[LITTÉRATURE] Si tu veux l'arc-en-ciel, tu dois supporter la pluie [Terminé]

Le premier mois de relation est passé. Déjà. Est-ce bon signe ? Seito n'en a aucune idée. Il croit que oui mais il n'en est pas certain. A vrai dire, il ne s'en soucie pas vraiment. Sans doute parce qu'il a l'impression que Mathéo a toujours été à ses côtés. Ce qui est en parti le cas. Seulement, l'étudiant n'était pas plus qu'un senpai de club. Alors que maintenant, Seito se doit de faire attention à ce qu'il dit, à ce qu'il fait, à ce qu'il pense. Exercice peu fréquent de sa part et qui lui demande de l'ajustement. Sans pour autant changer ce qu'il est – qui le pourrait ? – il réalise vouloir que les mois s'étirent. Mathéo le fait sourire. Le temps qu'ils passent ensemble lui est précieux. Oh bien sûr, le japonais est loin d'être parfait. Divulguer leur secret alors même que Mathéo lui avait dit de se taire n'était pas l'idée du siècle. Mais depuis, il s'est excusé. Seules deux personnes sont au courant. Ses deux amis proches devaient savoir. Car oui, depuis la fin du mois, il peut de nouveau affirmer qu'il a deux amis. Il leur faudra du temps, à Pablo comme à lui, mais ils ont aplani les angles. Et Seito se sent léger. Vraiment léger.

Pour couronner le tout, il a accompli la première étape de son plan. Il avait sondé les membres du club de littérature pendant tout le mois d'avril. S'était investi davantage pour prouver sa valeur. Avait animé les séances en amenant régulièrement des sucreries et autres joyeusetés. Présent le mardi toutes les semaines et quelques fois le jeudi si le kyudo ne l'inspirait pas. Sa régularité avait été récompensée. En ce début du mois de mai, il est officiellement le président du club de littérature. Et, bien que cela ne casse pas trois pattes à un canard, Seito est on ne peut plus heureux. Par mesquinerie, il éprouve une certaine hâte à communiquer la nouvelle à ses parents. Voyez par vous-mêmes si mon choix de carrière me passera ! L'ancien président avait profité de cette séance pour l'annoncer officiellement à tous les membres. Le lycéen avait réitéré ses vœux d'une tenue impeccable et d'une année formidable en belle compagnie romanesque. Il avait d'ailleurs préparé une liste de lecture et l'avait soumis au groupe pour approbation. Jusqu'à ce que la sonnerie retentisse, ils avaient argumenté et la liste avait été modifiée en fonction des goûts de chacun.

Fier de ce premier échange réussi en tant que président, Seito range tranquillement son sac. En charge de la clé, il doit attendre que les derniers s'en aillent pour fermer la porte. Alors il prend son temps. Sans réellement s'apercevoir que Wayne-senpai en fait autant. Jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que tous les deux. Une fois de plus. Le japonais finit par le remarquer en relevant la tête et lui demande aussitôt :

« Tu avais quelque chose à m'dire ? Une suggestion ou t'as pensé à un autre livre qu'il serait cool de lire ? »

Seito aurait dû se douter que ce « Président ? » à demi-susurré n'augurait rien de bon. Après tout, il s'agit de Wayne-senpai. Et ses intentions, bien que parfois nobles, le sont rarement à son égard. Pourtant, il n'a eu de cesse de vouloir redorer son blason auprès d'elle depuis l'incident de la bibliothèque. Mais sa rancune est tenace. Et il la comprend. Elle avait écopé d'une suspension temporaire. Il y avait de quoi lui en vouloir. Une petite suggestion supplémentaire ne peut pas faire de mal. Au pire, il lui répondra simplement qu'il note l'idée et qu'il y réfléchira à tête reposée. Oui, c'est une excellente idée.

