Flashback | Mardi 4 avril 2017

Le mardi Emily n’avait pas court. Elle avait d’ailleurs rendez-vous avec sa psychologue le matin. Elle s’était isolée pour son rendez-vous, dans sa chambre. Tessa n’avait pas cours mais était partie – du moins pour le temps du rendez-vous. Une fois celui-ci terminé, elle se rendit compte qu’elle avait un papier à rendre pour le club de danse à l’administration et se changea pour régler ce détail. Toujours vêtue de vêtements éthiques et responsables, plutôt que ces anciens atours luxueux, elle se rendit là où elle devait aller.

Une fois sa modeste tâche terminée, elle se rendit de nouveau vers les dortoirs. Son regard fut frappé par une pancarte à son nom. C’est moi que tu cherches ? Qui est ce crétin que je suis sensée chercher ? songea-t-elle. L’ancienne Emily aurait eu les larbins à sa solde pour la prévenir et lui éviter cet affrontement qui semblait à présent inévitable. Son changement de fréquentations la laissait seule face à cet énergumène. Elle n’était probablement pas directement dans son champ de vision, ainsi, elle eut le loisir de le détailler du regard, fouillant sa mémoire.

Un japonais, aux yeux bleux. Cheveux décolorés… Sa tête me dit quelque chose, pensa-t-elle tout en essayant de visualiser différents lieux, différents moments. Emily se demandait quel instant de sa vie avait pu mettre un tel énergumène devant elle ; et surtout pourquoi elle le chercherait.

Un éclair de lucidité la frappa. Le mariage et à la maison. Le petit Nakahara. Elle réprima une grimace de lassitude. Qu’est ce qu’il fait là ? Et surtout, pourquoi est-ce que je n’en ai pas été informée ?

Soucieuse de sa réputation, elle pressa le pas et arriva à sa hauteur. Emily fit glisser sans mal sa main sur le poignet du jeune homme, celui qui tenait la pancarte idiote.

- Je ne te cherche pas, mais je suis là.

Elle lui intima d’une pression de la main d’abaisser ceci.

- Que veux-tu ?

Surprise, elle en oubliait la politesse.

Flashback | Mardi 4 avril 2017

Emily se reprit rapidement - Adaptation aurait pu être son deuxième prénom -  et son expression se figea en un sourire poli, totalement commercial. Il étudie ici ? Quelle blague, songea-t-elle. Face à son visage innocent, elle ne pouvait décidément pas faire une scène. D’autant plus qu’Haruka adorait son neveu, bien qu’il soit un peu particulier pour le reste de la famille. Après tout, si elle n’aimait pas les étrangers, mon père ne se serait jamais marié avec elle.

Shun Nakahara était comme un raz-de-marée. Il parlait beaucoup trop, beaucoup trop vite. Les questions se succédaient mais elles n’avaient pas l’occasion d’y répondre. Aussi, elle se contenta d’attendre qu’il ait vidé son sac, non sans une certaine lassitude, dissimulée habilement par le mouvement de commissure de ses lèvres.

La dernière phrase la prit de court. Si Ô grand jamais elle ne voudrait qu’un membre de sa famille se mêle de ses affaires à nouveau, elle ne pouvait s’empêcher de trouver sa proposition mignonne. Agaçante, au vue de ce que l’arrivée de Shun pouvait représenter dans sa vie, mais mignonne. Je suis certaine que papa va en profiter pour s’assurer que je ne retombe pas, pensa-t-elle avec une pointe de déception.

Pour l’heure, Shun l’avait déjà bien assez fait remarqué comme cela. Les rumeurs pouvaient se rependre comme une trainée de poudre sur le campus, et même si sa réputation ne comptait plus autant qu’auparavant à ses yeux, elle voulait tout de même passer la personne respectable qu’elle était. Elle prit donc enfin le papier qu’il lui tendait et sorti aussitôt son téléphone, répondant à ses précédentes questions tout en créant le contact « Shun Nakahara - Cousin dangereux » dans son téléphone.

- Bienvenue à KHS, alors. Je vais bien, merci. Les petits aussi. Si tu les appelle par leur prénom, fais-en de même avec moi. J’ai l’impression que nous ne sommes pas de la même famille, sinon. Ce serait étrange, le sermonna-t-elle gentiment.

Le contact était créé et elle hésitait. Devait-elle lui donner le numéro de sa première carte SIM ? Celle qu’elle ne réservait qu’à l’élite et ses proches. Celle qui restait toujours joignable ? Ou devait-elle lui donner son second numéro, celui qu’elle donne aux gens sans importances et qu’elle désactive lorsqu’elle veut avoir la paix ? Elle poussa un léger soupire, puis ajouta tout de même avec un sourire poli :

- Je te fais sonner, ajoute moi. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi. Mon père me tuerait s’il t’arrivait quelque chose alors que je suis ici. Mais ne m’appelle pas pour rien non plus, je suis plutôt occupée, d’accord ?

