[Zoo d'Ueno] Une mémoire d'éléphant

Je m'arrête quand je réalise qu'il s'est arrêté aussi. Surprise, je le regarde sans comprendre. Pourquoi il n'a pas l'air d'y croire ? Ce n'est quand même pas la mer à boire ce que j'ai proposé. Pas comme si je lui proposais un rein ou quoique ce soit. C'est vrai que je ne laisse pas mes affaires à n'importe qui mais là, je serais à côté de lui et c'est l'histoire de quelques clichés. Il l'aurait en main maximum cinq minutes tout au plus.


Mon père refuserait de m'en racheter un je suis sûre. Pas toute de suite en tout cas. J'entends déjà son ton quand il me dirait que je n'avais pas à le prêter à quelqu'un pour commencer. On se remets en marche et on atteint la fin du chemin boisé pour arriver à l'enclos des pandas. Ils sont vraiment trop mignons ! Des peluches géantes ! Je fais quelques clichés et m'empresse de les envoyer à Meyuki. Je me fige un peu quand il me propose de me prendre en photo devant les pandas. J'hésite un moment avant de répondre. Je n'aime pas qu'on me prenne en photo, tout simplement parce que je ne sais pas quoi faire ou comment me tenir. Quand on a fait le shooting pour l'anniversaire d'Emily, j'étais plus ou moins à l'aise grâce à Emily et aux conseils du photographe. Je n'avais pas l'impression de poser pour des photos.


Avec réticence, je retire la sangle de mon appareil d'autour de mon cou et le donne à Seito. Je lui explique quelques fonctionnalités et surtout celles dont il a besoin pour faire la photo avant de m'éloigner.


Je lui souris et me place devant l'enclos, le moment malaisant est là mais je fais de mon mieux pour sourire le plus naturellement possible. Papa, maman, j'espère que vous vous rendez compte à quel point je vous aime pour faire ça !

Je respire à nouveau quand je vois l'appareil faire un cliché. Le moment malaisant est passé ! Par contre, mon soulagement n'est que de courte durée. Les gens qui je voyais autour de nous se rapprochent trop. Trop proche, trop de monde, je n'aime pas ça. Je lance un regard désespéré à Seito sachant très bien comment la suite va se passer. J'ai à peine écouter ce qu'il a dit. Le couperet ne met pas longtemps à tomber, je savais qu'ils allaient me demander de me prendre en photo. Ce n'est pas la première fois que ça arrive et c'est toujours aussi désespérant. La dernière fois, c'était quand mon frère était là l'année dernière. Vu qu'il ressemble plus à un japonais que moi, il n'a pas embêter mais moi si. On avait fait une tactique simple qui m'avait un peu écœurée, je vais peut-être la reproduire maintenant. Il faut juste que j'arrive jusqu'à Seito. Sauf qu'ils sont plutôt insistant et malgré que je secoue les mains devant moi, ainsi que la tête, pour faire comprendre que je ne veux pas, ils m'ignorent.


Mon compagnon de visite arrive à se frayer un chemin dans le groupe et ça me soulage un peu. Je me rapproche discrètement de lui et soupire quand les rapaces disent qu'ils veulent juste une photo de moi devant l'enclos. Et avec moi aussi. Genre je suis un mannequin maintenant, c'est n'importe quoi. Plus agacée qu’embarrassée, j'attrape doucement le tissus de la manche de Seito -en croisant les doigts pour pas qu'il s'écarte- et déclare avec une voix timide :


J'incline la tête en bonne japonaise et commence à battre en retraite.


Je ne suis pas désolée du tout mais je joue mon rôle à la perfection, à grand renfort d'excuse et de timidité feinte. Si ils sont respectueux, ils devraient nous lâcher.

Par miracle, on arrive à se dépêtrer de la situation et à s'esquiver plus loin. On se dirige vers les pandas roux qui sont juste à côté. Je respire plus librement, bien contente d'avoir réussi mon petit numéro pour échapper aux vieux. Quand Seito reprends la parole, toujours aussi incrédule que toute à l'heure. J'hausse les épaules mais je ne sais pas trop quoi répondre. C'est la solution qui m'ait venue à l'esprit, vu qu'on l'avait utiliser avec mon frère avec succès la dernière fois. Ça m'avait écœuré mais c'était efficace.