Alors, insouciant du danger, le japonais se rapproche du livre que lui tend la senpai. Ses doigts s'accrochent à la tranche, il le prend entre ses mains. Et déchante. Un souvenir fugace de la Golden Week en compagnie de Pablo refait surface. Ses yeux s'écarquillent de stupeur tandis que la blonde confirme ses soupçons. Nul besoin de l'entrouvrir pour savoir si ce qu'elle dit est vrai. Il pose deux secondes les yeux sur la couverture et détourne aussitôt le regard pour inspecter qu'il n'y a réellement plus personne à part eux. Ses doigts se resserrent sur le tome.

« Pour commencer quoi ? » demande-t-il abruptement.

Trop frontal. Merde, il doit lui parler plus poliment. Seito ravale son venin et inspire un bon coup. Elle choisit de le provoquer. Fort bien. Que pense-t-elle en tirer ? Il n'en a aucune idée. Mais il peut au minimum se montrer plus aimable. Il décide donc d'aborder le sujet de la manière la plus terre-à-terre possible. Soit en imaginant que ce livre est réellement une proposition de lecture.

« Je suis pas sûr que tout le monde apprécie ce genre de lecture. Et puis, y'a plus d'images que d'texte. Alors je pense pas qu'on aura beaucoup de choses à commenter dessus. Après j'dis pas que les mangas, c'est pas de la littérature, hein. Juste le sujet me paraît un peu... compliqué à aborder. Tu comprends ? »

Lui vivant, jamais un livre ne sera brûlé devant ses yeux. Déjà qu'il milite pour les marque-pages tant il est horrifié par les animaux qui cornent leurs livres. Aucun livre, même mauvais, ne mérite de finir en cendres. D'où son regard outré à la simple mention de ce crime. Regard qu'il maintient en alerte alors qu'il essuie une deuxième tentative d'intrusion. Seito peut mettre du temps à percuter sur certains sujets et là, en l’occurrence, il s'est mis à table pour un très long repas.

« Je dis pas que ça me dérange, juste que c'est sûrement pas aux goûts de tout le monde. » tente-t-il d'amener avec diplomatie.

Mais il est désarçonné par la remarque qui suit. Le doute suinte sur sa peau, recherche une brèche pour mieux l'alourdir. Le japonais sent qu'il a encore de la place pour une ribambelle de desserts. Alors il s'engouffre dans le plus évident. Le glaçage de la raison lui irrite le palais.

« On a que le club de littérature en commun. A moins que tu te sois inscrite au foot ou au kyudo et j'suis pas au courant ? »

Bon sang, il ne l'espère pas. Quoi qu'imaginer la blonde s'énerver devant sa cible lui soutirerait un sourire. Plus il réfléchit à ce qu'elle sous-entend, plus son cerveau lui fait signe qu'il lui manque une donnée. Comme la pièce manquante d'un puzzle de dix mille pièces. Une sensation de déjà-vu qui lui file des frissons.

Mais c'est justement son rôle de se soucier des autres s'il veut être élu président. Seito pince les lèvres. Le doute déjà présent s'intensifie au point qu'il devient omniprésent dans sa petite tête. Qu'est-ce qui est à son goût ? Le yaoi ? Un bref regard sur le manga, il déglutit. OK, il fait face à un problème de taille. Parce que soudain il percute. L'histoire de club. Bordel. Elle mentionne sa bourde de la dernière fois. Et lui a sauté dedans à pieds joints. Il a juste envie de crever. Le japonais est tellement perdu dans les méandres de sa débâcle qu'il entend à peine l'insulte de la blonde. Aucun des membres du club de foot n'est un crétin. A part peut-être... Non, personne. Il est surpris qu'elle approuve le kyudo et ne se montre pas plus surpris que ça à l'évocation du rugby. Imaginer Wayne-senpai plaquer un gars au sol malgré sa corpulence est largement envisageable. La preuve, elle l'a bien rendu impuissant avec un coup de pied bien placé.

