèmes, d'envies et de frustrations, de passions et de curiosités. Comment lui refuser de l'aide ? Même si celle-ci voulait se débrouiller seule, et s'en sentait capable, c'était trop tard, ou presque. Aliénor était déjà résolue.

La discussion revint, comme cette dernière l'avait ramenée : Sur son envie de monter sur scène. Là, Rina étaya son ressenti. Tout en l'écoutant, la demoiselle de bleu remarquait le moindre petit changement sur le visage de son interlocutrice. Le moindre froncement de sourcils. Le moindre baissement de tête. Elle était à l'affut pour comprendre au mieux ses sentiments en plus de ses paroles. Et la demoiselle comprenait que ça ne serait décidément pas simple de lui faire apprécier les planches à nouveau.

Rina lui demanda ensuite pourquoi cette intuition. Qu'est-ce qui lui faisait penser qu'elle était douée ? Cette question fit réfléchir la parisienne. C'est vrai, ça, d'où ça lui venait, au juste ? Il y avait certainement plusieurs facteurs qui lui faisait penser ça. Des détails, ici et là, dans son jeu. Et puis, quand on a fait du théâtre pendant plusieurs années, généralement on ne joue plus comme une buche en bois. On a acquis quelques réflexes, à moins d'être totalement nul...Le reste était compliqué à expliquer. Les mots, les idées, toutes se mélangeaient dans la petite tête blanche et bleue, sans qu'une ne puisse réellement sortir, laissant un petit silence planer, quelques secondes...presque une minute, avant que ce calme religieux fut brisé par Aliénor à nouveau.

- J'ai du mal à l'expliquer...C'est comme si, je voyais dans tes gestes, dans tes émotions les plus subtiles, tout ce flot que tu retiens et souhaites exprimer...Et quand on parle, je remarque aussi tes émotions, tes gestes, discrets, mais qui en disent tant...Moi, je crois en toi en tout cas. Et je suis persuadée que sur les planches, tu étais, et seras incroyable. Etincelante de mille feux, même !

Une jeune fille monochrome, qui étincèle de mille feux comme un prisme...Le contraste semblait amuser un peu la demoiselle, qui semblait ardamment souhaiter le voir. L'étincelle de curiosité et de gratitude fut comprise par celle-ci, ce qui lui arracha un doux et sincère sourire. Malgré tout, la plus expressive des deux se sentit obligé de lui donner ces paroles rassurantes.

- Je t'aurais bien proposé, là, une petite répétition à deux...Mais je sais que tu n'es pas très à l'aise, alors tu sais quoi ? Prends ton temps. Le temps qu'il te faudra, jusqu'à ce que tu aies suffisament confiance en toi pour remonter ! Ca n'aurait pas de sens de te forcer...Si on ne prend pas de plaisir à jouer, alors la prestation ne sera pas bonne, et le public le sentira, de toute façon.

Une lueur déterminé et espiègle brillait dans le regard hétérochrome de la française.

- Et si, je viendrai avec toi pour cette histoire de scénario, ça ne me dérange pas ! Je serai même ravie de t'accompagner, sauf si tu veux t'y rendre seule, bien entendu !

Plus que d'encourager Rina, Aliénor ne souhaitait surtout pas brusquer cette demoiselle, qui lui avait offert une bien douce et intéressante rencontre.

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Rina semblait pour le moins gênée qu'Aliénor l'avait observée à ce point. Et lorsque cette dernière s'en rendit compte, elle se mit à rougir de gêne et à regarder ailleurs. Ce n'était pas vraiment volontaire, c'était quelque chose qu'elle avait développé au cours de ses nombreuses années de théatre. Décrypter, observer, comprendre les émotions, pour mieux les reproduire et aider les autres. Et aujourd'hui, cette habitude devenue presque inconsciente se retournait contre elle. Un petit rire nerveux s'échappa des lèvres de la demoiselle, qui reposa son regard sur la monochrome dans un sourire navré.

- Aha, oui...Je m'en doutais un peu, je ne voulais pas t'importuner ! Je comprends que ce soit un peu compliqué...

Telle Sisyphe, elle vit en face d'elle tout ce qu'elle avait accompli jusque là s'écrouler. Tous les efforts pour essayer de s'en faire une amie, pour au final la brusquer et tout faire rater. Malgré tout, il restait une note d'espoir, qui chassait un peu cette déprime passagère qui s'était installé chez la demoiselle aux yeux de bleu. Elle releva la tête, un peu surprise. Pensant que Rina aurait préféré partir. L'idée que quelqu'un doive l'accompagner ne lui ayant à peine effleuré l'esprit, imaginant la japonaise comme une personne plutôt indépendante, ne demandant, malgré sa condition, de l'aide que ponctuellement. Mais non, elle était là. Avait-elle besoin d'elle, ou avait-elle envie de continuer la conversation ? Quoiqu'il en soit, son invitation à parler à deux de ce projet était salvateur à ses yeux. Un espoir encore présent malgré ses erreurs.

- Oh...J'en serais ravie, vraiment ! Ce sera plus simple en effet, et je serai là pour t'épauler, je peux te l'assurer !

