Délit de faciès

Yeux encore rouges, joues irritées et paupières gonflées. Mais la gamine renifle. Le câlin, les mots gentils ont fait leur effet. La main du magicien frôle la joue tremblotante, tandis qu'un sourire s'épanouit. Juste pour elle. Compréhension, empathie.

- Tu vois, tu es forte. C'est assez de larmes pour aujourd'hui, d'accord ?

Léger hochement de tête. Sourire, encore. La main gantée la pousse gentiment vers ses camarades.

- Allez, vas.

Le chagrin n'est pas oublié. Mais pour un temps au moins, il s'efface, au profit des rires et des jeux. Et le magicien, présence rassurante, presque surnaturelle, disparaît à son tour.

En coulisses (c'est une façon de le voir), il court. La créature fantasque aux milles et un tours n'est qu'un étudiant, un humain comme les autres soumis aux contraintes d'une vie bien remplie. Le sourire amusé d'une infirmière l'intercepte.

- Désolé mais je suis en retard.
- C'est parce que vous vous souciez vraiment des enfants.

Yeux légèrement plissés, même s'il n'a pas le temps de s'attarder. Un sourire ambigu étire ses lèvres. (Il est là pour ça après tout.)

Incident imprévisible. Mais il a perdu du temps pour sa prochaine prestation. Présentable ? Passage dans les vestiaires, coup d'œil rapide au miroir. Ses cheveux ne sont pas vraiment décoiffés. Il a bien fait de ne pas trop se maquiller. Il réajustera ses épingles sur place. Son costume ? Clairement, il n'a pas le temps de se changer. Pas très grave, il a fait bien pire. (Son costume de Shun, à tout hasard... ?)
Gants retirés et rangés, il attrape la lanière de son sac et file dans les couloirs. Jusqu'à l'entrée de l'hôpital. La cape ? Il l'a gardée. (Quite à avoir l'air d'un clown, autant assumer jusqu'au bout !) En espérant qu'il n'y a aucun enfant à la fenêtre, pour voir leur ami magicien filer comme un voleur.

Debout dans le bus, sac à ses pieds. L'urgence s'est calmée. (Pas le choix.) Les regards auraient pu être pesants. Mais il s'en fiche. Pis, il répond à chacun par un petit clin d'œil ou un sourire mutin. (Heureusement que ça n'arrive pas souvent.)

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Même les peintures ont besoin de livres. Dans la section Histoire de l'Art, les yeux verts parcourent les rayonnages. L'impressionnisme y figure en bonne place, et l'étudiant repart avec quelques ouvrages portant sur l'œuvre d'Edouard Manet, à qui l'on attribue l'initiation du mouvement.

A sa table, ses notes n'attendent que lui. Plongeant dans les livres, il noircit peu à peu ses feuilles de commentaires et de dessins. S'il a pu échanger avec quelques personnes en entrant dans la bibliothèque, maintenant seule l'opaline de ses cheveux tranche avec sa solitude et son sérieux.

Un lien entre la littérature et la peinture. L'Enfant aux cerises. La Corde. Le monde de l'art est un cercle restreint. Tous les artistes d'une époque se connaissent. Se retrouvent.
Pas d'écran pour le créateur en devenir. Ecrire (et dessiner) lui permet de mieux se concentrer. Le contact de la plume et du crayon à papier est concret, tangible. Tout comme la trace qu'ils laissent sur la feuille. Qui n'est pas restée blanche très longtemps.

Une ombre. Il relève les yeux.

- Oui ?

Un parfait inconnu en face de lui. Qui commence à poser ses affaires. A s'installer. Le sens de la question lui parvient. (Enfin.) Apparemment il vient d'accepter sa présence à sa table. Léger quiproquo. Rien qui ne mérite de revenir sur ses propos. Un petit sourire de bienvenue.

- N'hésite pas si tu as besoin d'un coup de main.

Totalement ignorant de sa spécialité ou du sujet de son étude, mais qu'importe. (Un peu de bienveillance ne fait de mal à personne.)