Mais là n'est pas le sujet ! Maintenant qu'il a compris, deux choix s'offrent à lui. Soit faire l'idiot jusqu'à ce qu'elle abandonne, soit nier tout en bloc jusqu'à... ce qu'elle abandonne aussi. Il se trouve qu'il sait bien jouer à l'idiot. Alors sa bouche dépasse ses pensées et lui prouve au centuple.

« J'te coupe mais tu parlais de CE club ?! » demande-t-il en agitant le livre devant ses yeux.

Tous les étages de son cerveau brillent plus vivement qu'un sapin de Noël. Comment pourrait-elle savoir quoi que ce soit ? Ce n'est pas comme si ça se voyait sur lui. A-t-il une odeur particulière maintenant qu'il est en couple ? Une histoire de phéromones dont il ne serait pas au courant. Bon sang. Il ne voit pas d'autre alternative que de nier. En bloc. De nouveau, il vérifie qu'ils sont réellement seuls dans la pièce et reprend :

« Tu m'as déjà posé la question et j'ai toujours la même réponse. J'comprends pas pourquoi t'insistes. Tu dis que c'est à mon goût, mais p't'être que j'suis juste tolérant. T'y as pensé à ça ? »

Seito est peut-être le plus grand des idiots. Ou le plus petit dans son cas. Il ne le reste pas longtemps malgré le mystère dont la senpai entoure ses propos. Qui sait ? Lui, il croit savoir. Même s'il aimerait ne pas le savoir. Ne pas comprendre ses sous-entendus. Rester insensible à son charabia et se contenter de poursuivre son laïus sur la littérature homosexuelle. Non pas qu'il soit réellement à l'aise avec le sujet mais il l'est davantage qu'avec des mensonges. Cacher la vérité n'étant pas dans ses habitudes, il a un mal fou à paraître naturel. Et cela ne s'arrange pas lorsque la blonde démonte sa justification avec un simplicité enfantine.

« Comment ça ? » demande-t-il, sourcils froncés.

Si les gens tolérants ne réagissent pas avec tolérance, alors comment réagissent-ils ? Cela n'a aucun sens. Elle se fout de sa gueule. Pour lui faire avouer, c'est sûr. Mais Seito est comme le roc, solide sur ses appuis. Il parvient miraculeusement à ne pas s'énerver face à l'insistance renouvelée de son interlocutrice. Mieux que ça, il s'apprête à approuver ses propos. Rien ne vaut une franchise à toute épreuve pour se retirer une épine du pied. Bien que la vérité puisse être difficile à entendre, elle l'est moins qu'une odieuse fumisterie. Cependant il ne peut lui accorder ce crédit qu'en mentant. Un comble pour Seito qui se retrouve à bafouer ses convictions pour plaire à son petit-ami.

Le japonais n'a jamais menti pour qui que ce soit. Le peu de fois où il a eu à le faire, cela s'est soldé par un échec. Mentir lui demande un effort surhumain. Le monde tournerait bien mieux si personne ne mentait, il en est persuadé. Prétendre malgré la défiance, sourire malgré la douleur, œuvrer malgré la fatigue. Seito déteste ça. Et soudain il se questionne sur le pourquoi d'un tel retournement. Se pourrait-il qu'il tienne à ce point à Mathéo pour autoriser cette entorse à son règlement intérieur ? Alors quand son nom jaillit, il accuse le choc sévèrement. Comme s'il avait soudain raté une marche et qu'il venait de dévaler le reste de l'escalier en roulant-boulant.

« Même si Mathéo lisait ça, il en voudrait pas. »

Sa bouche a devancé ses pensées. Il se peut que son ton ait été trop ferme. Mais il refuse qu'elle mentionne cette discussion à Mathéo. Car alors l'étudiant comprendrait que Seito a encore merdé. Et cette fois-ci, il ne se montrera sûrement pas aussi tolérant. Et bizarrement cela l'angoisse d'imaginer que Mathéo puisse le rayer de sa vie d'un claquement de doigts.

