Plissement d’yeux interrogateurs. Il s’était fait battre ? Un peu plus de deux semaines s’étaient écoulées depuis son arrivée dans cette école, mais aucune rumeur de harcèlement ou de violences entre élèves n’était parvenue à ses oreilles. Tristesse. Visiblement, aucun établissement ne semblait y échapper, aussi réputé soit-il.

Sans rien dire, il se pencha sur le côté de son lit et tendit précautionneusement le bras jusqu’à son sac. De sa gueule de toile, il en extirpa une petite sacoche qu’il ouvrit pour révéler un kit de soin basique, mais efficace. Tube à la main, il en vérifia rapidement le nom avant de le présenter au blessé.

« Tu peux mettre ça. »

Une crème pour les coups. Tout simplement. A base d’arnica et couplé à un effet rafraîchissant, pour limiter les hématomes tout en apaisant un peu la douleur. Ce n’était pas parfait, mais cela avait le mérite de soulager au moins un peu.

Redistribution des cartes. Nouveau contexte. Il pratiquait donc un sport de combat ? Ce n’était pas si étonnant que cela, mais il lui avait pourtant semblé que le fair-play était une règle basique et commune à l’ensemble des sports. Dommage qu’elle ne soit pas observée avec davantage de respect. Mais qu’importe l’origine de ses coups, le photographe aux multiples casquettes se devait de soigner ses potentiels hématomes.

« Tu vas peut-être avoir besoin d’aide ? »

La question avait jaillit conjointement à sa réflexion. Il l’avait vu défaillir pour un simple contact et s’affaisser presque aussitôt. Difficile de déterminer l’étendue des dégâts mais il avait au moins subit un coup sévère aux côtes, ou tout du moins ses gestes le laissaient entendre ainsi.

« Je peux t’accompagner à l’infirmerie ou aller chercher un surveillant si tu préfères ? »

La première idée n’était que pure politesse, à cette heure du soir il y avait peu de chance que l’infirmerie soit encore occupée. La deuxième pouvait être un frein. Lui-même la refuserait sans la moindre hésitation, mais peut-être que celui aux cheveux d’écume n’était pas aussi craintif.

Certaines personnes diraient que ce n’était pas parce que la blessure semblait bénigne qu’il fallait la sous-estimer. Heureusement pour le photographe, madame Kufuku n’était pas présente pour lui faire la leçon. Les mots s’enchaînent. Les idées également. Il se concentre pour suivre la conversation, s’efforce de ne pas se laisser distraire par une pensée intrusive comme par exemple le fait qu’il ne savait pas du tout à quel sport il faisait référence. Peut-être que pour beaucoup le terme technique “kyu” suffisait, mais ce n’était clairement pas un domaine qui l’avait un jour intéressé et- Recommencer quoi ? Ah. Il avait perdu le fil.

« D’accord, comme tu le sens. »

Ramenant ses jambes sur le lit, il les enserra dans ses bras, conservant ses yeux noirs posés sur le jeune homme. Attentifs. Peut-être involontairement malaisants. Il ne voyait pas le mal.

« Qu’est-ce qui te plaît dans ce sport ? »

Pas cet adversaire là, apparemment, mais il devait avoir d’autres raisons pour s’accrocher à ce genre d’activité. Des raisons que le petit japonais ne comprendrait sans doute pas, ou qu’il ne partagerait jamais, mais la curiosité était toujours la plus forte.

Loin de se détourner ou de le sermonner pour son regard bien trop fixe, le photographe accepte sans peine d’être le centre de son attention, au moins pour un temps. La réponse vient doucement, fragmentée en plusieurs petites phrases, en plusieurs idées qui convoyaient pourtant dans la même direction. De l’utilité au besoin. Un hobby ou un sport ne nécessitait pas forcément d’autre motivation que le plaisir qu’on pouvait en tirer, mais entendre les raisons de son camarade lui communiqua presque l’allégresse qu’il semblait éprouver en cet instant.

Silence contemplatif. Plissement de paupières. Son regard curieux s’adoucit et enjoignit presque l’artiste à continuer, s’il le souhaitait. C’était étrangement agréable d’entendre quelqu’un se laisser ainsi emporter par l’une de ses passions. D'autant que l'inconnu avait une voix agréable. Presque chantante. Il voulait l'entendre encore un peu. Désir égoïste, il est vrai, mais qu'il ne pouvait forcer ni décemment énoncer à haute voix.