Elle avait un mauvais pressentiment. Justifié bien entendu par la pancarte qui pendait mollement devant elle. Elle regrettait déjà de lui avoir donné son numéro principal, celui de ses proches. Son éducation voulait la forcer à l’inviter à déjeuner, pour se montrer avenante et gentille. Cependant, elle n’en avait pas réellement envie. Elle devait digérer le fait qu’un élément perturbateur viendrait peut être compromettre son « nouveau départ » durement travaillé.

Flashback | Mardi 4 avril 2017

Emily ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir, avec son air et sa demande. Sûre de quoi ? Elle n’avait parlé que du prénom, ou de la contacter. Dans les deux cas, puisqu’elle lui avait proposé, oui, elle en était sûre. Elle se contenta d’hocher la tête, toujours avec le sourire. Elle n’avait qu’une hâte, se débarrasser gentiment de lui, raconter cette rencontre à Tessa et à Neil, puis essayer de l’oublier.

Ce gosse est complétement dérangé. C’est pour ça que ses parents l’ont envoyé ici ?, se demanda-t-elle devant ses manifestations de bonheur qui n’avaient aucune source apparente aux yeux de la jeune fille. C’est quoi son problème ? Elle se devait d’être gentille, puisqu’il était de la famille. Plus les minutes s’écoulaient, plus cette affirmation lui faisait peur.

Il ouvrit enfin la bouche, après avoir fini de gesticuler de manière totalement ridicule. Elle hocha la tête, trop heureuse de trouver une échappatoire.

- Oui, je suis dans le club de danse. Et généralement, après les cours et le club, je révise. Être étudiante à l’université, c’est du travail !

Bon, je passe aussi du temps avec Neil, Tessa, je m’occupe de mon compte instagram et des marques dont je suis actionnaire mais ça, il n’a pas besoin de le savoir. Et pour ne pas se montrer trop froide, elle ajouta :

- Et toi ? Tu t’es inscrit dans un club, Shun ?

Puisqu'il était de la famille, elle laissa tomber les marques de politesse. La rigidité japonaise avait du bon avec des inconnus, mais quand le lien devenait un peu trop personnel, c'était rapidement un casse tête dont la métis ce serait bien passé.

Flashback | Mardi 4 avril 2017

Supporter ça tous les jours...,  cette pensée lui glaça le sang. Car le jeune homme était tout son inverse : sur-expressif, avec de grands gestes et des mimiques exagérées. Elle lui adressa néanmoins un petit sourire. Elle pouvait au moins lui accorder cela. Elle attendit pour voir si il avait fini de parler, mais il continua sur sa lancée.

- J’adore ça, oui.

Avoir un point commun pouvait les aider à faire connaissance. Emily ne le détestait pas, surtout qu’il était l’un des neveux adorés d’Haruka. Elle devait juste... Apprendre à le connaitre, lui laisser une place. Et s’habituer à son caractère exubérant.

- Je vais passer par ma chambre d’abord, pour prendre mes affaires de sport.

Elle émit une petite hésitation, avant d’ajouter :

- Tu veux venir avec moi ? Au moins tu verras où se trouve ma chambre, si tu as besoin d’y passer.  Vaut mieux que tu saches où elle se situe plutôt que de brandir ce genre de pancartes..., termina-t-elle d’un ton blasé.

Et sans attendre sa réponse, elle reprit sa marche, lui faisant signe de la suivre.

Flashback | Mardi 4 avril 2017

Mais… Il est idiot ou il le fait exprès ?! , se demanda Emily. Elle avait la même impression que quand Aaron était arrivé, à l’époque. Il l’avait forcé à jouer les fiancés et s’était montré particulièrement pénible. Shun était du même accabit, même s’il n’avait pas l’air d’avoir un mauvais fond, ni empli de mauvaises intentions. Oui, il doit surement être stupide.

Elle s’arrêta et posa sa main sur l’épaule du jeune homme. D’une pression elle lui fit comprendre de la regarder. Comme si elle parlait a un très jeune enfant, elle lança le plus calmement possible :

- Tu ne fais plus jamais ce genre de choses. Je n’aime pas du tout. D’accord ? Mon téléphone, ou venir me voir dans ma chambre. Rien d’autre. C’est compris ?

Elle plongea son regard dans le sien, ne rigolant pas du tout. Il fallait mettre vite les choses au clair, pour que la situation ne dégénère pas. Elle détestait se taper l’affiche.