Epreuve 2 - Le Monde de Dùralas & Draft Town

Le club de traditions organise une sortie scolaire pour ses membres et leurs amis - moyennant leur place - afin d’assister à une représentation inédite et exceptionnelle. Les derniers Taikomochi du continent seront sur scène en compagnie des Geisha de Kyôto. Il s’agit de la dernière représentation pour certains d’entre eux et l’émotion sera au rendez-vous, c’est certain !

Dans l'intimité de la loge, basculez dans la peau de l'un de ces derniers Taikomochi/Geisha (selon votre choix) et préparez-vous, physiquement et émotionnellement, pour votre dernière représentation.

L'écriture à deux plumes est un mélange entre un mini-RP et un texte solo. Cette épreuve prend le format du mini-RP (deux champions de deux forums différents rédigeant chacun 5 posts de 350 mots max) pour former un texte continu se rapprochant du Solo. Comme pour les autres épreuves, un thème est donné, mais celui-ci ne concerne pas nécessairement vos personnages et univers respectifs, même s'il vous sera possible de les évoquer.

En somme, il s'agit de continuer à tour de rôle une petite histoire, sur trois jours comme pour le mini-RP.

▬ Cette épreuve est une écriture à deux plumes.
▬ Vous avez trois jours pour échanger au maximum 5 réponses RP chacun, soit 10 réponses en tout.
▬ L'épreuve se termine le dimanche 16 octobre à 23h59.
▬ Les réponses sont limitées à 350 mots maximum.

Un verre d’eau est posé sur la table, aux côtés d’une carafe déjà vide. Une petite éponge traîne entre les deux, humide à n’en plus rien absorber, et des gouttelettes blanches commencent même à s’en évader dans un clapotis à peine audible. La flaque n’est pas grande, mais déjà, elle vient chatouiller l’extrémité de la brosse en bambou qui siège juste à côté. Tout autour, des flacons, blancs, noirs, rouges, roses, placardés d’étiquettes affichant oshiroi ou bintsuke, laissent émaner une odeur acide à travers leurs couvercles restés ouverts pour la plupart. Au relief que bâtit leur agencement chaotique viennent s’ajouter des formes de peignes, de brosses, d’épingles et de quelques bijoux, scintillant faiblement à la lueur d’une lanterne posée contre le mur d’en face. Par intervalles, une silhouette vient leur faire ombrage ; elle va et vient dans le fond de ce petit cadre, à chaque fois annoncée par les échos légers de ses getas qui percutent le sol. Parfois, elle s’arrête, et laisse ses yeux vagabonder un instant sur cette scénette qu’elle prive de son éclairage. Et puis elle reprend son chemin, ou bien fait demi-tour, pour aller se perdre dans un autre recoin de ce modeste tableau. Alors l’eau de l’éponge reprend son clapotis, les parfums s’évadent à nouveau des flacons, et les lueurs de la lanterne viennent rallumer leurs étincelles dans les peignes et les bijoux.

Un moment, les percussions des getas se font plus fortes ; la silhouette se rapproche, et au bout de quelques pas, son visage redescend à la hauteur des fioles et du verre d’eau. Un visage blanc, blanchi et reblanchi, rouge des deux lèvres et noir autour des yeux. Ses cheveux s’entremêlent dans un chignon grandiose, traversé de mèches et de rubans à n’en plus savoir où donner le regard. C’est presque une scène à sa propre façon, que ce visage venu s’imbriquer entre les silhouettes qui jonchent la petite table. Une statue de céramique, assise, resplendissante, venue se faire admirer au milieu de ce décor complexe auquel sa figure fait ombre. Les yeux froids, secs et fixes, elle me regarde.

Je pose ma main devant moi, et baisse les yeux sur l'éponge. Mes doigts sont mouillés. Si cela m'agace un peu, cela me fait sourire également. Combien de fois ai-je perdu cette éponge parce que je ne l'avais pas rangée ? Sur toutes les tournées, toutes les représentations... j'en ai perdu des tas. Et usé... Aussi. J'ai toujours aimé appliquer le blanc sur la peau, le rouge sur mes lèvres...

Mes gestes sont sûrs depuis longtemps, en y repensant, cela fait bien plus de trente ans que je pratique le Buyo. Cette danse traditionnelle qui se transmet de génération en génération entre nous. Je me souviens encore de ma première représentation. Le stress que je ressentais alors que la scène était à quelques pas... la crainte de faire tomber un éventail ou de marcher sur mon kimono... J'avais bien sûr de l'entraînement, on ne laisse pas les Maiko monter sur les planches.