Seito se sait coincé. Acculé dans un coin de la pièce, l'animal blessé n'a pas la lucidité d'accepter son sort. Il se persuade, à tort, qu'il peut encore s'échapper. Que la peur qui l'étreint peut être vaincue et qu'un après existe au-delà de la sortie de route. Seito est cet animal blessé. Blessé par ce sourire narquois qui le fait frissonner. Mordu par ces mots trempés d'évidence. Écorché par sa nature instable et cette propension maladive de s'incriminer alors qu'il a le rôle de l'avocat. Si seulement son visage n'était pas si expressif. Croyant s'être tiré d'affaire, Wayne-senpai l'épingle au mur et le contraint à l'immobilité. Ses joues se décolorent. Sa voix vacille.

« Je suis pas au courant de- »

Mais c'est inutile. Elle comme lui le sait. Sauf qu'elle ne s'arrête pas à cette constatation. Ce serait bien trop simple. Et, comme chacun sait, le mode facile n'était pas disponible au début de la partie. L'intégralité de ses organes subit soudainement la gravité. Elle doit avoir des rayons laser dans les yeux pour avoir vu aussi juste. Et maintenant elle peut admirer son anatomie se liquéfier dans ses chaussettes. Blanc comme un linge, il ouvre la bouche. Puis la referme. En rejouant la scène dans sa tête, il comprend qu'il était foutu dès l'instant où ses doigts sont entrés en contact avec ce yaoi.

Dans cette histoire, il est un divertissement dont se repaît à présent la blonde. Qu'il apprécie ou non le spectacle ne change rien. Seito aimerait être meilleur. Il n'a de cesse de courir après la perfection sans jamais la rattraper. L'atteindre ne suffit pas, il doit la maintenir. Cet objectif inaccessible détruit méthodiquement sa confiance en lui. A chaque nouvel échec, il serre les dents. Redoutant constamment le courant d'air qui viendra détruire son château de cartes. Mais il ne peut pas admettre qu'il est en couple avec Mathéo. Il lui a promis. A deux reprises.

« Je sais pas c'que tu t'imagines mais tu peux arrêter. »

Trop brutalement, le japonais lui remet le livre entre les mains. Voilà, il est débarrassé de cette lecture démoniaque. Cependant la succube est encore en activité. Et il doit trouver un moyen de la mettre hors-circuit. Quitte à tenter une intimidation. Son regard charbonneux la prend en grippe.

« T'avises pas de répandre des rumeurs cheloues parce que je saurais qu'elles viennent de toi. Et j'ai vraiment pas envie que ça foute une mauvaise ambiance dans le club. »

Les traits de son visage ne se détendent pas. Il y a trop en jeu pour qu'il la laisse répandre son venin de vérité. Soudain, Seito réalise qu'il veut faire honneur à sa promesse coûte que coûte. La senpai pourra insister tout son soûl, il ne cédera pas. Alors quand elle taquine l'évidence, le japonais reste droit dans ses bottes.

« Pourquoi ? A toi d'me l'dire. C'est toi qui veut à tout prix qu'il y ait un truc entre Mathéo et moi. »

Que ce soit vrai ou non ne changera pas sa vie, alors pourquoi souhaite-t-elle le savoir à ce point ? Cela le dépasse. Est-ce qu'elle s'ennuie si fort qu'elle a besoin de fouiner dans la vie des autres pour se divertir ? Ou peut-être veut-elle clamer haut et fort qu'elle savait depuis le début son orientation ? S'il ne s'agissait que de lui, Seito aurait pu laisser couler. Mais maintenant que Mathéo est dans la ligne de mire, il se doit de jouer les boucliers de fortune. Magnanime, il lui concède un point commun.

