Chers lecteurs,

Quel mois de juin. Depuis la rupture, je n'ai plus pris le temps d'écrire mes merveilleuses et incroyables aventures. Je ne vais pas mentir : il s'est passé peu de choses et très honnêtement, c'était même tellement calme que je me suis sentie mourir à petits feux. La faute à Naoki, à ces pots de glaces que je me suis enquillés et la faute aux cours, aussi. C'est l'une des pires périodes, la période des examens et comme tous les autres, je me retrouve à devoir réviser. Pas que je sois un cancre, loin de là ! Je vous voir venir, supposer que je sois nulle en cours. Sachez une chose : je suis une très bonne élève. Le souci c'est que ce n'est jamais assez pour mes parents. Alors après une première année plutôt bien réussie (à mes yeux, hein), je me suis mis comme objectif d'accéder au top de la classe ! En plus de ça, il y a quelques beaux mecs qui sont encore plus beaux avec leur mine renfrognée à la bibliothèque...

Je m'étais donc dirigée vers ce lieu de torture pour certains (dont moi) et véritable temple pour d'autres. Je m'attendais à en croiser, des gens que je connais. Par exemple Seito Mori, que je suis étonnée de ne pas voir en train de renifler chaque rayon à la recherche du livre parfait pour parfaire sa panoplie du parfait petite étudiant ténébreux. Je vous jure, si vous le voyez en classe... Mais bref. Pas de Seito, pas de Naoki non plus d'ailleurs et ça, j'en suis plutôt soulagée. Après un autre rapide coup d'oeil, je m'installe devant un mec random avec le nez plongé dans son livre.

Je vous avais dit que je n'aimais pas la bio ? Parce que je n'aime pas la bio. En fait, non, c'est plutôt que la bio ne m'aime pas. Les maths ? Ca passe. Les cours de langue ? Je suis plutôt très douée ! Education physique ? Géographie ? Histoire ? Pfeuh, du petit lait pour moi ! Même en comptant le prof d'histoire pompeux qui a l'air tous les jours de plus en plus comme un fonctionnaire en fin de vie. Bientôt il trainera avec son stock de café en intraveineuse, le vieux. Bref. Tout ça pour dire que je m'en sors mais la bio... Argh mais quelle horreur ! Demandez-moi de la pratique, je pourrai sans problème vous montrer les effets des phéromones et tout le cirque autour, et en plus j'en connais qui seraient ravis d'être cobayes !... Mais la théorie, c'est trop pour moi.

Alors je papillonne, je chantonne, je me fais réprimander par la vieille chouette chargée de nous surveiller et après une autre énième remontrance, je me résigne. Je pose mes yeux sur l'inconnu d'en-face et je regarde littéralement dans le vide. Si seulement il s'agissait de devoirs, je pourrais lui faire du charme pour qu'il le fasse à ma place et ni vu, ni connu ! Mais il ne peut pas étudier à ma place... Ah tiens d'ailleurs, le voilà qui m'adresse la parole, aurait-il senti que je le regardais ? Sa demande est brève et froide et ça me pique.

Une méthode infaillible, t'aurais pas ?, lui dis-je en affichant mon plus beau sourire charmeur, les yeux en coeur, en appuyant ma tête sur mes mains. J'ai extrêêêêmement de mal avec la biologie... Tu veux pas m'aider, dis ?

J'ai l'impression d'être aux échecs, à avancer mes pions. On n'est pas encore au mat, il me reste quelques barrières à abattre avant d'atteindre le roi, mais ce premier mouvement me paraît être une bonne ouverture. En espérant que cela marche, cette fois, et que je ne sorte pas humiliée de la bibliothèque, ça me rappellerait trop un cours particulier de français...

Je n'ai pas pu m'empêcher d'ouvrir les deux yeux en grand quand il m'a demandé si j'étais en deuxième année comme lui. Attendez, ce type-là que j'estimais être plus vieux que moi d'un ou deux ans est en fait plus jeune ? Mais c'est quoi ça ? Depuis quand mes cadets sortent du moule de plus en plus matures ? J'ai pris une petite inspiration pour gommer aussitôt mon expression ridicule et j'ai repris mon petit numéro.

Euuuuh moi je suis en troisième... Ca ferait de moi ta senpai, du coup !, lui répondis-je avec un sourire malicieux. La datation au carbone 18 ? Oui oui je connais, c'est quand tu veux connaître à quel point quelque chose a été bombardé d'ondes, c'est ça ?

Carbone 14, 15 ou 132, honnêtement j'en ai aucune idée. Ca m'a l'air de même pas être de la biologie, il est si studieux que ça ce type pour me sortir des questions hors sujet comme ça ? Ou bien il me teste, en fait ? Quoi qu'il en soit, je suis plutôt sûre de moi : quand ça parle de carbone et d'atomes, c'est de la chimie, ou de la physique au pire. La biologie c'est les êtres vivants. La mitochondrie usine des cellules, les bactéries, les virus qui ressemblent à des méchants de films comme dans ce vieux dessin animé français que mon père m'avait montré quand j'étais petite. Il trouvait ça drôle que les virus aient cette tête là mais j'ai jamais compris pourquoi il trouvait ça aussi drôle d'ailleurs, moi je trouvais le bonhomme ridicule.

Je me suis ensuite redressée pour tendre discrètement mon manuel de bio vers lui, en poussant au passage toutes ses petites affaires qui avaient l'air drôlement bien alignées avant que je débarque dans la scène. J'étais un peu comme la balle de ping pong qui tombait sur un champ de pièges à souris. Je n'attendais plus que la réaction en chaine...

Et là, c'est le drame. J'ai beau être une (future) femme fatale avec tout ce que ça implique, j'ai un petit souci : je suis plutôt fragile face aux flatteries et... aussi étrange que cela puisse paraître, me faire appeler "senpai" par un mec objectivement esthétiquement beau, ça me fait un petit quelque chose. Alors je cache mon visage dans mes mains. Je relève timidement les yeux quand il me demande ce qui me pose problème. Il a un regard qui veut dire "ne me dis pas tout" alors que justement ce "tout" qui coince...

Euuuuuh...  E-en fait... J'ai vraiment d-d-du mal à comprendre ce que je lis. La bio c'est vraiment pas pour moi. Je bafouille comme une catherinette à son premier rencard, vraiment, c'est trop la honte.

Je suis la senpai, merde ! Normalement c'est moi qui devrais l'aider pour ses cours, c'est moi qui devrait me pencher innocemment par-dessus son manuel en disant "ara ~ ne t'en fais pas, je vais t'apprendre", mais évidemment EVIDEMMENT, fallait que ma matière à réviser soit de la bio, quoi. J'ai la haine. Je laisse passer un long soupir avant de m'affaler sur la table, en ne faisant pas attention au raz-de-marée de fournitures entre nous.

Ca me saoûûûûuleeeeeeuh, dis-je en geignant.

Jérémiades d'ailleurs assez fortes pour que la bibliothécaire en poste ce jour-là passe la tête d'une rangée de livres pour pointer son regard de harpie en ma direction et ponctuer ma plainte par un gros "shht" bien sec, comme elle sait le faire.