Mais je me souviens également que toute ma maladresse et ma crainte se sont envolées dès que les premières notes ont résonné dans la grande salle. Mes gestes étaient lents, calculés même précis. Il le faut. Je ne trébuche pas, je ne me trompe pas. Représentation après représentation, année après année, je n'ai jamais failli, jamais perdu en précision. Hors scène, j'ai mes faiblesses, mes insécurités, je doute parfois. Mais l'artiste que je suis, est solide, droit et je l'espère aux yeux de tous, sans faille.

Je replace l'un des pan de mon Kimono, mon geste est habitué, une fois que je serais prête à partir, il ne devrait plus bouger. Mon regard revient vers l'éponge, tant de souvenirs me reviennent alors que je réalise pleinement que c'est la dernière fois que je l'utilise... Tout comme cette brosse... Elle me servira toujours, mais plus jamais dans ce même contexte...

« Ma vieille amie... »

Celle-là, c'est sûr, elle me suit depuis mes débuts, le manche recollé indique bien qu'elle a, tout comme moi, vécu des hauts, des bas qui ne nous ont jamais empêchées d'être là, jusqu'à aujourd'hui.

Lentement, elle dépose sa brosse parmi ses ustensiles, et saisit son verre d’eau pour s’en accorder une gorgée. Ses yeux se perdent dans le fond du petit récipient, quelques secondes, sans que leurs flottements puissent indiquer ce qu’ils y cherchent. Et puis elle repose le verre à son tour. Machinalement, son autre main attrape la carafe, pour la remuer doucement ; rien ne résonne dedans, alors elle la remet simplement à sa place. Elle relève enfin la tête, le visage blanc, le regard droit.

De ses paumes légèrement humides, elle se tâte les joues et le front. Les doigts qui remuent sa peau démasquent quelques rides que l’épais maquillage avait camouflées. Aussitôt qu’elle les ôte, la blancheur immaculée de ses traits réapparaît. Elle repasse à nouveau les mains dessus, puis sur le nez et le menton, une ou deux fois.

D’un geste adroit, elle tend son bras vers ses flacons, et les fait pivoter un par un pour afficher leurs étiquettes. Les pivots sont brefs, quelques degrés seulement ; toutes les inscriptions sont déjà orientées dans sa direction. Quand elle arrive au pot de poudre blanche, elle le saisit délicatement pour le ramener près d’elle. Le couvercle en est déjà ôté. Sa brosse y plonge, juste assez pour effleurer la surface de son contenu, puis elle la relève vers son visage. Le mouvement est subtil et précis, les pointes chatouillent à peine le bord de son nez. Il en est de même quand elle attrape son éponge, en trempe le bout dans son verre d’eau, et revient frotter la minuscule tache blanche qu’elle vient de déposer sur sa joue. Elle lève à nouveau les yeux.

Son visage est le même, un tout petit peu plus parfait. Blanc et lisse, comme une feuille de papier dont on aurait réagencé jusqu’à la dernière fibre. Elle se tient là, assise, toujours à la même place. Devant elle, l’éponge commence une nouvelle flaque, et le relief des flacons a changé d’un pot.

Les dernières retouches de mon maquillage me plaisent. Les souvenirs affluent, quand je replace encore une fois la petite éponge. Une fois, une seule fois, je me rappelle avoir oublié une partie de mon cou... j'allais monter sur scène et mon assistante a couru vers moi, elle avait l'air tellement paniquée. Elle n'a même pas réussi à me dire ce qu'elle voulait. Cela me fait encore rire de la revoir gesticuler avec la petite éponge chargé de blanc. Je crois bien que tous ceux qui étaient là ont eu l'un de leur plus grand fou rire...

Je porte la main à ma bouche pour masquer un peu mon rire naissant. Les bons souvenirs attirent les bons souvenirs. Maintenant je me rappelle qu'elle était assez maladroite et qu'elle avait provoqué ma colère en renversant tout un pot d'Oshiroi... Mon Kimono en était foutu... Evidemment sur le coup, ce n'était pas drôle, mais aujourd'hui, en y repensant... Je ne peux m'empêcher de sourire. Il y avait de l'empressement dans ses gestes, de la crainte dans son regard... Je me demande bien où elle est aujourd'hui... Je n'ai pas toujours montré de sympathie à son égard, il faut dire aussi que durant mes premières années, j'étais fière comme un Paon.