Observateur silencieux, il se plaît à l’écouter parler. Encore un peu. Espérant dans un coin de son esprit que la porte ne s’ouvre pas sur son colocataire, ni que le temps et les responsabilités ne se rappellent à eux. Si ce moment pouvait se figer et que sa voix continue de raisonner au rythme de ses paroles, de ses idées.

Menton appuyé sur ses bras croisés, il observe son rire ponctué ses phrases. Mélodie étrange. Un brin d’insouciance malgré la douleur qui s’était creusée une place dans son corps, un portrait qui n’était pas sans lui rappeler… Il secoua la tête pour lui-même et revint à sa contemplation muette. Le sujet plaisait à celui qui le pratiquait, et peut-être même à celui qui se contentait d’écouter. Il ne pouvait prétendre y comprendre grand chose, le sport n’avait jamais eu d’écho plaisant pour lui - jusqu’à maintenant - mais il pouvait concevoir que certaines personnes y trouvaient un moyen de se défouler. De se libérer. Ils ne se laissaient pas abattre par la difficulté, comme toute passion il fallait s’y accrocher si l’on voulait progresser. Lui ne s’était pas arrêté à ses premières tentatives de peinture. Il n’avait pas baissé les bras quand ses premiers prototypes refusaient de fonctionner. Et il semblait que pour le sport, c’était plus ou moins la même chose.

Un sourire s’imprime sur le visage serein. Kotai l’ancre dans sa mémoire. L’expression allait si bien au photographe, c’était ainsi qu’il pourrait faire l’effort de se souvenir de lui. C’était mieux que de seulement retenir la couleur atypique de sa chevelure ou l’expertise de ses mains quand il manipulait son appareil.

Monologue bienvenu. Mélodie narrant et expliquant les motivations de l’artiste, il ne se lasse pas, soulignant son attention de quelques signes de tête quand bien même son regard fixe témoigne à lui seul de l’écoute qu’il lui offre. Sa franchise l’intrigue. Un choix qui aurait pu se terminer sur n’importe quel sport semblable mais qui n’aurait visiblement pas pu tomber plus juste. Instinct ou hasard. Le résultat était le même.

Question. Demande. Il aurait été normal de se laisser aller à la surprise, une émotion qui ne lui était d’ordinaire pas étrangère mais qui cette fois ne daignait guère montrer le bout de son museau. Au contraire, le jeune japonais trouvait cette requête on ne peut plus logique. Il l’avait vu se masser la nuque, partie sensible et bien qu’aisément accessible, il valait mieux éviter de lever soi-même le bras au risque de tirer dessus.

Hochement de tête.

Jambes dépliées, il se releva en s’appuyant sur le matelas et tendit la main en direction de la pommade.

Suite d’idées qu’il ne parvient pas à comprendre. Ses doigts se replient sur le tube de pommade échangé, retour au propriétaire, alors que son regard s’éclaire d’une interrogation. Une distraction ? Une manière de lui indiquer où apposer la crème ? Ou un autre détail que son esprit paumé n’arrivait pas à cerner ? Néanmoins, il s’exécuta. D’un pas léger, il contourna largement la chaise et son occupant, se penchant sur son bureau pour récupérer un crayon de bois qui dépassait de sa pochette. Modèle classique, il n’avait guère besoin de plus pour ses piètres croquis.

« Où puis-je t’aider ? »

Un murmure. Volonté inconsciente de ne pas perturber le calme qui enveloppait les paroles du photographe. Il lui présenta l’objet de sa requête tout en revenant dans son champ de vision, attendant patiemment la marche à suivre.

Regard suivant le mouvement du poignet du photographe, alors qu’il domptait sa chevelure d’écume en un chignon lâche. Peau révélée, l’intention est renforcée par les indications claires du blessé. Il ôte doucement le bouchon et récupère une noisette de crème sur le bout de ses doigts, observant silencieusement le reste des explications.

La zone souffrante semblait assez large, mais en se concentrant sur les cervicales, il ne devrait pas risquer de salir son t-shirt… Hmm. C’était tout de même une probabilité non négligeable. Se pinçant le menton - de sa main dépourvue de crème - le petit brun activa ses méninges et finit par tourner les talons en direction de son armoire. De celle-ci, il extirpa une serviette de toilette propre et la tendit à l’artiste.

« Je n’ai pas envie d’étaler de la crème sur ton haut. »

Nouveau petit pas pour s’écarter, il attrapa et déplia le paravent qui offrait un minimum d’intimité au sein de leurs chambres partagées, passant de l’autre côté pour laisser l’occasion au photographe de se préparer.

