[Termine] Après l’effort, le réconfort

À son signe, Tsumugi se rapproche. Bien malgré elle, elle sent son cœur qui s’affole un peu, bien malgré elle. En arrivant à son niveau, elle ouvre la bouche, prête à le remercier pour son petit geste qui l’a aidé à retrouver son calme et faire de son mieux pour cet examen, mais la voix de la professeur de Mathématique retentit, la faisant sursauter, la coupant dans son élan.

« Qu’est-ce que t’as encore fait ? » Demande t-elle, surprise par le ton sec de la femme.

Ouvrant de grands yeux sur le jeune homme, elle l’observe. Son air embarrassé. Il semble plus gêné de devoir la laisser qu’inquiet au sujet de sa copie. Si elle se demande ce qu’il a bien pu faire pour la mettre en colère, elle ne peut s’empêcher de répéter mentalement qu’il viendra la chercher pour aller goûter. Elle qui pensait qu’il aurait oublié, la voilà à s’imaginer qu’il l’emmenerait en rendez-vous. Se sentant rougir, elle hoche la tête.

« Lui cherche pas trop d’ennui, histoire qu’elle te consigne pas toute la nuit ! J’ai faim moi ! » Rigole-t-elle légèrement pour chasser sa gêne, la chaleur de ses joues.

Le laissant affronter le dragon de son cruel destin, elle passe à son casier où elle dépose ses affaires de mathématiques avant de monter jusqu’à sa chambre. Ses colocataires ne sont pas là. Elle n’est pas surprise. C’est l’heure des clubs et s’ils n’y sont pas, elle les soupçonne d’être au moins à la bibliothèque ou en salle commune pour réviser. Profitant de leur absence et du silence de la pièce, elle se débarrasse de ses couches de vêtements en trop et de ses chaussures avant de s'allonger sur le lit. Ses pensées volent vers Pablo et la salle d’examen. Elle soupire, espérant que tout aille bien de son côté.

Fermant les yeux, elle se l’imagine face à la prof. Pourra-t-il garder son calme face à elle ? N’est-elle pas en train d’attendre pour rien ? Elle pourrait bien aller au konbini et revenir… Qu’est-ce qui l’en empêche ? Son envie d’y aller avec lui sans doute. Se faisant la réflexion, Tsumugi se sent rougir à nouveau. Et si pour lui, l’accompagner au konbini n’était pas chose si anodine ? Pablo, le tombeur de ses dames… Elle déglutit, repensant à son impression de rendez-vous… De rencard. Cela ne lui déplairait pas. Et le comprenant, Tsumugi se lève d’un bond. Non. Ils sont amis ! Bien que Pablo aime à s’amuser à la faire rougir. Rien ne pourrait se passer.

Rien…

Peu sur d’elle, elle se met à imaginer alors qu’au centre de la pièce, entre les paravents, elle se met à faire les cent pas. Et s'il avait pensé à lui tenir la main ? À la regarder droit dans les yeux, la foudroyant de son regard vert, hypnotisant… Et s’il voulait l'embrasser…? La voilà, le cœur battant à tout rompre à imaginer les lèvres de son camarade qui effleurent les siennes. Elle a chaud Tsumugi. Il faut dire que sur sa liste des plus beaux garçons, elle a placé Pablo juste derrière l’intouchable BGman en chef. Il est normal qu’elle fantasme même si au fond, elle sent que rien ne pourrait se passer. Il faudrait qu’elle l’intéresse et puis… Elle est si inexpérimentée… Si cela venait à arriver, elle aurait juste honte de ne pas savoir comment s’y prendre et leur laisser un souvenir atroce.

Baissant les yeux sur sa main, elle replie les doigts et observe le dessin formé par son pouce posé sur le côté de son index. Presque une bouche. La pratique Tsumugi… La pratique…

Entrouvrant les lèvres, elle les approche de sa main et fermant les yeux, elle s’imagine embrasser celles d’un garçon.

Comme un début de mauvais rêve, la porte s’ouvre. Sursautant, Tsumugi cache sa main dans son dos, comme une enfant prise en faute qui tente vainement de cacher ses méfaits. Pablo. Les paupières papillonnantes, surprise qu’il soit entré si soudainement, elle entrouvre la bouche, semble presque manque d’air, à l’image d’un poisson hors de l’eau. Son cœur, passant de zéro à cent en trois secondes, à l’image d’une Lexus LFA, elle espère qu’il n’a rien remarqué, mais le jeune homme, en refermant la porte, brise tous ses espoirs et elle n’aurait pas été surprise de voir la mention « system error » inscrite sur son propre front. Réfléchir lui étant tout à fait impossible, elle ne prend même pas le temps de tourner sa langue trente-six fois dans sa bouche avant de répondre.