Je me lève, je commence à marcher dans la loge, mes bras répètent les gestes de la danse, la dernière danse. Je suis toujours précise. Mon bras se tend en même temps que ma jambe vers l’avant, alors que derrière, la main qui tient cet invisible éventail remonte derrière ma tête. J’ai mis beaucoup de temps avant de la maîtriser parfaitement, maintenant, je suis certainement assez habituée pour la faire les yeux fermés.

Ce que je fais d’ailleurs, plus pour le challenge que pour ce que cela pourrait rendre. J’aime les petits défis. Et je suis ravie de constater, que j’y arrive, je ne touche ou ne percute rien. Ni le portant de Kimono, ni la chaise… Il me semble avoir toujours aimé danser, avant même d’entrer dans ce monde… Mais peut-être n’avais-je alors pas du tout la même aisance…

Elle ouvre les yeux, et demeure immobile un instant, le regard perdu dans le vide. Pas un de ses membres ne laisse échapper le moindre tremblement parasite, toute sa silhouette a soudain l’inertie d’une statue. Même son visage affiche une platitude qui semble désormais inébranlable. Seuls les plis de ses vêtements demeurent ballants, portés par le faible élan qu’il leur reste.

Puis elle ferme à nouveau les yeux, et amorce quelques pas, d’une légèreté à n’en plus entendre claquer ses getas contre le sol. Passé le troisième, elle ploie d’un mouvement vif, le genou gauche à terre et le droit quelques centimètres plus haut. Alors c’est le haut de son corps, demeuré aussi rigide que le tronc d’un saule, qui opère un quart de tour. Puis ses bras, d’abord tendus vers l’avant, s’ouvrent comme les pétales d’une fleur au soleil. Sa tête est la dernière à amorcer son mouvement, pivotant à son tour en sens inverse de son corps pour se retrouver à nouveau de face, et montrer avec quelle rigueur les traits de son visage sont restés les mêmes.

Chacun de ses membres ne se meut qu’à son tour, bloquant tous les autres dans son geste ; la silhouette entière apparaît comme un automate finement réglé, dont chaque action a été soigneusement programmée dans sa machinerie pour n’être effectuée qu’au moment opportun. Pas une n’est plus longue ni plus courte que l’autre, chacune se voit attribuer sa propre seconde dans cette pulsation silencieuse qui la guide.

Elle se relève avec la même discipline : d’abord ses bras, qui viennent ramasser sur le sol quelque chose qu’ils semblaient y avoir laissée, puis ses jambes, se redéployant en suivant la même courbe qu’elles avaient suivie pour se plier, et enfin, son torse et son visage, qui retrouvent ensemble la droiture qu’ils avaient abandonnée. Là-dessus, sa silhouette opère un dernier quart de tour, et vient faire trois nouveaux pas, tout aussi soigneusement mesurés, en direction de la table qu’elle vient de quitter. Son regard ne cesse pas un instant d’être droit.

Je connais si bien les gestes…Est ce qu'on se souviendra de moi ? Est ce que j'aurais suffisamment marqué les esprits pour ne pas être oubliée ? Je crois que c'est l'une de mes plus grandes inquiétudes... être oubliée... moi qui ai voué toute ma vie au spectacle...

Soudain je me sens lasse, les questions m'assaillent. Est ce que j'aurais dû accepter la demande en mariage de ce beau jeune homme... J'aurais peut-être eu une belle vie de famille... Je retourne m'assoir, il est évident qu'une part de moi regrette... Mais j'ai tellement aimé mon rôle... j'ai tellement pris de plaisir à montrer la grandeur des geisha...  

Que va-t-il advenir de moi ? Est ce que ceux qui me disaient qu'ils seraient toujours là pour moi, le seront effectivement ? Une fois que je serai définitivement descendue de l'estrade, de la scène... Est ce que l'on se détournera de moi ? De ce que j'ai fait, de ce que j'ai vécu ? Oubliera-t-on mon nom ? Celui que je porte encore avec fierté ? L'idée même d'être évincée, de ne plus exister aux yeux des autres m'est insupportable. Pourquoi n'ai-je pas eu d'enfant à chérir pour être chérie à mon tour ? La vie de Geisha n'en laisse pas l'opportunité... Et j'admet volontiers avoir toujours préféré ma propre personne et ma propre liberté mesurée que d'avoir un enfant qui m'aurait sans doute volé mon temps...

