On se connait ? | ft. Kisoi

La semaine dernière, les parents de Lou avaient eu besoin de mains en plus au restaurant. Une exception qui confirme la règle, qu’ils ont dit ! Normalement, pas de service le jeudi. Seulement le week-end. Et quand Lou les a appelé à midi, pour leur demander si elle devait venir aujourd’hui, ils se sont énervés. Pas besoin de parler comme ça… Elle voulait juste aider, elle.

Mais qui dit pas de restaurant, dit pas besoin d’escalader les grilles de l’école si on arrive en retard, et dit club de photographie. Lou n’est pas bien sérieuse, c’est qu’avec ses trois clubs, elle a parfois du mal à être régulière. Mais elle se l’est promis : tous les jeudis, c’est photo. Elle y tient. C’est qu’elle a besoin de s’améliorer, parce que son compte instagram est arrivé à un palier. Beaucoup de followers, c’est bien, mais encore plus, c’est mieux. Et elle est persuadée que pour ça, elle a besoin de prendre du grade.

« Eyoooo ! »

S’exclame-t-elle en arrivant dans la salle du club. Elle salue tout le monde, comme si elle les connaissait déjà. C’est qu’avec la sortie la tête dans les étoiles, ça l’a rapproché de quelques camarades. Surtout le Himuro, là, qui lui donne de bons conseils.

« Comment ça va tout le monde ? »

Lou n’en a que faire, de déranger les autres. Peut-être qu’ils ont besoin de calme, pour se concentrer, mais elle, elle est venue ici pour parler. Toute seule, elle ne va pas évoluer, elle a besoin de l’expertise de ses camarades. La plupart sont affairés, mais y’en a un, une tête brune, qu’elle ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam, mais qu’elle décide d’embêter.

« Et toi ! Oui toi, t’es dos au mur, y’a personne derrière toi. »

Oh, un timide ! Ça tombe bien, Lou adore les déranger ceux de cette espèce. Tout de suite, elle dégaine son téléphone, allume instagram, défile, défile, jusqu’à tomber sur ses photographies.

« Je fais ça, c’est nul, je sais, j’aimerais bien faire mieux, tu sais faire de la photo toi ? »

On ne sait jamais, que ce soit un amateur.

Elle est vraiment tombée sur la crème de la crème ! Le roi des timides. Pas étonnant qu’il se soit caché, au coin de la salle, à raser les murs. Bien sûr que Lou s’attendait à un taiseux, mais au point qu’il se recroqueville. Elle ne fait pas si peur, pourtant. Quoi que ?

Tout bien réfléchi, Lou est un peu effrayante. Où qu’elle se trouve, elle prend de la place. Elle parle fort, elle fait de grands gestes, elle aime qu’on la regarde. Pourtant, n’est-ce pas une bonne nouvelle pour Kisoi ? Lou est la meilleure des cachettes. Facile d’être son ombre.

« Tu… Quoi ?! »

Un quoi, qui résonne dans la salle, un peu exagéré, un peu trop fort. Lou, elle adore montrer ses photos. Tout le temps. A tout le monde. C’est bien la raison pour laquelle elle est sur Instagram. Pourtant, elle ne s’attendait pas à ce que ce petit gars, tout timide, les ai vues. C’est cliché, mais il a plus l’air d’être un nerd qu’un grand amateur de pâtisserie. Vu le ton de sa voix, même pas sûr qu’il ose commander à la boulangerie un millefeuille.

Elle regarde au-dessus de son épaule. C’est pas très poli, mais elle s’en fiche pas mal. Elle a envie d’éclaircir ce mystère. Un fan, peut-être ?

« HAN ! MAIS. »

Elle reconnaît immédiatement son pseudo. Et dire qu'elle avait pas fait le rapprochement avec sa tronche ! Lou, elle traîne pas mal sur les réseaux sociaux. De toute façon, c’est de son âge. Parfois, elle regarde les tendances. Et il y a quelques mois, elle a eu dans son algorithme une chiée de vidéos de cosplay. A vrai dire, elle n’est pas particulièrement intéressée par la culture geek mais la dextérité des couturiers la fascine. Elle qui est incapable de faire quelque chose d’aussi fin avec des mains (sauf pour la pâtisserie), elle trouve ça incroyable.

« T’es le type qui fait des déguisements là ! »

Cosplay, Lou. Cosplay. Elle connaît la différence, mais les mots se confondent dans sa bouche.

Lou, elle passe beaucoup trop de temps sur Instagram. Beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de temps. Elle ferait mieux de réviser un peu. Après tout, les examens se déroulent dans un peu plus d’un mois, et si elle ne prend pas le temps de s’entraîner, plutôt que de scroller, elle va se planter magistralement ! Et puis, elle justifie son addiction aux réseaux sociaux maladroitement : “c’est pour améliorer mon contenu !”. Comme si elle vivait de ses photographies de pâtisseries. Alors, oui, elle a déjà reçu un ou deux moules en cadeaux de marques de gâteaux, mais rien qui ne justifie un abandon de cours au profit d’une activité d’influenceuse.