« Mais j'suis d'accord avec toi sur un truc. Ce serait stupide de s'amuser avec ça. »

Bien qu'il ne sous-entende pas qu'elle soit stupide, le japonais aimerait lui faire comprendre que l'intimité des gens ne doit être transgressée qu'avec leur accord. Et il croit avoir démontré ne pas approuver son insistance. Ça l'agace qu'elle défonce les barrières des uns et des autres sous prétexte qu'elle fait mieux parce qu'elle se contrefiche des diktats de la société. Tant mieux pour elle ! Cependant, même s'il approuve cette philosophie, il ressent le besoin de niveler ses propos.

« Tu parles d'assumer mais t'oublies encore une fois que tout l'monde a pas le même rythme que toi. Ça veut pas dire qu'il faut les lapider pour autant. »

Seito devrait s'arrêter là. Difficile de rester tolérant quand l'enjeu est si grand. Mais c'est plus fort que lui. Une nouvelle remarque, imprudente, franchit ses lèvres.

« Et j'sais pas c'que tu constates mais niveau imagination, tu verras, y'a tout c'qui faut dans le livre qu'on va commencer à lire. »

Seito est fier de son répondant. Vlan, dans les dents ! Avancer des arguments matures, ne pas monter sur ses grands chevaux, préférer dévier sur un sujet moins houleux. Cela n'y paraît pas mais Seito fait des efforts monstres pour ne pas vriller. Pourtant, à l'intérieur, il bouillonne. Mijoté à feu doux, il ne fait rien pour empêcher la blonde d'augmenter l'intensité du gaz. Son sang coagule, le bas de son visage s'affaisse. Il ne peut plus prétendre que cela ne l'atteint pas. Son masque d'adulte se défait, il panique face à l'étendue des dégâts.

Petit copain. Pas longtemps. Personne similaire à lui.

Mathéo ne lui a pas parlé d'une entrevue particulièrement pressante avec la senpai. Il semblerait qu'il n'ait pas divulgué de nom mais la blonde est bien trop vive pour son propre bien. Et lui bien trop livide pour le sien. Inutile de répondre à sa question rhétorique. Il aimerait au contraire qu'elle ne l'ait jamais abordé pour discuter de ce sujet si tendu. Ou qu'il ait coupé court en prétextant d'autres impératifs. Parce qu'ici et maintenant, rien de ce qu'elle ajoutera ne l'aidera. A moins que... oh oui, une question concrète ! Seito se jette si vite dessus qu'il bafouille :

« T-takutfu-ni-ho ! »

Tout se mélange dans sa tête. Quand est-ce qu'ils se sont parlés ? Pourquoi Mathéo ne s'est pas enfui avant d'en arriver là ? Y a-t-il des discussions qu'il ne peut pas avoir avec lui ? De par son genre ? Son absence d'expérience ? Sa propension quasi maladive à rire de tout ? Bon sang. Qu'a-t-il dit à son sujet ? Pourquoi à Wayne-senpai ? Ne pouvait-il pas choisir un confident dont il ignore l'existence ? S'il venait à vendre la mèche, serait-il le seul sur lequel rejeter la faute ? Seito finit par prendre une grande inspiration en clignant plus longuement des yeux.

« Je voulais dire Fukkatsu no hi de Komatsu Sakyô. J'en parlerai en détails la semaine prochaine avant de commencer à le lire. »

Non pas qu'il ne souhaite pas en parler de suite mais son cerveau est bien trop accaparé par les mystères de cette discussion entre les deux senpais. Sa poche vibre. Il détache son regard de la jeune femme pour jeter un coup d’œil au SMS de Mathéo. « Il y a quelque chose d’important dont je dois te parler. Est-ce que tu peux venir dans ma chambre ? J'y serai seul, mon colocataire est absent. » Ses doigts compressent le portable. Ce message, sans qu'il en comprenne les tenants et les aboutissants, l'inquiète. Alors que son front se plisse, Seito laisse échapper :

« Je sais pas qui Mathéo t'a décrit mais c'est impossible que ce soit moi. Y'a rien à décrire sur moi à part que j'suis japonais. »

