Mise à plat | Moon

Samedi, fin d'après-midi. Il commence à faire un peu plus chaud en cette fin d'année scolaire. Ryuji profitait un peu du soleil et de la brise avant de pénétrer dans ce petit café très mignon qu'il pouvait presque voir depuis son balcon. Il avait un peu pris l'habitude d'y aller, seul ou accompagné de Moon quand ils se fréquentaient encore. Depuis la fin du mois dernier, ils ne s'étaient pour ainsi dire plus adressé la parole. Par chance, leurs emplois du temps respectifs leurs avaient un peu épargné la lourde tâche de se croiser. Et puis bon, pour quoi dire de plus ?

Sauf qu'en début d'après-midi, c'était Moon qui avait brisé ce silence. L'échange avait été formel, droit au but: il n'était pas vraiment question de discuter mais de se rendre mutuellement les affaires laissées chez l'autre. S'il était encore un peu amer, le trentenaire ne l'était pas suffisamment pour envisager d'abandonner les quelques affaires laissées à l'étage du bas pour qu'elles finissent à la beine à ordures. Ce serait du gâchis et très honnêtement, il l'aurait très mal pris.

Avec un grand sac en papier rempli d'affaires propres et soyeusement pliées, il entra enfin dans le café, se dirigea machinalement vers une petite table pour deux au fond de la salle, c'est que monsieur avait ses petites habitudes. Il se contenta d'indiquer au personnel qu'il attendait quelqu'un avant de commander. Il n'était pas sûr qu'ils allaient prendre le temps de boire un verre et d'échanger des banalités. En général on restait peu en territoire neutre lors d'un échange de prisonniers ou de ressources, comme c'était le cas ce samedi-là.

Nerveux, il chipotait à son Zippo sorti de sa poche, le regard perdu dans les reflets irisés du petit objet métallique.

Lorsque Moon entra dans son champ de vision et s'approcha, tirant une chaise pour s'installer à la table, Ryuji dut se mordre la joue pour s'empêcher de sourire. Une histoire d'égo mal placé, probablement. Forcément, une part de lui était heureuse de la revoir, bien que cela pique toujours un peu, au fond. Il se contenta d'un léger sourire courtois, de ceux qu'on adresse quand on croise des gens que l'on connaît en surface. Le genre de sourire réservé aux collègues. Il rangea son briquet dans sa poche après un dernier tour entre ses doigts et s'installa plus convenablement pour lui faire face. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'un entretien d'embauche, de l'extérieur.

Salut., lui répondit-il en français par habitude, avant de se raviser : Je vais prendre un café, je t'attendais pour commander. Tu bois quelque chose, toi ?

Il fit signe en direction du comptoir pour que l'employé du café vienne prendre leur commande. J'arrive dans quelques minutes, messieurs dames, répondit-elle poliment. En attendant, il chercha dans sa tête quoi dire à Moon. Elle avait l'air... normale. Ni dévastée, ni pleine de joie comme une bourgeon en floraison. Juste normale. Terriblement normale. Pas qu'il voulait la voir dans le fond, mais peut-être espérait-il qu'elle ait l'air suffisamment triste pour ne pas se sentir seul con affecté par leur séparation.

Hum... comment tu vas, Moon ?, finit-il par enfin dire après quelques longues secondes de silence assourdissant.

Elle allait "normalement". Ca se voyait, elle avait l'air totalement normale, comme si rien ne s'était passé, autant la rupture qu'avant la rupture. C'était à la fois rassurant et frustrant. Pas qu'il ait espéré la voir au trente-sixième dessous, loin de là, mais une part de son égo aurait probablement préféré voir quelques signes d'une quelconque tristesse. Mais ce jour-là, il n'y avait rien. Ryuji regrettait d'être parti l'autre soir et s'en mordait les doigts régulièrement, d'ailleurs. Il s'était fait violence pour éviter tout contact jusqu'alors, en pensant que ce serait mieux pour elle. Pour lui aussi, sans doute.

Il ne tira pas la couverture sur lui en lui disant comment il allait, après tout elle ne lui avait pas posé la question, autant ne pas répondre et faire ce qui devait être fait : récupérer les affaires de chacun et retourner chacun dans son petit monde respectif. Une tâche simple mais compliquée lorsque les deux protagonistes sont voisins et collègues et ont quelques connaissances en commun. A se demander si l'un des deux ne devait pas tout simplement changer d'air, au final.

Il prit le sac que Moon lui avait tendu. Sans le vouloir, leurs mains s'étaient frôlées mais il se mordit la joue pour ne pas faire de remarque. Un rapide coup d'oeil dans le sac lui permit de vérifier que tout y était, y compris le cendrier qu'il avait amené chez elle. Un beau petit paquet de vêtements pliés dans un sac, le résumé d'une relation.

Je pense que tout y est., répondit-il le nez encore dans ledit sac. Si tu retrouves d'autres choses, tu connais mon adresse, je pense !

Petit trait d'humour pour que sa propre pilule passe mieux. Il s'était retenu de rajouter un "tu peux même déposer ça dans ma boîte aux lettres" très superflu et hors de propos. Garder l'objectif en tête était sa mission. Il se saisit à son tour du sac d'affaires qu'il tendit à Moon. Il avait pris un certain soin à plier les vêtements et à organiser un peu le stockage pour que les objets plus fragiles ne viennent à se briser.

La serveuse arriva lors de la transaction et déposa les deux cafés sur la table. Ryuji régla automatiquement la note en lui tendant sa carte. Elle parut étonnée qu'il désire régler aussi vite mais s'affaira à passer la carte dans le terminal et revenir vers lui une fois la transaction validée par la banque. C'était comme si elle s'attendait à ce que d'autres verres succèdent à ce café. Ryuji ignorait encore si ce café serait leur dernier partagé ou s'il y en aurait d'autres. Il aimerait qu'il y en aurait d'autres, mais doutait que le sentiment soit partagé de l'autre coté de la table.