Ombre chinoise derrière le paravent. Son regard traîne malgré lui sur la décoration de son colocataire, curiosité de passage pour un décor auquel il commençait à peine à s’habituer. Espace partagé. Il n’avait jamais eu à le faire jusqu’à maintenant, quand bien même il avait cessé de compter le nombre de fois où Chiemi avait investi sa chambre, emprunté ses figurines, tenté de jouer avec ses consoles. Un comportement qu’il n’avait heureusement pas à subir ici. Il mentirait s’il disait que cela ne lui manquait pas malgré tout.

Voix hésitante. Il cligna des yeux et se redressa, conscience happée brusquement par la réalité. Il pivota sur la pointe de ses pieds et revient à petits pas de son côté de la barrière. T-shirt mis de côté. Il acquiesça doucement et, entre ses doigts, il prit la peine de réchauffer la crème avant de s’approcher du photographe. Nudité protégée. Un point de vue extérieur pourrait trouver cela étrange, mais une telle pensée ne lui effleurait même pas l’esprit. Il rendait service, et masser des muscles crispés, il savait faire. Il avait plutôt l’habitude de s’occuper des jambes. Des petites jambes. Mais cela ne serait sans doute pas bien différent.

« Je vais commencer. » prévient-il, donnant encore quelques secondes de préparation à l’artiste, avant de poser une petite couche de crème sur sa nuque.

Mouvements circulaires. Pression légère et pourtant ferme à la fois. Il sentit sous la pulpe de ses doigts les muscles tendus, fatigués. Plissement d’yeux concentré, ses yeux glissaient parfois en direction du jeune homme, adaptant ses gestes à ses réactions.

Gestes suspendus un bref instant. Il l’a vu se contracter, peut-être. Il n’en était pas certain, mais malgré tout, il lui laissa le temps d’accuser le coup. Et quand l’inconnu lui redonna le feu vert, ses mains repartirent au turbin, massant avec douceur les zones nouées.

Souvenir fugace. Il secoue brièvement la tête et focalise ses pensées sur la personne qu’il a devant lui. Le photographe. Personne d’autre. Il enchaîne doucement, dénouant les muscles et les nerfs sous le roulement régulier de ses pouces. Espérant bien faire. Pauses marquées à chaque fois que le jeune homme semble en avoir besoin, il demeure attentif à ce que son corps laisse exprimer, à ses mots, à ses réactions.

Remerciement lui parvenant dans un souffle. Aussitôt, ses mains s’arrêtent et s’éloignent à distance respectable, et il s’écarte même d’un pas, puis deux, s’esquivant en direction de la porte. Il espérait ne pas avoir causé plus de mal que de bien, car le photographe avait beau le remercier, ses paroles pouvaient n’être qu’une façade pour son véritable ressenti. Hmm. Ombre passagère dans le regard, le jeune homme baissa brièvement les yeux avant de se ressaisir et de lever les mains. Pas un mot, mais il estimait que ce simple geste rendrait son départ de la chambre compréhensible.

Refermant la porte derrière lui, il laissa à l’artiste le temps et l’intimité de remettre son t-shirt, tandis qu’il se dirigeait vers la salle d’eau. Mains poisseuses. Il grimaça en prenant peu à peu conscience de la sensation. Il lui fallut alors bien cinq bonnes minutes à frictionner sa peau sous l’eau tiède pour se débarrasser de cette impression de gras, et il prit son temps pour revenir à la chambre. L’idée que l’inconnu puisse tomber nez à nez avec son colocataire ne lui avait pas traversé l’esprit. Ni même qu’il puisse être finalement quelqu’un de mal intentionné et qu’il laisse errer ses mains sur quelque objet de valeur. Non. Confiance inconsciente et candide.

Kotai gratta à la porte pour signaler son retour, et passé dix secondes, il la poussa pour se glisser à l'intérieur.

Porte laissée ouverte après son passage, il se heurta à nouveau à des remerciements, et la répétition lui fit afficher une brève grimace d’inconfort. Trop d’attention. Trop de gentillesse. Il n’avait agis ainsi que sur sa propre demande, acceptant la logique de lui venir en aide pour quelque chose d’aussi bénin qu’un massage.