L'atelier Couture, ou l'importance des relations. Implications politiques... Extrémité du stylo posé sur ses lèvres. Où voulait-il en venir, déjà ?
Distraits, les yeux verts observent un moment son voisin de table. Resté silencieux depuis qu'il a ouvert ses livres. Il n'a pas cherché à le déranger plus que nécessaire. Filière scientifique. Pas trop son domaine. Ca explique qu'il n'ait accepté que vaguement sa proposition.

Ses yeux replongent dans ses notes. Concentration vacillante. Alors il attrape une feuille vierge. Son crayon. Et, du centre, trace quelques grandes lignes. Puis, il commence à dessiner. Le Vieux Musicien. Reconstituer la composition de mémoire est un excellent exercice.

La structure globale est en place. Uniquement de mémoire. Peu à peu les silhouettes prennent forme. Puis les visages. Entre ses doigts la mine se met à trembler. (Ce n'est pas...)

Exclamation chuchotée. Eclat de voix calfeutré. Rien qui risque de briser le calme ambiant. Mais l'étudiant en art a relevé les yeux. Son crayon est tombé de sa main. Détail secondaire.

- Excuse-moi... ?

Surprise et curiosité dans le regard.

Crayon qui roule. Bientôt rattrapé par une main agile. Posé à côté du dessin. A peine une ébauche. L'étudiant évite de la regarder. Alors il fait tourner la mine coupable entre ses doigts.
De la gêne ? De son interlocuteur, peut-être. Pour sa part, aucune. L'incertitude marque les paroles du scientifique. Lui, sourit. Un petit silence précède sa réponse.

- ... Exact.

Graphite posé sur son sourire taquin. Mais l'inconfort semble suffisant pour que l'autre ne cherche pas à développer. Aussitôt la remarque faite, il retourne à son étude. Petite moue. (Dommage, vraiment ?) Il ne lui reste qu'à l'imiter. S'il lui vient l'envie de revenir sur le sujet, il est juste là.

Blocage. Lignes noires décrivant l'influence d'un artiste sur son époque. Il les relit sans les voir. Idées embrouillées. Sur l'exercice de composition, les traits se croisent de manière absurde. Battement de cœur dans les tempes. Main sur sa poitrine. Un peu de calme. Il ferme les yeux. Murmure. Inaudible. Pardon. Puis se lève. (Ce n'est rien.)

- Tu veux quelque chose à boire ?

C'est sans compter la bouteille d'eau posée sur la table. Mais son voisin pourrait vouloir autre chose.

L'autre ne se fait pas trop prier. Un coup d'œil à sa bouteille d'eau lui a visiblement suffi pour se décider. Pièces posées entre eux, l'artiste les considère un instant. Avant de se détourner sur un petit rire.

- C'est moi qui offre.

Non négociable. Il est déjà parti.

Dehors. Il n'a pas besoin de sortir pour aller au distributeur de boissons. Mais il respire. Lentement, profondément. Ses doigts frôlent le tissu. Imperceptible relief. Sourire flottant sur ses lèvres. Il rentre à nouveau.

- Et voilà votre commande mon brave.

Clin d'œil alors qu'il pose la canette de thé (bien glacé) devant son camarade. De son côté, une simple bouteille d'eau fraîche, dont il prend une grande rasade. Discret soupir. Il sourit à son voisin de tablée avant de s'asseoir.

- J'espère que ça te va.

Bouteille refermée, il rebaisse les yeux sur son ouvrage. Idées clarifiées, ça devrait aller mieux. Il glisse la composition encore schématique sous son devoir.

Idées principales élaguées. L'étudiant sourit, alors qu'il replonge dans les livres. C'est bien plus facile quand on sait exactement quoi chercher. D'autres feuilles passent sous sa plume. Les pages tournent. Les artistes et leur temps. (Ca sonne bien.) Edouard Manet et son cercle n'auront bientôt plus aucun secret pour lui.

