Stu(dying), stu(died)

Rouge.

D’encre. L’épreuve d’art plastiques des étudiants avait eu lieu six jours plus tôt. Les corrections ne devaient pas se faire attendre. Une machine était en marche et elle devait cesser de cracher son cambouis avant le 26 de ce mois. On ne plaisantait pas avec les délais au pays du soleil levant. Quitte à suer corps et âme, l’honneur de chaque professeur de ce campus était en jeu à chaque période d’examens. Retarder la présentation des résultats ? Sacrilège ! Qu’on lui signe sa lettre de démission ! Souriant à ce code d’honneur gravé dans leur chaire, Gareth exagérait à peine. Alors il approuvait, émettait des réserves, signalait les contre-sens et hors sujet des écrits enflammés de jeunes esprits sous pression. Des copies sommes toute moyennes pour l’heure. Espérons que les prochaines de son tas, qui s’entêtait à ne pas vouloir s’amenuiser, soient meilleures.

Espérons que son protégé se mettrait enfin à rédiger sa plus belle dissertation. Le châtain tentait tant bien que mal de ne pas y porter une attention trop appuyée, mais chaque coup d’œil à sa montre faisait grimper son inquiétude. Il ne devrait pas être en mesure de croiser le regard de son élève mais plutôt avoir une belle vue sur sa tignasse baissée sur sa feuille. Écris ! N’importe quoi mais écris ! Lui criait son regard apatite.

Le message semble l’atteindre, mais Gareth peine à se sentir rassurer. Il le voit, chercher ses mots, perdre sa main dans ses mèches brunes en quête d’une idée miracle. Dans un soupir silencieux, le professeur se fait violence pour retourner à ses corrections.

La sonnerie retentit. Et un nouveau tas de feuilles se crée sur son bureau. Un sourire contrit à Seito avant que la salle ne se vide et qu’il doive s’assurer de sceller les productions dans une grande enveloppe kraft.

Lorsque Gareth ressort, son sac bandoulière sur l’épaule et l’enveloppe sous le bras, sa mission est encore loin d’être achevée. Il s’autorise néanmoins une entorse en voyant Seito déconfit contre le mur.

« Mori-kun... Est-ce que tu es tombé sur quelque chose que tu avais moins révisé ? Le programme est chargé, c’est un peu la roulette russe... »

Une question de choix et de chance. D’ordinaire, son élève brillait par sa perspicacité et son impressionnante culture littéraire, mais personne n’était infaillible et d’autant moins sous stress.

Loin de lui l’intention de le vexer avec cette question. Gareth savait pertinemment que son élève était tout à fait capable de sen sortir quelque soit le sujet, sauf qu’aujourd’hui, ce n’était pas le cas. Alors demander comment l’examen s’était passé lui sembla d’autant plus ridicule. Il voudrait remonter le temps de plusieurs mois, lui permettre de se reprendre, réviser, effacer ce qui pouvait bien avoir gâcher l’ascension de la pente gravit. Lui qui pensait que tout rentrait enfin dans l’ordre dans la vie de son protégé. Plus que cette potentielle mauvaise note rattrapable, c’était la réaction des parents ô combien aimables de Seito qui l’inquiétait.

Ca n’aurait pas dû mais nul n’est à l’abri. Le plus dur est de ne pas rester bloqué dessus et faire mieux la prochaine fois. Mais comment nourrir cet état d’esprit lorsque trébucher n’était pas même permis ? Gareth se sentait désarmé. Il ne pouvait rien faire pour changer ce que vaudrait sa copie, il se refusait le crachat de paroles rassurantes vides de sens. Alors le silence se poursuit, jusqu’à ce qu’un rappel à l’ordre soit nécessaire.

« Ne dis pas ça. »

Une pointe d’autorité doublée d’une peine non dissimulée habillent sa voix. Il savait que ce n’était qu’une image, du moins, il l’espérait fortement. Pour beaucoup d’étudiants sous pression, ce n’en était pas une... Enfin bref. Assez d’idées sombres se profilaient pour ajouter la pire de toute.

A sa mention, le professeur baissa son regard vers l’enveloppe. Ah oui. Il l’avait déjà oublié. Hors de question cependant de le laisser dans cet état jusqu’au prochain examen.