C'est vrai que je n'aime pas mentir, alors je préfère arranger la vérité. Ce n'est pas mentir vu que c'est vrai.


Peut-être qu'il va trouver ça immoral de faire ça mais peu m'importe. Je prends une grande inspiration et lui sourit en enchainant rapidement:

Je ne relève pas le sarcasme dans la voix de Seito. Peu m'importe qu'il soit effarouché, ça m'est assez égal. Par contre, le parallèle avec les pandas est assez drôle. C'est vrai que souvent c'est les gens mignons qui sont les pires. On ne s'en méfie pas et paf ils nous prenne en traitre. J'ai quand même bien fait de rediriger la conversation sur l'appareil photo. D'ailleurs, j'aimerais bien le récupérer pour faire une photo des pandas roux. Je m'approche de Seito pour regarder le cliché et sourit quand il commente la photo.


Je garde en tête mon objectif, en apprendre plus !

Je ne sais pas trop où il veut en venir avec sa question mais il ne me rends toujours pas mon appareil ! Je le regarde s'éloigner et ne comprends pas trop où il veut en venir. Il va pas se mettre à jouer les mystérieux comme Milan maintenant ! Son commentaire sur le fait que si la deuxième est réussie, il plaque tout me fait sourire. Allons bon. Je ne suis pas sûre que ça soit un bon conseil mais il est lycéen, il a encore le temps. Mon sourire disparait peu après qu'il m'ait prise par surprise en levant l'appareil. Je ne l'avais pas vu venir celle-là ! Il est assez fourbe aussi lui. Il revient vers moi, j'en profite donc pour récupérer mon précieux bien. Pendant qu'il parle, je regarde la photo qu'il a prise. Je la trouve aussi réussie, c'est le modèle qui laisse à désirer.

Je reporte mon regard sur lui et me fige quand il prononce le mot "écrivain". Il veut devenir écrivain ? Comme Jamie. Sauf que lui, il l'est déjà. A cette pensée, je sens un poids revenir sur les épaules et la déprime qui repointe le bout de son nez. Il faut croire que même si j'essaie d'oublier, la réalité se fait un malin plaisir à me rappeler mon ex-meilleur ami/copain. Pour masquer ma réaction, je remets la sangle de mon appareil autour de mon cou et réarrange le tout pour ne pas être gênée avec mon sac.


Je suis fière de réussir à cacher l'amertume que je commence à ressentir. Même si mon ton est beaucoup plus neutre qu'il y a deux minutes.

Je le dis simplement sans trop m'étaler. Je n'ai pas envie de dire que la préface ou une partie des remerciements me sont consacré. Même si ce n'est pas dit clairement. Ou même de dire que c'est moi l'auteur de la couverture du bouquin. Rien que d'y penser, ça me déprime. Heureusement, Seito est une bonne distraction parce qu'il mord à l'hameçon et m'explique longuement ce qu'il écrit. Je comprends ce qu'il veut dire sur les difficultés de rédaction. Je me rappelle que Jamie était passé par là de nombreuses fois avant de trouver la bonne histoire à raconter. Par contre, quand il me dit son haïku inventé sur le moment, je suis plus que perplexe. Déjà que les poèmes, ce n'est pas mon dada -même si j'aime les belles tournures de phrases- j'avoue que ça me perds complétement.


Je ne sais pas quoi dire d'autres, alors je préfère éclaircir :


Je lui souris en toute sincérité. Je trouve ça mignon à vrai dire et assez suranné mais c'est plaisant de voir un lycéen passionné par ça.

Honnêtement, j'ai dû mal à imaginer que trois phrases peuvent me faire un tel effet. Bien sûr, je comprends l'intention, c'est mon but ultime d'artiste, de toucher les gens avec mon art. Je ne sais pas trop si c'est réussi mais une chose est sûre, je n'ai jamais compris les gens qui pouvaient trouver mille et unes chose dans des toiles abstraites par exemple. Comment on peut voir des trucs philosophique dans quatre tâches de peinture sur une toile ? C'est ce qui fait que je ne serais jamais agent d'artiste ou alors propriétaire de galerie comme Will. Cela demande une éloquence que je n'ai pas.