Le photographe semble avoir retrouvé son flegme, et le jeune japonais a de toute manière baissé les yeux, incapable de voir au delà de ce que son attitude pouvait dissimuler. Il avait sans doute encore quelques douleurs, la crème n’était guère une solution miracle, et tout ce qu’il lui fallait à présent c’était du repos. Et à tous les deux en vérité. La journée avait été particulièrement longue, et nul doute que son colocataire n’allait pas tarder à débarquer d’une minute à l’autre. Au moins n’avait-il pas surgi au moment où l’artiste était en train de se rhabiller, Kotai doutait être capable d’encaisser un flot de questions - justifiées ! - après être resté aussi longtemps au contact d’autrui. Il n’avait pas mal, mais son esprit en ressortait épuisé, et comme un écho, un miroir, son corps s’en retrouvait également tiraillé par la fatigue. Bâillement dissimulé à temps derrière sa main, il ne parvient pas à relever les yeux quand il demande d’une petite voix :

« Est-ce que ça va aller jusqu’à ta chambre ? »

Question courtoise. L’inconnu n’avait sans doute que quelques pas à faire, mais il aurait été malpoli de ne pas au moins proposer de l’accompagner. Bon, il ne l’avait pas formulé ainsi, pour une fois il avait sur faire preuve de délicatesse dans sa formulation, et il se pinça même les lèvres pour ne pas laisser s’échapper sa véritable interrogation.

Répétition. Hésitation. Si ça n’allait pas, il était évident que le photographe prendrait sur lui. Réaction naturelle, peut-être, face à l’inconnu qui lui avait pourtant ouvert sa porte sans grande hésitation et offert le confort d’un massage. Un enchaînement qui n’aurait certainement pas eu lieu en temps normal, mais les protagonistes ne semblaient guère daigner se conformer à la normalité. Consciemment ou non. En tout cas, les pensées de Kotai n’allaient pas aussi loin. Il avait noté le rétropédalage de l’artiste, mais il avait jugé cela comme une simple reformulation de son idée.

Silhouette qui se redresse et qui se prépare peut-être à partir. Une idée le retient néanmoins, et quand il la mentionne, le visage du petit brun s’éclaire d’un zeste de surprise. Il acquiesce doucement et, contournant prudemment l’étranger, il ouvre enfin son tiroir à merveilles. Câbles, notes, petit matériel d’entretien pour ordinateur, tout est rangé à la perfection et il n’a aucun mal à attraper l’une de ses clés. Il vérifie qu’elle ne comporte pas de gommette, et il la tend sans plus attendre à son invité.

Mais pourquoi la clé USB déjà ? Son cerveau mouline, se rembobinant leur échange jusqu’à remonter à la mention de la photo. Oh oui ! Il aurait pu lui donner son adresse mail, mais soit, les anciennes techniques étaient tout autant efficaces.

Une promesse de retrouvailles et, étrangement, elle ne le mettait pas mal à l’aise pour une fois. L’artiste et lui n’évoluaient certainement pas dans les mêmes cercles, sociaux ou d’intérêt, mais sa compagnie avait été agréable, plus qu’il n’aurait pu l’imaginer. Il dégageait une assurance et une sympathie particulière, et quand bien même devait-il appartenir à cette catégorie de personnes toujours sympas, toujours aimables, il avait su ne pas trop l'envahir. Alors, avec un plissement d’yeux enjoué, il le raccompagna jusqu’à la porte, lui répondant d’un simple signe de tête. Au revoir timide et silencieux, les mots ne semblaient plus d’humeur à sortir au delà d’une certaine heure.

Étendu dans son lit, le jeune homme s’était couché aussitôt son invité parti. Une chance pour ce dernier, car si Kotai avait remarqué son oubli, nul doute qu’il se serait lancé à sa suite. Il baissa la luminosité de son téléphone et, puisque le sommeil n’était pas encore agressif, il alla vagabonder sur quelques serveurs pour se fatiguer un peu plus.

Discussion en tête à tête au milieu de la foule de messages. Il n’a aucun mal à repérer les mots qui lui sont adressés, quand bien même leur auteur pouvait enchaîner sur d’autres sujets, avec d’autres membres de la compagnie. Plus qu’une entrevue ? Oh, il espérait un développement encore plus poussé du souverain domien, mais il se doutait que le personnage était arrivé au bout de son arc. Hormis les moments où l’histoire reviendrait sur un axe plus politique, il n’y aurait sans doute plus de discussion seul à seul au sein de ses quartiers. Une tristesse qu’il oublia rapidement, intrigué qu’il était par la suite des évènements. Au message de Tatsu, il ne glissa qu’un petit smiley de chat riant derrière sa patte, perdu au milieu d’une autre conversation. Mais Tatsu saurait. Il savait toujours tout. Présence rassurante. Autant que sa voix. Hmm. C’était peut-être pour ça qu’il appréciait le photographe : ils avaient un timbre semblable.

Sur cette pensée, il ferma les yeux et se laissa emporter.

#Terminé