Stylo relevé. (Point final ?) Il reste encore à réorganiser ses idées, agencer les paragraphes. Remettre au propre en somme. Mais tout est là. Le plan est clair. Petit soupir satisfait. Il relève un instant les yeux, avant de rassembler les feuilles volantes. Il a perdu le fil des heures. Notion du temps très relative. Mais une chose est certaine maintenant qu'il a l'esprit libre. (Son estomac n'est pas très discret.) ... il a faim.

Gaieté étouffé sous sa main. L'estomac du blond a répondu au sien. Sans aucune vergogne.

- Pardon.

Autant pour le bruit incongru que pour son pouffement. En aucun cas une moquerie. Ses yeux restent rieurs. Son voisin s'est visiblement laissé emporter tout comme lui, rappelé à l'ordre par son corps impatient.
Ses quelques affaires sont rangées, ne restent plus que les livres à replacer. Membres légèrement engourdis, il prend le temps de les étirer doucement. Avant de regarder à nouveau son voisin de table. Yeux plissés sur un sourire malicieux.

- C'est une invitation ?

Plaisanterie à peine voilée mais l'autre y répond. Sourire badin devant le gargouillement intense qui le pousse dans son sens. Et devant l'air résigné autant que la réplique mi-figue mi-raisin de son camarade.

- S'il insiste alors... (Il ne se sent pas forcé au moins ?)

Un temps pour la réflexion et un temps pour ranger les livres. Edouard Manet a retrouvé sa place dans les étagères. Trait d'humour. Il hausse un sourcil, amusé. Le blond est plus jovial qu'il n'en a l'air. Et ne manque pas d'autodérision. Doigts portés à son menton, l'artiste fait mine de réfléchir.

- Ce serait une idée...

Petit coup d'œil à son voisin, juste assez pour jauger sa réaction. Avant de donner un petit coup contre son épaule. (Risqué, ça.)

- Naaan... Je ne voudrais pas t'enterrer avant l'heure !

Depuis qu'il est là (tout juste un mois !), force est d'avouer qu'il n'a guère exploré les possibilités gastronomiques du coin. L'argent qui rentre sort pour l'instant assez peu.
Une colle ? Un défi ? Qu'à cela ne tienne. Son regard soutient celui de son compétiteur. Sourire ancré au visage.

- Un restaurant de yakiniku, ça te tente ?

De la viande grillée. Pour une première, rien de très exotique. (Joueur, mais...) Pas de risque. Tant au niveau des goûts de son camarade (pas difficile de l'imaginer viandard) que de la probabilité de trouver un tel restaurant à proximité. Sans compter qu'un petit restaurant traditionnel sera moins cher que de la cuisine européenne. (Alors, une bonne idée ?)

Réaction enthousiaste. L'étudiant est peu loquace, mais démonstratif. (Ce petit air béat sur son visage, là...)
Une chance qu'il y ait un yakiniku aussi proche. Un signe de tête valide l'adresse. Elle lui est inconnue mais la note incite à la confiance. Il a faim, le blond a faim (il trépigne presque), aucune raison de différer. (Ah, si.)

- On se retrouve à l'entrée du campus ?

Le temps de se débarrasser du surplus. Pas besoin de traîner ses affaires de cours à l'extérieur. C'est rapide. Passage au dortoir, il a ce qu'il faut dans les poches. Et à la grille, la tête blonde n'est pas difficile à repérer.

- Prêt ?

Et ils sont partis. Sur le chemin, comme un picotement. Quelque chose manque. Pas la conversation. Son camarade n'est pas expansif et il respecte ça. (Etonnant, vu son expérience...) Mais Ils vont passer un petit moment ensemble. Par choix cette fois. Il étouffe à nouveau un rire derrière sa main. Avant de la tendre vers son acolyte.

- Saito Shin.

Un salut finalement très... européen. (Et le clin d'œil, on en parle ?)

Main tendue. Il a fini par s'arrêter devant l'indécision de son camarade. Qui lui sert la main à retardement, lui arrachant un nouveau sourire. Avant de repartir.

- Enchanté Fujiki... kun ?