« Je dépose ça et on se rejoint au parc. Aucune protestation ne sera acceptée ! A tout de suite. »

Sans un regard de plus, le métisse se dirigea à la hâte en salle des professeurs pour déposer les copies en sûreté. Il confirma ledit dépôt de sa signature puis se dirigea vers son bureau. Ses doigts attrapèrent la poignée d’un tiroir où il sortit trois boîtes de Pocky de différents parfums. A l’extérieur, il pris deux ramunes au distributeur. Ses yeux balayaient les bancs à la recherche de Seito, espérant ne pas se retrouver seul avec ses victuailles.

Son regard azur se pose rapidement sur les quelques bancs à l’ombre faisant office d’échappatoire au soleil brûlant. La plupart sont déjà occupés par d’autres étudiants, mais par chance l’un d’eux attendait son protégé. Il ne voit pas sa tête, baissée vers le sol, mais reconnaît sa tignasse brune et les mains qui s’y perdent, pour l’avoir vu faire un nombre bien trop important de fois pour son jeune âge. Seito finit tout de même par se redresser et le saluer. Gareth incline la tête en réponse à son élève. D’ordinaire ils ne s’embarrassent plus de ces politesses mais le parc possède des yeux partout.

Aussi triste que peut être le tableau dépeint par l’adolescent qui se flagelle une nouvelle fois, le professeur ne peut s’empêcher d’être attendri par ce garçon en manque de reconnaissance et d’affection. Des notions somme toutes simples, des notions qui devraient être naturellement présentes en chacun d’eux, et pourtant.

« Après trois heures dans une salle d’examen, tout le monde mérite des Pocky et une ramune fraîche. Tiens. »

Il lui tend et n’en démordra pas tant qu’il n’aura pas saisie la bouteille et un des paquets de sucreries. Le châtain décide enfin de s’asseoir à ses côtés, respectant une distance raisonnable entre un élève et un professeur, à savoir au moins soixante centimètres. Toujours précis en matière de distance.

« Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est le stress ? La pression ? »

Il y a des moments où ça ne passe pas. On a beau se démener, se préparer, bûcher sans relâche, ça ne veut pas. Gareth avait toujours été du genre bon élève alors, il ne lui était arrivé que de très rares fois d’avoir vraiment le sentiment de foirer. Tout ça pour que, bien explicité par son élève, sa note ne soit pas si catastrophique qu’il le pensait. En s’en souvenant, il retint ses paroles, les lèvres entre-ouvertes pendant un instant.

Pour autant, il y avait un autre domaine où le professeur avait brillé par son incompétence. Ce n’était pas une matière scolaire, mais pour un grand passionné de basket comme lui, c’était tout comme. Ce jour-là, ils avaient perdu par sa faute, douze ans plus tard, le châtain en était toujours persuadé. Quand on est bon...

« Il n’y a que quand on est bon dans quelque chose qu’on sait quand on a vraiment été nul, pas vrai ? »

Même lorsqu’on a eu toute l’aide du monde. Même de ce senpai super sympa avec qui on s’enferme seuls dans la salle du club de littérature. Gareth ressent un petit pincement lorsque Seito s’interrompt. Ce dernier n’est bien sûr, pas censé savoir que leur professeur d’histoire et géographie lui fait des confidences sur l’oreiller. Il pensait néanmoins lui avoir déjà dis la vérité le concernant. Mais passons, là n’était pas la question.

« Quand j’étais au lycée, mon équipe a réussi à se hisser jusqu’en demi-finale de la Winter Cup. C’était la première fois depuis pas mal d’années. Je me suis entraîné comme un malade, même en dehors du club. J’étais prêt à dunker la terre entière. Sauf que le jour J, la pression m’a cloué au sol. J’ai fais n’importe quoi, même passé la balle à un adversaire sans m’en rendre compte, en plus de fautes stupides... J’ai fini par hyperventiler. Le coach m’a fait sortir. Je me suis senti... Bah comme une merde. On a perdu. Pas parce que j’étais plus là, mais parce que mon stress a sûrement atteint tous les autres. Pour moi, ça a toujours été ma faute. »

En reparler le rend nostalgique. Cette compétition était si importante pour lui à l’époque, comme si la gagner, c’était devenir les rois de la planète.