Et surtout, elle ne regarde pas que du contenu de pâtisserie.

Elle passe trop de temps, dans les recommandations. Des gâteaux mignons, des jolies filles, des vidéos de manga, puis des cosplays. Ce n’est pas sa passion, à la base, mais à force de s’intéresser à des images de petites boutiques, de créateurs de bijoux, et autres passionnés du travail manuel, elle est tombée sur la couture. Ça la détend, lorsqu’il s’agit d’images et de vidéos de machines, ça l’impressionne, lorsque ce sont des reveals de costumes terminés.

Et dans le lot, Kisoi.

« Je ne pensais pas non plus te rencontrer ! Je pensais que tu étais à Tokyo ! »

Raccourci rapide : anglais dans ses postes, Tokyo. Évidemment, qu’à Kobe, et surtout à Kobe University, il y a des étudiants étrangers. Ou qui parlent la langue. Mais entre la qualité de ses costumes, la maîtrise de la langue, et l’importance du cosplay dans les conventions Tokyoïtes, Lou n’avait pas envisagé une autre ville.

« Oh non c’est trop drôle ! »

Elle s’extasie, Lou, d’autant de coïncidences. Takahashi, c’est un nom connu. Elle en a rencontré d’autres, mais la situation reste amusante.

« Moi aussi c’est Takahashi ! Lou ! »

Il est vraiment, mais vraiment pas causant le copain Takahashi. Plus décontenancé par la situation, tu meurs. Lou et les situations sociales, c’est toujours un peu risqué. D’une part, elle n’a aucun souci à se lancer, d’autre part, elle peut se montrer assez… effrayante. Elle parle fort, sans concession. Et surtout, ne sait pas très bien lire les situations.

Pas observatrice, elle ne comprend pas vraiment le malaise de son aîné. Clairement plus à l’aise que lui, elle ne décroche pas de son large sourire. Pour Tokyo, pas besoin de s’expliquer. Après tout, c’était simplement une bêtise. Un raccourci dans son cerveau. Un petit rien que Kisoi aura certainement oublié dans une minute ou deux.

Par contre, pour le nom de famille, pas question de laisser tomber ça !

« Peut-être que je suis un espion, et que je t’observe depuis des semaines. »

Elle hausse les sourcils, pour se donner un air sérieux. Un air d’enquêtrice de police, comme dans les feuilletons à la télé.

« Et que je me rapproche de toi… Pour essayer de te soustraire des informations. »

Elle serait une bien piètre enquêtrice. Impossible de regarder les détails, elle ne pourrait même pas dire la couleur des yeux de Kisoi, qui se tient pourtant devant elle.

« Que je ne m’appelle pas du tout Lou Takahashi et que je m’invente une vie ! »

Sur ces derniers mots, elle plaque ses deux mains sur la table en un grand coup. Elle veut faire sensation. Mais c’est surtout une ridicule petite mise en scène.

Peur ? Lou fait un pas en arrière. Oh non, elle ne voulait pas non plus lui faire peur. Puis, c’est quoi ce trouillard ? Il ne lui en faut franchement pas beaucoup. C’est juste un petit peu de bruit, un petit coup. Puis, c’est sur une table. Non pas que Lou aimerait taper sur autre chose, mais une table, c’est un objet. Elle n’a pas mal, la table.

Mais heureusement, Kisoi rentre dans le jeu.

S’il n’était pas rentré dans le jeu, Lou serait partie. Ou aurait été moins enthousiaste. Partagée entre gêne de lui avoir fait peur, et agacement, Lou s'apprêtait à le saluer, et retourner à ses projets de photo. Peut-être embêter Sumire, cette jolie aînée a toujours de bons conseils à donner.

Mais heureusement, Kisoi est rentré dans le jeu.

Alors, Lou lâche prise, et oublie toute honte, et tout agacement. Avec un large sourire elle répond :

« Je travaille pour un organisme très, très, trèèèèès, secret. » Elle hausse doucement les sourcils, elle n’est pas certaine de réussir à jouer le rôle, mais elle essaye. « Vous êtes sous surveillance, monsieur Kisoi Takahashi. Sous très. » Une pause. « Haute. » Une pause. « Surveillance. »

Elle se redresse. Ses paumes quittent la table, et se rejoignent derrière son dos. L’air fier, elle bombe le torse et regarde vers la fenêtre.

« Vos talents intéressent mon organisation, monsieur Kisoi Takahashi. » Elle se retourne vivement. Leurs regards se croisent. « Nous avons besoin de mains délicates pour confectionner nos super gadgets. »

A la James Bond.