Top ou pas Top

Si elle aime la psychologie, Sayo, elle n’est pas mécontente que la fin du cours ait déjà sonné. Deux heures en fin de journée la veille, deux heures à nouveau ce jour… La tête pleine, la nuque raide et les épaules lourdes, la femme profite de sa pseudo-solitude pour s’étirer légèrement les bras avant de se lever et d'épousseter la poussière de gomme tombée sur son chemisier. Récupérant son sac, elle commence à ranger soigneusement son matériel quand un petit dépliant glisse de son cahier. Elle avait bien failli l'oublier, celui-là. Prenant le document entre ses mains, elle se sent hésitante encore une fois. Osera-t-elle le donner pour compléter une to-do list ? À voir.

Un mouvement attirant son attention, Sayo lève les yeux vers un de ses camarades de classe qui s’approche. Croisant son regard, elle ne doute pas un instant qu’il veuille lui parler. Kinbaku… Un nom qui ne lui est pas inconnu, entendu de la bouche de ses parents, elle ne sait pas s’il est affilié aux associés de son père, mais tout chez lui, ou presque, suggère une situation sociale confortable. Plutôt agréable à regarder, elle s’en serait méfié s’il l’avait abordé quelques mois plus tôt. Son sérieux et des notes presque irréprochables ont endormi toute réticence envers lui. Loin d’être pressée, sa curiosité attisée, la jeune femme l’attend en finissant de ranger ses affaires et ajuste son sac sur son épaule au moment où il arrive à ses côtés et la salut.

«Bonjour Kinbaku-san. Oui bien sûr ?»

Intriguée, elle l’observe, souriant avec bienveillance. D’un mouvement de la main, elle l’invite à quitter ensemble leur salle de cours et à continuer à discuter à l’extérieur.

Sans dire un mot, son camarade acquiesce et elle le suit de près vers la sortie jusqu’à ce qu’il soit prêt à échanger sur ce qui l’amène vers elle. Il commence par lui rappeler l’approche des examens et elle ne peut qu'acquiescer, la mine soudainement plus sérieuse. Elle sait qu’elle n’a pas droit à l’échec, Sayo, le moindre signe de faiblesse de sa part conforterait ses parents dans l’idée qu’elle n’a rien à faire dans un cursus scientifique. Ils ne manqueraient pas une occasion de lui dire, de lui faire comprendre que, de plus grandes choses l'attendent à leurs côtés. Mentalement, elle chasse ses sombres pensées pour se concentrer sur l’étudiant. Elle commence à supposer qu’il veuille lui proposer des séances de révision à plusieurs, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il s’exprime en ces termes.

« Oh..! » souffle-t-elle un peu surprise.

Elle ne connaît pas beaucoup Kinbaku, Sayo. Elle ne sait que ce qu’elle a pu voir et entendre dans les couloirs. Arrivé major de promotion l’année passée, des notes plus que correctes, voir même frôlant la perfection durant les cours qu’ils ont ensemble, elle ne pensait pas qu’un des meilleurs éléments de sa promo aborde aussi directement avec elle le sujet de ses faiblesses et lui demande de l’aide. Et de tous leurs camarades, de toutes les personnes pouvant graviter autour de lui, c’est vers elle qu’il est venu. La jeune femme ne peut le prendre que comme un compliment et se sens rougir face à cette marque d’estime.

« Euh... Eum… Eh bien… Oui ! Oui sans problème. En général, je vais à la bibliothèque pour travailler, mais on peut se retrouver en salle commune où dans nos chambres pour ne pas gêner. »

Se sentant de nouveau plus légère, Sayo lui sourit. Elle aussi, elle cherche à se trouver dans le haut du panier. Il ne doit pas l’ignorer pour lui avoir fait cette proposition. Mais loin des épuisantes compétitions auxquelles elle a été habituée dans son ancien établissement scolaire, elle perçoit les prémices d’une bonne collaboration. Deux bons élèves travaillant ensemble ne peuvent que se tirer vers le haut non ?

« On peut même se retrouver le week-end pour de plus longues sessions de travail si tu veux. Je ne reste pas toujours sur le campus, mais on peut s’arranger. »

Hésitant un instant, à poursuivre, elle se mordille la lèvre. Elle ne voudrait pas lui donner l’impression de vouloir profiter de la situation, mais l’occasion est bien trop belle pour qu’elle ne puisse pas s’en saisir.

« Si… Si je ne me trompe pas, il me semble que tu es bon en biologie non ? »

Embarrassée, elle baisse brièvement les yeux vers le sol avant de les relever vers ceux de son interlocuteur.

« Tu penses que tu pourrais… M’aider aussi ? »

Le jeune homme est conciliant, très vite, ils arrivent à se mettre d’accord sur les matières à travailler ensemble, à savoir, les deux qu’ils ont en commun et il lui propose un lieu de révision. Hochant la tête, Sayo note intérieurement qu’ils ne seront pas forcément seuls. Pas que cela l’inquiète, mais à savoir qu’une tierce personne sera présente, elle doute que son camarade se soit moqué d’elle et ait en tête autre chose que de simples révisions. Et plus encore, la fluidité de leur échange plaît à la jeune femme. Il lui annonce ensuite avoir terminé le programme de l’année passée. Haussant les sourcils, impressionnée, la jeune femme ne peut s’empêcher de se sentir embarrassée.