« Alors là aucune idée, je n'ai pas de point de comparais…On… » Se rendant compte bien trop tard de ce qu’elle dit, Tsumugi pâlit. « Oh put***… O-o-oublie ce que je viens de dire !! » Panique t-elle avant de plaquer sa main sur sa bouche. « La honte… Je… »

Elle voudrait disparaitre. Un problème n’arrivant jamais seul, le voilà qui en rajoute une couche, finissant d’achever les connexions défaillantes du système-Tsumugi. S’empourprant, elle lève les yeux vers ceux de Pablo, puis les laisse glisser jusqu’à ses lèvres, les caresse du regard un bref instant avant de remonter soudainement vers les orbes d'Emeraude.

« A-a-atten-ten-tend… Tu v-viens de me proposer de … De… N-non non je …. Je… Tu… D-demandé..?! M-mais ça se fait pas comme… Je… E-e-et… Faudrait que … Enfin …. Mais.. C’est pas… Je… Je sais même pas si je t’att… T’attires... Tu… N-non … Oh me*de…»

Elle balbutie, Tsumugi. Le regard plongé dans celui de son camarade. Il faut dire que même s’il est son camarade, son ami, elle l’a toujours trouvé très séduisant, Pablo. Et depuis son arrivée, il était parfois arrivé de faire battre son petit cœur un peu plus fort, entre ses attitudes, ses compliments, ses encouragements, comme ce jour à la cantine avant de monter sur l’échafaud. Mais même classé deuxième sur sa liste des beaux garçons, si elle l’a rêvé, fantasmé, pas plus tard qu’avant cette entrée fracassante, elle n’a jamais sérieusement pensé qu’il aurait pu vouloir l’embrasser, ni que l’opportunité se présenterait à elle d’une telle façon et encore moins qu’elle la trouverait si séduisante. Elle ne pouvait pas, ne devait pas… Pour qui passerait-elle ? Et surtout, elle venait de lui avouer qu’elle n’avait jamais embrassé autre chose que sa main. La situation, trop irréelle à ses yeux, mériterait un traitement d’urgence avant qu’elle ne sorte une nouvelle énormité.

« P-Pablo dit moi, tu connais le phénomène de … De l’effet de passage de porte ? Genre quand tu changes de pièce dans un but précis et qu’une fois arrivée, tu oublies ce que tu devais faire ? Bah tu veux pas sortir de la chambre pour oublier… Carrément... Tout ça… E-et re-rentrer ensuite…? »

Depuis quand le regard de Pablo est-il si envoûtant ? Aussi vert, aussi intense ? Elle y décèlerait une certaine douceur qui contraste avec l’amusement qu’il affiche. Il se moque d’elle. Ce ne peut être que ça. Couinant désespérément, ses mains remontent sur ses paupières qu’elle ferme précipitamment. Si elle ne le voit pas, il ne peut pas la voir non plus… A défaut de pouvoir fuir par la porte qui se tient narquoisement derrière le jeune homme, ou de pouvoir se fondre dans le décor et disparaitre. Se transformer en puce, ou en microbe lui semble être un sort plus enviable que de subir les taquineries de son camarade.

« Oh P-Pa-Pablo… M-me regarde même pas ! J’ai trop honte ! J-je dis n’importe quoi… »

Elle a disparu, Tsumugi. Plongée de le noir, plongée dans sa honte, elle presse ses mains sur son visage tout en priant, espérant que tout ne soit qu’un bien mauvais rêve. Un cauchemar, comme ceux dans lesquels elle se retrouve en sous-vêtement devant la classe ou que ses dents lui tombent. Elle s’imagine ouvrir les yeux, être allongée dans son lit et bâiller à s’en décrocher la mâchoire avant d’entamer une nouvelle journée. Mais la chaleur sur le dos de ses mains est bien réelle. La clarté qui filtre d’entre ses doigts lorsqu’elle ouvre ses paupières aussi. Ses bras, sous l’invitation de son camarade, s'abaissent et le visage de Pablo apparaît dans toute sa beauté. Son cœur manque un battement. Elle peine à contrôler sa respiration et plus encore, elle peine à soutenir son regard. Baissant les yeux, baissant la tête, elle sent une vague de frisson rouler sous sa peau lorsque Pablo lui attrape le menton et l’empêche de se détourner de lui.