Mais aujourd'hui... Aujourd'hui j'ai peur d'être seule quand tout ça sera fini. J'ai peur de tomber dans l'obscurité alors que la lumière des projecteurs m'a toujours accompagnée. J'ai peur de tout perdre... Pourquoi n'ai-je pas écouté les paroles de mes prédécesseurs ? Elles savaient, elles vivaient ce que je vis aujourd'hui, la dernière représentation est la plus douloureuse parce qu'elle ouvre un futur incertain et angoissant...

Il faut que je me calme, mon visage doit rester neutre, comme toujours... Mais l'angoisse de l'après est bien présente dans mon cœur... Comment en suis-je venue à ça ? Je dois me recentrer...

La revoilà assise au milieu des flacons, le visage stoïque, cerné par les éléments de son petit cadre. Sans le regarder, elle attrape son verre d’eau d’une main leste, et le porte lentement à ses lèvres. Elle avale une gorgée, qui lui tire une brève expression d’inconfort ; ses yeux examinent le fond du verre un instant, puis s’entreferment alors qu’elle le repose. Elle agrippe la carafe, la remue faiblement, et puis la repose à son tour.

Sa tête s’incline doucement. Ses mains, elles, commencent à se promener sur la table. Par instants, elles attrapent un des pots au couvercle retiré pour le lui remettre, ou bien déplacent l’éponge hors de sa petite flaque, pour la laisser en commencer une nouvelle. L’une d’entre elles passe régulièrement se saisir de la brosse, la manipule, la retourne pour afficher toutes ses facettes, et puis la relâche dans un endroit chaque fois différent.

Après quelques passages, ce sont ses bras qui s’aventurent hors de la table, vers les meubles qui l’entourent. Des tiroirs sont tirés, dans lesquels elle range parfois un de ses flacons, ou desquels elle en sort parfois un autre. À un moment, elle y pince quelques feuilles de papier, tachées de kanjis méticuleusement agencés en trois, quatre ou cinq lignes. Ses yeux ne s’y perdent que quelques secondes, à peine plus ouverts que précédemment, avant qu’elle les range à leur tour. Puis le manège des flacons, de l’éponge et de la brosse, reprend lentement.

Ce visage blanc trône toujours au milieu de tout cela. Une minute s’écoule sur son fard impassible, bientôt suivie d’une deuxième. À mesure que tous les pots retrouvent leurs couvercles, ses mains s’agitent de moins en moins. Elles reviennent brièvement tâtonner son front, ses joues ou son menton ; puis elles se rejoignent enfin, et se posent ensemble sur la table. Une troisième minute s’écoule.

Je soupire, replace une mèche de cheveux qui s'est échappée de mon chignon parfaitement exécuté. C'est la chose la plus difficile que j'ai appris à faire. Je suis sûre d'avoir mis bien plus de temps à apprendre à me coiffer qu'à m'habiller. Pourtant, je n'ai jamais eu de mal à exécuter les choses.

J'ai toujours eu les cheveux longs, suffisamment pour faire les belles boucles. J'ai souvent été aidée, pour qu'elle soit parfaite, la coiffure est travaillée à quatre mains. La Maiko que j'étais, a toujours buté sur les cheveux, je crois que je n'étais même pas capable de faire la coiffure de ma mentor. Elle avait vraiment beaucoup de patience avec moi… je me suis tellement trompée, énervée… aujourd'hui encore je m'étonne d'avoir été si agitée plus jeune. Est-ce qu'on s'assagit avec l'âge ? Ou me suis-je vraiment imprégnée de mon personnage jusqu'à moi même n'être plus tourmentée par rien ? Parfois je le crois… la vie privée et la scène se mêlent et je suis en éternelle représentation.

Pourtant, derrière le rideau je ne suis pas silencieuse. J'ose m'imposer pour ce qui m'importe et je suis fière des valeurs que je transmets. Mais il est vrai aussi, que si je me mordais la langue pour retenir un juron il y a deux dizaines d'années, aujourd'hui je sais me taire et piquer dans la courtoisie. Est-ce la sagesse de l'âge ou celle des geisha ?