« Quand même ! De mon côté… Je ne suis arrivée que cette année. Je connais mal nos camarades de promos alors les 4e années… J’avoue ne pas avoir osé leur demander leur ancien programme.»

Il y en a pourtant un à qui elle aurait pu demander, si seulement elle s’était montrée moins sauvage envers lui depuis la rentrée. Dommage que ce ne soit que maintenant qu’elle y pense.

« A par ce que je peux trouver sur Internet, j’ai surtout beaucoup d’annales et des livres d’exercices pour m’aider. »

Passant sa main sur son cou, Sayo sait qu’en termes d’investissement personnel, elle n’a pas à rougir, mais en ce qui concerne son manque de discernement, elle se sent, encore une fois, plus que honteuse.

« J’essaie surtout de suivre le programme pour ne pas trop me disperser. En tout cas en ce qui concerne la biologie. Autant tout ce qui concerne le système nerveux et la fonction de relation me passionnent autant le reste... L’organisation animale, la génétique, la mycologie qu’on est censé voir plus tard… J’ai parfois l’impression que je ne m’en sortirais pas. »

Elle sourit d’un air désolée.

« J’espère que tu ne regretteras pas trop ton choix de partenaire de révision… ».

Le sourire de Sayo s’élargit sous les compliments du jeune homme. Elle qui craignait qu’il ne la prenne pour une mauvaise élève, la voilà rassurée par ses paroles. Il est gentil. Elle espère pouvoir lui rendre sa bienveillance. Et il a sans aucun doute raison, peut-être qu’avec un autre point de vue, elle trouvera plus d’intérêt à la matière, comprendra mieux ce qui est attendu d’elle.

« Non, merci à toi. » Souffle-t-elle. « Et il en va de même pour moi. Ça me permettrait au moins de réviser même si j’espère quand même que je pourrais t’apporter quelque chose. D’ailleurs, il faudrait que tu me dises toi ce qui te gêne avec la psychologie. »  

Ce à quoi il lui propose de se retrouver pour boire un verre et discuter de leur besoin. Intérieurement, elle ne put s'empêcher de penser qu’ils mettraient au point un véritable contrat et l’idée la fit sourire. Au moins, ce serait beaucoup plus plaisant que les déjeuners d'affaires de ses parents. Hochant la tête, elle tend vers lui ses deux mains pour prendre sa meishi, un peu surprise qu’il en possède une, et s’incline quand elle la reçoit. Souvent, les étudiants impriment leurs premières cartes un an avant la fin de leur étude, pas deux ans avant. Encore une fois, Sayo note le sérieux de son camarade et elle ne lui fera pas l’affront de lui manquer de respect. Ayant prononcé la formule d’usage, elle parcourt la carte du regard. Son nom. Son prénom. Ses coordonnées. Fouillant un instant dans son sac, elle en sort un petit porte-carte de visite pour l’y ranger.

« Je suis désolée, je n’ai pas encore fait la mienne, mais là tout de suite, j’ai club. Je t’enverrais un message dès que c’est terminé. On se mettra d’accord sur l’heure et l’endroit. Je n’ai rien de prévu ce soir en tout cas. Sinon, je suis aussi libre demain après-midi. »  

Sérieux et conciliant, son camarade semblait cocher toutes les bonnes cases. Si ses parents s’attachent aux protocoles, elle, n'est pas contre l’idée de les oublier un peu de temps en temps. Himuro, par ses manières et sa posture, les lui avait simplement rappelées. Se détendant un peu, Sayo acquiesce à sa dernière proposition avant de se demander s’il parle de leur verre ou de leur première séance de travail. Tant pis, elle n’avait pas envie de le retenir plus longtemps, ni d’arriver en retard pour son heure de club.

« C’est bon pour moi ! J’ai hâte aussi. » Avoue-t-elle, sourire aux lèvres. « A tout à l’heure par message alors ! »

Lui adressant un signe de la main avant de s’éclipser, elle rend à son casier où elle récupère ses affaires de sport et dépose son sac de cours avant de courir jusqu’au vestiaire pour son heure d'athlétisme. Plus tard, sitôt douchée et habillée, la jeune femme retourne à son casier récupérer toutes ses affaires avant d’envisager de retourner à sa chambre. Dans le couloir, Sayo hésite un instant avant de récupérer une brochure dans son sac, griffonner quelques mots dessus et profiter du maigre passage pour la glisser dans un autre casier. Se sentant à la fois fière et coupable, elle presse le pas vers les dortoirs tout en prenant le meishi et enregistrant les coordonnées de Kinbaku. Puis, sans entendre, elle lui envoie un premier message qui marquera le début d’un long échange.

« Coucou ! C’est Mochizuki Sayo, voici à mon tour mes coordonnées. Serais-tu libre pour qu’on discute un peu ? »

Ses affaires posées sur son bureau, son message envoyé, assise sur le bord de son lit et sourire aux lèvres, elle garde son téléphone en main, prête à toutes les éventualités.

#Terminé