La suite me perds un peu plus. Pourquoi il ne veut pas se projeter ? Certes, je suis partisane du "ne pas avoir d'attente pour ne pas être déçu" mais il n'a pas l'air de croire dans ce qu'il écrit. Comment il veut toucher les gens si il n'y croit pas lui-même ? J'ai du mal à le suivre et j'ai l'impression que même si je lui disais qu'il est doué et qu'il devrait y croire, il s'en ficherait ou n'en tiendrait pas compte. C'est triste. Même moi qui n'est pas la plus douée, je sais que j'ai du talent. C'est pas faute d'avoir travailler dur pour obtenir un tel niveau. Alors, même si ma technique est loin d'être parfaite, je fais de mon mieux pour transmettre ce que j'ai ressenti sur le moment.


Vu le malaise qui règne dans l'air, je ne m'étale pas non plus et regarde derrière Seito.


Sans perdre de temps, je me mets en route, en jetant un dernière regard aux pandas roux et direction les kangourous. On doit passer là-bas avant d'accéder au reste des animaux d'Afrique.

C'est vraiment drôle les kangourous ! Pour eux, je choisis de les filmer quelques secondes au lieu des photos. Je coupe l'enregistrement quand Seito me dit qu'il a quelque chose à m'avouer. Je le regarde, sans comprendre avant de rire à sa déclaration. Parce qu'il est gaucher, c'est un kangourou ?  


J'allais ajouter quelque chose quand mon téléphone se met à sonner. Surprise, je regarde qui m'appelle. Meyuki ?


Sans attendre plus longtemps, je décroche. Je dois immédiatement éloigner légèrement le combiné de mon oreille. Elle vient de crier que je lui manquais. Je lui dis qu'à moi aussi elle m'a manqué et demande si elle a vu les photos, en jetant un coup d'oeil à Seito qui regarde dans ma direction. Je lui souris alors que Meyuki confirme pour les photos et dit qu'elle aurait aimé être là.


C'est ce moment que choisit Seito pour imiter un kangourou devant moi, ce qui me fait pouffer de rire tandis que Meyuki dit : "Han les kangourous c'est trop cool ! Tu sais qu'ils savent se battre ? Leurs coups de patte sont trop violents, des vrais karatéka Ayaaaa !" en rigolant. Elle semble tilter que je ne suis pas seule ensuite car elle ajoute : "Oh mais, t'as dit "on", je te dérange ?' t'es avec quiii ?"


Seito me regarde avec un air surpris et me demande qui c'est en chuchotant. Je n'ai pas le temps de répondre que Meyuki enchaine en disant qu'elle ne savait pas qu'on était devenu ami depuis le bodypaiting. Elle me demande si il est sympa avant de confirmer qu'elle le trouvait sympa elle. La suite me surprends un peu, elle demande à lui parler. Sans répondre à ma meilleure amie, je couvre le micro du téléphone en disant à Seito:


Et j'ajoute un "oui oui" pour elle, alors qu'elle insiste en disant "allez alleeeez". Comme Seito à l'air figé, je prends les choses en main en lui fourrant le téléphone dans ses mains à lui. Pendant qu'ils discutent, j'en profite pour prendre les kangourous en photo, suivant la conversation à côté. Il ne se rappelle pas d'elle, c'est terrible, elle va être tellement triste quand elle va s'en rendre compte ! Il semble perdu et malgré sa demande implicite d'aide, j'hausse les épaules sans comprendre. Je ne vois pas ce que je peux faire pour lui. Si il a vraiment oublier, tout les détails du monde ne serviront à rien. Meyuki semble continuer à parler et cette fois-ci l'illumination apparait sur le visage du garçon. Il se justifie et je vois la tête que Meyuki fait d'ici. La pauvre ! Je lui ferais bien un câlin pour la réconforter mais c'est impossible.

"HEY mais c'est toi la fille qui reçoit toutes les photos de Yorke-senpai ?! J'lui avais dit qu'il fallait que vous vous appeliez en visio pour qu'elle te montre en direct les animaux !" dit-il en me souriant. Je lève les yeux au ciel en soupirant avant de sourire. Il a l'air intelligent mais vachement long à la détente dis donc ! Leur conversation continue et là, Seito donne son animal préféré.