Mes yeux tombent sur la table à la recherche d'une pince discrète. Dès que je la trouve je la fais glisser dans mes cheveux derrière la nuque, elle est invisible. Je réalise soudain que mes mains tremblent, l'heure approche... J'ai toujours, dans mon souvenir, eu de légers tremblements à l'approche de l'heure fatidique. Comme si mon corps savait à l'avance et que l'excitation de monter sur scène venait déjà prendre sa place. Mon cœur s'emballe presque déjà... J'ai hâte... Et je le redoute à la fois…

Elle lève la tête une dernière fois. Si les traits de sa face ne trahissent toujours aucune expression, sa poitrine, elle, se dégonfle et regonfle à vue d’œil. D’abord rapidement, dans une cadence irrégulière et plusieurs fois interrompue ; et puis lentement, toujours plus lentement, plus régulièrement. Les allers et retours de ce ventre indécis gagnent en amplitude, à mesure qu’ils perdent en fréquence. Mais bientôt, ils se stabilisent, s’adoucissent, et s’estompent.

Ses mains cessent de trembler. Dans un équilibre impeccable, elles parcourent la table pour y réagencer tout ce qui s’y trouve. Les couvercles restants sont replacés sur leurs pots et flacons, la brosse alignée avec les autres pinceaux, l’éponge déposée sur un morceau de chiffon et ses flaques essuyées par un autre. Les tiroirs sont ouverts, remplis, et refermés. Tous les gestes sont accomplis avec la même rigueur que ses pas de danse de tantôt ; chacun à son tour, sans aucune perte de temps, et sans qu’y interfère aucun mouvement parasite. Bientôt, le relief qui entourait le petit cadre fait place à une grande plaine dégagée. On n’y distingue plus que le visage blanc, flottant dans une image aux formes aérées et aux couleurs harmonisées.

Elle demeure assise encore un instant, les yeux rivés dans le verre. Vivement, elle tourne la tête dans toutes les directions, sans que son regard ne cesse de le fixer. Une à une, ses blancheurs défilent dans leur petite fenêtre, suivies de leurs rougeurs, leurs roseurs, et leurs noirceurs. La chevelure qui les surplombe arbore successivement toutes ses façades, toute la savante complexité de ses plis. Et bientôt, ce sont les épaules, puis le buste tout entier, qui y laissent pavaner les couleurs de leur kimono flamboyant. Elle se lève, recule de quelques pas pour laisser toute sa silhouette entrer dans le cadre, et lui jette un ultime regard. Puis, dans une démarche solennelle, elle gaine son corps, joint les mains au niveau de sa taille, laisse sa poitrine se gonfler une dernière fois, et s’incline gracieusement en signe d’adieu.

Le mot de la fin:

J'embrasse la pièce du regard. J'ai l'impression que c'est la dernière fois. Tout est rangé, tout est propre. L'eau n'est plus éparpillée, les flacons sont dans les tiroirs et je suis prête. Dans le couloir j'entends les voix lointaines, les bruits de pas qui se rapprochent mais pas aussi rapides que les battements de mon cœur. Est-ce que je suis prête ?

Toc toc

Je tourne le visage vers la porte qui s'ouvre. Le visage m'est familier mais je ne trouve plus son prénom. Elle, elle se souvient sûrement du mien.

« Hanachiyo ? C'est à toi, viens. »

Elle me tend la main, mon cœur réagit aussitôt et j'affiche un large sourire en m'avançant vers elle. Ça y est, c'est a moi, ma dernière danse va commencer… la bienveillance sur le visage de l'assistante me fait du bien et me rassure. J'ai eu peur un instant de ne pas la connaître.

Elle glisse sa main dans la mienne pour sans doute me guider jusqu'à la scène. Moi je me retourne sur cette loge vide, et mon grand miroir. Je suis prête.

Le dédale de couloir m'est inconnu, mais ma guide me rassure, ce n'est plus très loin. Je n'ai peur que de me perdre. Elle caresse le dos de ma main pour attirer mon attention et me montre les quelques marches qui me séparent du public.

Je les monte. Mon souffle s'accélère. A petit pas, je m'installe au milieu de la scène, seule. On me tend les deux éventails et je prends la pose. Mes mains tremblent un peu…

Le musicien se met en route… la musique me parvient… mes mains s'immobilisent et je danse.