Peu de chance de se tromper. Ils ont sensiblement le même âge. Mais ça ne coûte rien de demander la permission, de s'assurer que cette dénomination lui convient.

- Tu veux regarder la carte du restau en avance ?

Impatience grandissante dans le rythme de ses pas. Ca pourrait être une bonne idée s'il veut gagner un peu de temps à l'arrivée. Il a cru voir un lien dans le descriptif que le blond lui a montré. Faire plus ample connaissance pourra toujours venir devant leur assiette. Ils ont tout le temps pour ça. Leurs estomacs beaucoup moins. (Pourvu qu'ils arrivent avant qu'ils ne crient encore à la maltraitance.) En attendant, marcher en silence lui convient.

Sourire amusé. L'étudiant ouvre la porte. Et la maintient pour son camarade.

- Allons-y.

Il s'engouffre à sa suite, même s'il prend les devants. Une table pour deux. Sur place. Une fois installés, son portable trouve naturellement place dans sa main. Mais il ne le regarde pas immédiatement.

- On est mieux là, non ?

Posés. Assis. Plutôt que de stagner dans la rue. Pour sa part, le choix est rapide. Un coup d'œil au menu lui suffit. C'est le soir, il mange peu. Son regard s'attarde un instant sur son écran. Petite tête dans un coin. Plus tard. Verrouillé, le téléphone retourne se cacher. Et quand on vient les voir pour la commande, il fait un petit geste de la main en direction de son compagnon. Enjoué et théâtral.

- A toi l'honneur.

Joue appuyée contre ses doigts repliés, il écoute la commande de son camarade. Rien de surprenant d'après ce qu'il a déjà pu remarquer. Bien que la longueur de la liste le fasse sourire. (Un grand gourmand.) Attention focalisée sur le blond. Une image se grave dans son inconscient. Le serveur note tout, attentif et patient. (Admirable.) De la bière ? Soit. Puis vient son tour.
Du kata rosu (viande maigre et forte en goût), du poulet, un large assortiment de légumes. Rien de vraiment extraordinaire. Et du riz. Il précise d'apporter ses plats de manière à être synchrone avec son ami pour les cuissons. La convivialité fait tout l'intérêt du restaurant, ce serait dommage de ne pas en profiter.

Le serveur repart, très professionnel malgré un regard insistant sur la couleur de cheveux peu conventionnelle des étudiants. Ce qui fait sourire le plus artificiel des deux. Un sujet plutôt intéressant pour engager la conversation.

- Tes cheveux, c'est naturel, non ?

Plus nuancés qu'une décoloration, pas de racine visible... La couleur pourrait certes être parfaitement entretenue (il en sait quelque chose), mais il est habitué. Certains indices ne trompent pas.

Un sujet visiblement plus délicat qu’il n’y paraît. La moue du blond trahit un flot de pensées dont certaines ne sont pas des plus agréables. Curiosité déplacée ? Il n’y aurait pas songé. Surtout vis-à-vis d’un type comme lui. (Se laisser marcher sur les pieds ? Pas son genre.) Il est peut-être juste différent. Ses yeux verts n’ont jamais été une source d’exclusion, de brimades ou de souffrances. Ni pour lui ni pour...

- Pas besoin ? Qu’est-ce qui te fait croire que ce magnifique vert n’est pas cent pour cent naturel... ?

Mine faussement boudeuse, main dans ses cheveux pour confirmer ses dires. Mais l’humour sembler glisser sur son camarade. (Une carapace.) Téléphone en main, une distance supplémentaire.

- Je ne pensais pas que c'était un problème pour toi. Si je t’ai blessé, excuse-moi. C’est surtout un prétexte pour savoir d'où tu viens, te connaître un peu mieux.

Sourire contrit mais malgré tout avenant. Contrairement à ce que le renfrogné semble penser, cette simple question pouvait amener tout un tas de conversations très diverses. Ce serait dommage de ne pas en saisir quelques-unes au vol. (C'est son point de vue.) Mais si l'autre n'en a pas envie, rien ne l'y oblige.