Je le répète à voix basse. Je ne m'attendais pas vraiment à cette réponse. C'est vrai que c'est très chou comme animal ! Ils échangent quelques mots avant que Seito me rende le téléphone. Cela dit, il réponds quand même à quelque chose que Meyuki a dû dire :  "Bah ouais, c'est genre l'animal lui plus amical que j'connaisse... enfin pas que j'en connais un personnellement mais tu vois l'idée !"

Dès qu'il a fini de parler, je demande à Meyuki où elle va et elle me réponds qu'elle va à l'auto-école avant de demander mon animal favori. Je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir qu'elle s'exclame : "TU TE REEND COMPTE IL M'A OUBLIEE !!"


"J'suis peut être trop passe partout... Ptete qu'il a fait d'autre truc déguisé depuis et que ça l'a pas marqué, ou j'suis trop japonaise lambda pour qu'il se souvienne ! Tu crois que j'suis nulle ? Oh oui c'est mignon les panda roux ! Tu m'oublies pas toi hein ?" répond-elle ce qui me fait rouler les yeux en me retenant de soupirer.


Seito semble capter que je parle de lui car il sort de sa contemplation des kangourous pour s'excuser avec un sourire crispé. S'en suit une conversation où elle me dit que je peux l'oublier comme Keitô a oublié Heisuke. Je lui demande alors si elle veut que je tombe dans les escaliers aussi pour l'oublier. Elle me contredit vivement et assure qu'elle ne me laisserait pas l'oublier. J'en profite pour dire que ça n'arrivera pas avec un ton ferme. La conversation ne s'éternise pas plus car elle doit aller à la séance de code.


Elle me fait des bisous au téléphone, ce qui me fait sourire et je fini par raccrocher.

On continue à faire le tour du zoo et je passe un bon moment à parler avec Seito. Quand il veut caresser les animaux, je le prends en photo discrètement. Je les donnerais à Mitsuki ! Je caresse aussi les petits animaux -en regardant avant si ils sont propre quand même- et retrouve avec plaisir les chevaux. La dernière fois que j'ai monté en selle remonte à loin. Il faudrait que je recommence pour ne pas perdre la main. Bien plus vite que je ne le pensais, on arrive au point de ralliement et la boutique me fait de l’œil. J'ai envie d'acheter une peluche pour Matthew mais encore faut-il qu'elle soit assez petite pour rentrer dans mon sac. Oh au pire, je me baladerais avec le temps de rentrer à l'hôtel.


C'est gentil de sa part d'aller faire les photos à ma place. Sans plus attendre, je me dirige dans la boutique où je croise pas mal de mes camarades de voyage. Je trouve bien vite les peluches et en prends une de taille moyenne d'un panda roux. Elle est trop chou ! J'hésite à en prendre une aussi pour moi. Je me décide finalement à faire le tour pour trouver l'inspiration de cadeaux. Tout semble très cheap et attrape-touriste, c'est bien ce que je n'aime pas trop. Je me dirige vers la caisse mais c'est à ce moment que Seito entre tout essoufflé. Je ris brièvement à sa question en disant :

Sa réaction me fait rire et je manque de dire "y a pas que ça que tu as oublié" mais je me retiens. Je regarde vite fait les photos qu'il m'a envoyé et souris à sa question.


Je vais en caisse pour payer mon achat et rejoins Seito. Je suis contente de mon choix et il va falloir que je me montre patiente pour l'offrir à Matt. Le mois d'Août me semble si loin... et il y a les examens entre moi et ma famille. Dur réalité. On sort de la boutique en gardant mon sourire ravi. Je ne regrette pas du tout d'avoir croiser Seito pour cette après-midi. Si on retire l'incident avec les petits vieux.


Je me garde bien de lui dire que lui aussi a été un modèle d'un jour. Je lui enverrais les photos quand j'aurais tout trier. Je préfère ne pas être devant lui si il n'est pas content ! On ne tarde pas à devoir se séparer pour retourner à l'hôtel. Le premier truc que je ferais, c'est trié et classer toutes ses photos !