« Je sais que ça n’a rien à voir avec des examens ratés, mais je comprends ce que tu ressens. Y’a du bon dans le fait de laisser une part au hasard, la pression paralyse. C’est ce qui t’es arrivé. Leur réaction, c'est ce qui t’inquiète, hein ? »

Bien entendu, Gareth parlait de ses parents... En soit, ils étaient le réel problème. Rater un examen pour Seito, c’était comme échouer à être de nouveau adopté par ses propres parents. Ils lui donnaient la nausée.

Seito hausse les épaules. Il ne se dira jamais bon en littérature. Pourtant chacune de ses copies prouve qu’il a dépassé le stade de la débrouille. C’est le domaine où il parvient à briller, et il n’est même pas en mesure de l’apprécier à sa juste valeur. La faute à des parents qui aimeraient le voir excellent dans d’autres matières plus scientifiques.

C’est difficile pour moi, d’avoir ce rôle qui ne devrait pas être uniquement le mien. D’avoir le sentiment d’être à trois contre un. D’être le seul qui croit en ses capacités et s’acharne à leur faire voir ce qu’ils démentent sans relâche. Mais si je ne m’y échine pas, qui le fera ? Certainement pas ses parents, qui n’ont ce statut que sur le livret de famille. Oh ça fait bien longtemps que le peu d’estime que je leur portais s’est envolé. Parent est même trop respectueux pour eux, géniteurs convient mieux. Mon dégoût à leur égard atteint un plafond qu’il ne m’est pas permis de révéler.

Je fais malgré tout taire mon venin pour tenter une approche différente, capter l’attention de Mori-kun qui se morfond au point de presque fusionner avec le banc. Je parviens à obtenir un regard, mais n’y trouve qu’une flamme à l’agonie, bien loin de celle qui brûlait encore quelques temps auparavant. Son bonheur n’avait même pas duré assez pour justifier l’adage de sa courte durée.

Alors ils n’attendaient que ça. Comme des prédateurs assis au pied d’un arbre, guettant patiemment le moment où leur proie devra bien descendre pour s’abreuver. Il s’en était abreuvé, de son bonheur éphémère, jusqu’à ce que l’oasis de leur affection s’assèche au soleil. Bien sûr qu’il ne voulait pas rater. Qui le voulait vraiment...

La suite de ses paroles me fait un peu plus de peine. Mori-kun passait son temps à craindre de décevoir la Terre entière. Le tout avec l’idée qu’il était de toute manière, incapable de ne pas décevoir. Un combat perdu d’avance. Je ne peux pas le laisser s’ajouter de nouvelles craintes, pas envers les alliés qu’il avait eu tant de mal à se trouver.  

« Tu ne les décevra pas, ils n’ont pas le même schéma de pensée que tes parents. Ils t’aident parce que tu es leur ami et en tant qu’étudiant, je suis sûr qu’ils savent que l’échec est toujours possible même en buchant comme un damné. Ils seront tristes pour toi, mais pas déçus, j’en suis certain. Essaie de ne pas tout voir par le prisme de tes parents, même s’ils t’ont mis tellement de pensées négatives en tête que, je sais que c’est difficile. »

Un jour, je le prendrai dans mes bras en ayant strictement rien à f**tre de ce que les autres penseront. Je déteste le voir dans cet état ! Je déteste mon impuissance face à cet acharnement que ne je sais faire cesser ! Les Pocky n’y changeront rien mais c’est une maigre consolation. Je prends aussi un paquet et en fait craquer deux sous mes dents.

« Mori-kun... Je crois que... Si un autre prof m’entendait, il ferait sûrement une crise cardiaque mais tant pis... Je crois qu’après tous ces efforts, tout ce qu’il reste c’est... De ne plus chercher à répondre à leurs attentes. De commencer à penser à toi plutôt qu’à ce qu’ils penseront de toi, de suivre ta propre voie, même si ça ne leur plaît pas. Parce qu’ils ont montré que rien ne les satisfera jamais et... Ce... Ce n’est pas ça l’amour sain d’un parent. »

C’est dur. Peut-être que je ne devrais pas dire ces mots. Mais le voir constamment courir après une chimère à s’en épuiser me tord l’estomac. Jamais il n’obtiendra ce qu’il souhaite ; et il valait mieux souffrir une bonne fois, s’en faire une raison et tenter de guérir, que souffrir toute sa vie dans l’espérance que ce souhait utopique se réalise un jour, en vain.