«… Plutôt…? » Répète-t-elle, un peu bêtement, un peu paniquée, alors que les connections dans son esprit sont déjà faites.

Les gestes de Pablo sont doux, assurés. Et s’il ne laisse aucun doute sur ses intentions, sur ses envies, Tsumugi ne se sent pas forcée, encore moins oppressée. Comme s’il lui laissait une porte ouverte pour pouvoir s’échapper. Non. C’est encore différent. Il se contente de l’observer, la regarder et les secondes s’égrainent comme le sable fin du temps dans son sablier. Elle prend conscience, Tsumugi, que Pablo ne tentera rien sans un geste de sa part. Elle prend conscience des limites que s’impose le jeune homme, du respect qu’il semble avoir pour elle et elle l’espère de toutes les filles qui se sont retrouvées dans la même situation qu’elle. Cela ne lui donne que plus envie de découvrir de nouvelles sensations, de pour une fois s’abandonner plutôt que regretter de ne pas avoir essayé, de ne pas avoir tenu compte de ses propres désirs et du débordement d’affection qu’elle ressent pour Pablo en cet instant.

Hésitantes, ses mains se posent sur son torse qu’elle sent, musclé et bien dessiné sous ses doigts. En la matière, ses connaissances sont essentiellement théoriques, trouvées dans les livres, les dramas, les mangas, ses propres recherches. Elle a presque l’impression de se trouver en TP d’examen sans avoir jamais pratiqué. Persuadée d’être nulle, de ne rien valoir, elle rassemble néanmoins son courage pour se jeter à l’eau. Fermant les yeux, se haussant sur la pointe des pieds, elle pose ses lèvres sur les siennes en un bisou éclair. S’il ne ressemble en rien aux baisers Hollywoodiens, ni même à ses attentes et sûrement encore moins à celles de Pablo, Tsumugi espère qu'il le verra comme une affirmation, une autorisation, une acceptation, à défaut de pouvoir parler et risquer de briser leur bulle. Dans son regard, le doute s’est envolé, remplacé par l’envie et la chaleur.

À peine retirées, à peine un battement de cils et voilà que les lèvres de Pablo sont à nouveau sur les siennes. Un couinement de surprise lui échappe. Honteuse, elle se sent s’empourprer, mais cela ne l’empêche pas de répondre au baiser de Pablo. Nerveuse, fébrile, ses mains se raccrochent à lui alors qu’elle essaye de se souvenir des conseils qu’elle a pu lire, les lèvres, pas trop molles, pas trop dures, entrouverte, mais pas piste d'atterrissage non plus… Elle est frustrée parce qu’elle ne sait pas si elle s’y prend bien, si son bisou est agréable pour Pablo, mais très vite elle prend conscience que si elle se pose trop de question, elle ne sera pas capable de juste profiter du moment. Se détendant, elle ferme ses paupières et se laisse tout simplement porter. Pablo, lui caresse la mâchoire, le cou, puis comme s’il avait été plus loin, un frisson s’amuse à la parcourir et c’est soudainement beaucoup mieux que ce à quoi elle s’attendait. Ses bras s’enroulant autour du cou du jeune homme, elle se grandit, se haussant sur ses pieds pour se sentir plus proche de lui. C’est agréable et elle ne regrette en rien, même lorsqu’il met au baiser et qu’elle peine à reprendre son souffle, encore sous le coup des émotions.

« Je… Je suis contente que tu ne l’aies pas fait aussi… » Avoue-t-elle à mi-voix, baissant les yeux, soudainement intimidée.

Elle sourit, Tsumugi, les yeux brillants, les joues chaudes et le cœur qui bat encore. Lentement, elle détache ses bras du cou de Pablo, laisse ses mains glisser légèrement sur son torse avant de rejoindre le vide quand ils s’éloignent l’un de l’autre. Encore fébrile, elle arrange une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

« O-on y va du coup ? On va manger ? »

Elle lui sourit avec douceur, comme on ferme la parenthèse d’un moment de tendresse.

#termine