Seito ne réalise pas qu'il a encore une fois vendu la mèche. Non pas qu'il est idiot. C'est simplement qu'il lui ait d'un naturel déconcertant de se dévaloriser. Dans sa tête tournoient des milliers de questions. Parmi elles, des centaines sont existentielles. Et soudain, la plus flagrante de ce dernier mois ressort. Pourquoi est-il si gaffeur ? Le japonais inspire fort. Il la regarde avec deux grands yeux effrayés. Remplis d'une incompréhension quasiment palpable alors que son échec transpire par tous les pores de sa peau. Et pourtant, il ne peut s'empêcher de se demander comment Mathéo l'a décrit. Encore une question qui le taraude. Cela n'en finira donc jamais. Les murs semblent se resserrer sur sa personne. Seito entend mais ne comprend pas. Les syllabes s'entrechoquent entre ses lèvres entrouvertes.

« N-non. Senpai, c'est pas- J'ai rien- »

Mais voilà qu'elle lui cloue définitivement le bec comme elle sait si bien le faire. Son cœur accueille la nouvelle en battant si fort dans sa poitrine qu'il peine à entendre sa promesse. De nouvelles interrogations bourgeonnent. Un véritable bouquet d'émotions que ses bras ont bien du mal à contenir tant il est volumineux. Mathéo tient-il tant à lui que ça ? Ses je t'aime, bien qu'effrayants, ne sont-ils pas finalement la raison pour laquelle il est heureux en ce moment ? Ne lui avait-il pas dit qu'il souhaitait rester caché ? Alors pourquoi la senpai en sait-elle autant sur eux deux ? Quelle discussion a pu amener une description de sa personne ?

Ses doigts s'enroulent autant des sangles de son sac. Ça suffit. Seito fait taire le chaos dans sa tête. Ses pupilles charbonneuses s'ancrent dans le regard de la blonde. Sans trop savoir pourquoi, il a envie de la croire. De croire qu'elle va effectivement garder le secret. Et finalement, c'est peut-être ça la raison pour laquelle il dit tout au premier venu. Vu qu'il est nul, il se confie, dans l'espoir que son secret sera mieux gardé entre d'autres mains que les siennes. Une sorte de passation pour se décharger de ce poids qui le pèse depuis qu'il lui a été imposé. Il croyait en être capable, de supporter ces mensonges. Mais il ne faut pas se leurrer. Cependant, une telle confiance demande vérification.

« Tu le jures sur Monsieur Lapin ? »

Plus rien ne sert de mentir à présent. L'important est d'assurer ses arrières. Un minimum. Qu'importe le prix à payer, la vie lui fera payer bien assez tôt.

C'était bien tenté. Mais évidemment la blonde refuse d'impliquer sa peluche. Pourtant elle était gage de bonne foi. Seito secoue la tête, les lèvres plissées et laisse échapper un « Tss » agacé. Mais il ne force pas. Qui sait, elle pourrait retourner sa veste si elle estime qu'il la fait chier. Et maintenant qu'elle sait, il ne veut surtout pas que la situation s'aggrave. Alors, concernant sa soudaine curiosité, le japonais fronce le nez.

« T'en sais déjà beaucoup trop. T'aurais jamais dû savoir tout court. »

Tout est de sa faute évidemment. Il aurait pu rester complètement hermétique à son approche. Ou prendre le livre, la remercier et s'en aller sans demander son reste. Mais non, il avait fallu qu'il s'empêtre dans des mensonges plus gros que lui. Forcément, il s'était fait écraser.

« Et puis, si c'est si évident que ça, tu devrais le savoir. »

Et dire qu'ils sont ensemble depuis un mois et demi. Bon sang que le temps passe vite ! C'est à peine s'il s'en est aperçu. Il faut dire qu'il n'a pas eu que sa relation à gérer durant la période de la rentrée. C'est qu'il a plus de responsabilité maintenant qu'il est président du club. Ce qui l'amène à s'assurer d'une dernière chose avant de quitter Wayne-senpai.