Je m’en doutais, que mes mots lui feraient du mal. Qui pourrait entendre sagement que ses parents ne l’aiment pas comme il faudrait ? Impossible. Pourtant... Pourtant, sans ce constat, il continuerait à courir après cet amour qui ne sera sûrement jamais comme il l’espère au fond de lui.

Plus qu’un adolescent en colère, je vois un adolescent qui souffre. Alors j’encaisse ce que j’ai déclenché. Le fleuve sort de son lit et m’emporte sans que je me débatte. Je sais que cela ne suffira pas à calmer le torrent de douleur qui irrigue son coeur, se propage dans chacun de ses muscles et parasite les méninges sous sa tignasse. Tout part toujours du coeur. La rivière offre un répit de courte durée, j’attrape une branche au vol avant qu’elle ne revienne à la charge.

« Je ne voulais pas te blesser, excuse-moi. »

Mais la vérité est la plus meurtrière des armes.

« Mais, il n’y a rien de plus normal que vouloir que nos parents nous aiment pour ce qu’on est. »

Et non pour ce qu’on accomplit ou parce qu’on remplit toutes leurs espérances.

« La question n’est pas de savoir si c’est normal ou pas. Toutes les familles ont leurs difficultés. La question, c’est pendant combien de temps est-ce que tu vas continuer à encaisser, à endurer ? »

Jusqu’à te briser.

Est-ce que Chiaki se mettra aussi à me parler sur ce ton quand il en aura l’âge ? J’imagine que je n’y échapperai pas. Et que comme tout parent je me mettrai à lui gueuler dessus de me parler autrement. Aaah... Je n’ai pas hâte qu’il grandisse finalement, il n’y a pas une potion pour qu’il reste le gentil petit bambin qu’il est ? J’exagère à peine.

Je devrais réprimander Seito mais ce n’est pas comme si ça servirait à quelque chose ici. Un regard au ciel bleu, pour le remercier de m’avoir mis sur la voie d’une tâche aussi ingrate. J’ai choisi la première ligne, paraît-il, je ne fuirai pas le front. Si toutes les familles ont leurs difficultés...

Oh putain. On vient de faire plus de pas en arrière que Michael Jackson en moonwalk n’en aura jamais fait. Le soupir qui gonfle dans ma gorge est retenu par toute ma bonne volonté, s’en échappe un souffle plus discret. Je ne sais pas l’expliquer, mais ça m’agace de pâtiner autant, de m’investir autant pour le sortir de son sable mouvant, juste pour que cette famille se ligue constamment contre moi. Entre Seito qui veut lâcher la corde que je lui tends et ses parents qui veulent limite la lui couper entre les mains «qu’il se sauve tout seul s’il en est digne !», je sature.

« Bien, parfait. Si tu sais déjà comment ça va se passer et que c’est comme ça et puis c’est tout pourquoi tu te fais ch*er alors ?! Va t’amuser, vis ta vie et n’en ait rien à fo*tre, problème résolu ! »

Elle est où ma ramune ? Ah, trouvée. Allez cul-sec.

L’ivresse du sucre sur ma langue est de courte durée. Chaque goûte avait maintenu le voile et avaler la dernière l’avait fait s’effondrer sur le bitume. La bouteille est vide et ma culpabilité pleine.

Pour moi ça changeait tout d’avoir échoué de cette manière. D’habitude on arrivait à se comprendre, je trouvais les mots pour ne serait-ce que remettre un peu d’air dans sa bouée. Mais là, je l’avais laissé se dégonfler et regardé Seito partir à la dérive du haut de mon canot de sauvetage avec un lâche « Désolé, on a tout essayé...». Pourtant là tout de suite, j’ai le sentiment que c’est vrai. Il y a-t-il quelque chose que j’aurais pu faire de plus ? Je ne vois rien, le phare ne m’éclaire plus.

Non, c’est moi qui ne mérite pas que tu t’inclines devant moi. De me prendre pour ce que je ne suis manifestement pas.

« Mori-kun... Je... »

Les mots ne viennent pas. Que faire quand la personne que l’on souhaite aider ne croit plus qu’elle peut l’être ? Enfoncer ma tête dans mes mains me paraît être la meilleure solution face à l’amertume de mon premier échec dans ma vie prudhommesque.