Peut être un peu exagéré, mais Aliénor avait grand peine à ce moment à dissimuler son enthousiasme. Mais la discussion prit un virage surprenant. Cette fois, c'était la jeune fille terne qui voulait en savoir plus sur son interlocutrice. Sur sa passion du théâtre. Le visage de la demoiselle se referma légèrement. Devait-elle en parler ? Raconter son histoire ? Ce que sa dévorante passion lui a coûté jusqu'ici ? Bon, c'était un peu dramatique, raconté comme ça, mais son engouement lui avait valu quelques conséquences...Fallait-il l'expliquer ? Ca semblait bien dérisoire face à ce que sa camarade, elle, avait bien pu traverser. La française replaça une mèche de cheveux, un peu nerveuse, avant de prendre la parole en bafouillant légèrement.

- Ah, euh, eh bien...J'en fais depuis assez longtemps, oui. Mes premières années de collège, pour être honnête...Donc bientôt huit ans.

Quelle attrait pouvait-elle bien y trouver ? Aliénor dut prendre quelques courts instants pour réfléchir à la question. Elle en faisait si longtemps, et le théâtre lui avait également servi de refuge...Peut être était-ce la subjugation du public, lorsqu'un rôle était bien joué, les feux des projecteurs, le fait d'y mettre ses tripes, ou alors...

- Fut un temps, je t'aurais dit que c'était le fait d'être quelqu'un d'autre, de pouvoir, en quelques sortes, oublier qui je suis, l'espace d'une représentation...

La demoiselle secoua la tête. Non, c'était une raison bien trop triste. Le reflet d'une confiance en soi broyée et piétinée jusqu'à ce qu'il n'en reste que des braises en train de s'éteindre. Elle s'efforça de sourire, dissimulant une sincérité derrière ses sombres propos, difficile à ne pas percevoir.

- Mais ce serait très triste, n'est-ce pas ? Même déprimant. Non, c'est simplement, le fait de tout donner pour jouer son role, se démener pour voir l'admiration du public, les multiples possibilités et interprétations qu'un simple texte peut engendrer...Je pense qu'il est là, l'attrait que j'y trouve.

Elle hocha la tête, espérant que cette réponse édulcorée conviendrait à sa camarade.

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Entre couleur et monochrome (Ft. Rina Kosho)

Face aux mots encourageants, ainsi que le très léger sourire de son interlocutrice, Aliénor tentait de conserver sa joie et sa bonne humeur apparente. Elle ne savait pas vraiment trop quoi penser de tout ça. Quelque part, bien sûr que Rina avait raison. Que c'était son visage que le public voyait, éclairé par les projecteurs. Et que c'était bien elle, qui voulait captiver les gens. Mais la française, trop souvent, s'était servi du théâtre, de ses rôles comme échappatoires. Histoire d'oublier un peu qu'elle-même existait, et avait une vie bien piteuse à ses yeux.

La demoiselle de monochrome lui proposait d'en parler. Lui disait qu'elle était une oreille attentive. Un léger rire nerveux s'échappa de la bouche de la fille aux yeux de bleus, un peu gênée. C'est pas qu'elle ne voulait pas le faire, ou qu'elle trouvait Rina inapte. Au contraire, même. Bien qu'elle avait l'air un peu...morte, à l'intérieur, la monochrome avait su se montrer pleine de considération et de bons sentiments. Rien ne l'avait obligée à écouter les critiques d'Aliénor. Elle aurait pu partir sur le champ, ou même simplement l'envoyer balader. Après tout, les conseils et questions étaient assez malvenues au premier abord. Mais non. Elles étaient là, à discuter de leurs problèmes, de théatre, d'écriture, pour leur première rencontre, devant un ciel cramoisi.

Plutôt, la française ne pouvait pas le faire. Impossible d'avoir le luxe de se plaindre de sa vie, de ses traumatismes, quand la personne en face de toi avait eu, encore récemment, sa vie complètement brisée à cause d'un accident. Quand le regard des autres était encore bien trop pesant et lui rappellait sans cesse sa condition actuelle. Une condition diminuée. Altérée et abimée peut être à jamais. Alors elle se contenta d'évoquer brièvement et vaguement le sujet, soulignant plutôt ses efforts, et en évitant de donner l'impression de se plaindre.

- Aha...C'est plutôt...Une sale habitude, qui m'a servi de refuge pendant une période un peu compliquée...Mais maintenant ça va mieux, et j'essaie de changer ça ! Plus qu'une cachette, j'essaie de retransformer cette envie de jouer en réelle volonté. Même si, j'aime vraiment monter sur scène et incarner une multitude de personnages !

La demoiselle se confondait en explications, afin de noyer le poisson, le plus possible. Elle ne pouvait décemment pas se plaindre de sa condition devant elle...Et surtout, elles venaient de se rencontrer. Un tel sujet, elle l'aborderait plus tard, peut être, avec cette fille monochrome. Mais pour le moment, elle se fendit simplement d'un sourire, signifiant qu'elle souhaitait l'éviter. Et coup de volant supplémentaire vers la déviation, elle répondit à sa proposition, joignant les mains.

- Et bien entendu, je serais plus qu'heureuse de t'épauler à la rédaction ! Je ne suis pas bien douée pour écrire, mais je pourrais faire la relecture ! Tu peux compter sur moi pour avoir un oeil nouveau sur ton script ! Et...C'est le président.

Elle pouffe doucement de rire, se laissant aller à cette ambiance un peu plus légère. Aliénor souhaitait simplement laisser les sujets tristes de côté, et proposer quelque chose de plus agréable à son interlocutrice.

- Tu as déjà des idées, de pièces que tu comptes écrire ou as déjà écrit ?

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