« D'ailleurs, c'est pas parce que tu sais qu'il faut que ça change quoi qu'ce soit au club. Je sais que ça t'plaît pas trop que j'sois président mais j'ai vraiment envie que ça marche. »

Plus elle remue le couteau dans la plaie, plus son air se fait soucieux. Seito aimerait disposer d'une manette magique qui lui permettrait de revenir en arrière. Rien que de penser à la raison pour laquelle Mathéo souhaite le voir lui noue le ventre. Sa philosophie de comptoir ne l'intéresse pas. Pour le moment, en tout cas. Il sait comme elle a à cœur de montrer à la Terre entière qu'elle est lesbienne mais de son côté, il aimerait que la Terre entière lui foute la paix. Elle y compris. A sa remarque, il lève les yeux au ciel.

« Pas faire de bêtises. T'as pas plus nul comme conseil ? »

Il faut qu'il tempère ses propos. La senpai n'a rien fait. Mais admettre qu'il est encore une fois le seul fautif dans cette histoire lui fout les nerfs en pelote. Toujours un brin sur la défensive, il agite ses bras pour englober la pièce qui les entoure.

« Ça. J'ai envie que ÇA marche. Être président d'un club, créer une bonne ambiance, que les gens se sentent bien quand ils viennent ici, qu'ils conseillent le club à d'autres gens, que même toi tu t'y plaises. Tout ça. »

Il ne comprend pas le double sens de la question. Que sa relation avec Mathéo fonctionne occupe une place moins importante dans sa liste de priorités. Pour l'heure il doit prouver à ses parents qu'il est capable d'être sérieux. Que leur vision de sa personne est biaisée par des années de chaos. Mais il a changé. Il veut changer. Et cette responsabilité fait parti de ce changement. Que Mathéo soit à ses côtés pour y assister est un bonus dont il se satisferait pleinement si leur relation ne générait pas autant de stress. Étrangement grave, Seito reprend :

« Il faut que ça marche. J'ai besoin que ça marche. »

Elle fait exprès de ne pas comprendre, c'est pas possible ! Ses doigts s'agitent nerveusement, venant gratter l'intérieur de son pouce. Sur un ton indigné, Seito réplique :

« Ça change pas grand-chose ? Si tu viens pas à un club par plaisir alors à quoi ça sert de t'inscrire ? Et ouais c'est compliqué mais j'en ai besoin. Aussi bizarre que ça puisse te paraître. »

Il refuse d'expliquer davantage les raisons qui le poussent à se dépasser pour ce club. Cela impliquerait de connaître les méandres de sa vie. Et s'il y a bien une chose qu'il ne veut pas, c'est que quelqu'un sur ce campus connaisse l'existence de sa sœur. A la place, il décide d'interrompre cette discussion qui n'a que bien trop duré.

« J'vais devoir te laisser. »

Le japonais ne sait ce qui l'attend dans la chambre de Mathéo mais il craint sa réaction quand il lui annoncera qu'une nouvelle personne est au courant pour eux.

« J'te laisse récupérer tes affaires et je ferme la porte derrière toi. »

La clé tourne dans la serrure. Avant de se séparer, Seito pose un regard grave sur l'étudiante. Un mélange d'inquiétude et de reconnaissance.

« Wayne-senpai... »

Il range lentement la clé dans sa poche et inspire. Sa langue humidifie ses lèvres. Puis, plus bas, sur le ton de la confidence, il souffle :

« Je te fais confiance. Vraiment. »

Peut-être qu'il ne devrait pas. Mais a-t-il réellement le choix ? Pour le bien de son couple, le silence est d'or. Et même s'il pense que c'est une belle connerie, il ne trouve bizarrement pas la force de se rebeller. A moins que toutes ses bourdes soient la preuve d'une rébellion inconsciente. Le japonais tourne les talons et la laisse sur un :

« A jeudi si t'es là. »