Tu vends quoi toi ? [Ft. Pablo]

Mercredi soir. Trois jours qu'on a repris les cours. Rien d'exceptionnel à noter si ce n'est cette nouvelle mission spéciale dans laquelle je me lance. Ma nouvelle façon de faire preuve d'altruisme et d'aider mon prochain. En me faisant une petite marge au passage. C'est qu'en deux ans, j'ai eu le temps d'en connaitre du monde, dont certains qui sont encore mineurs. Mais qui aimeraient bien pouvoir se procurer certains produits destinés à ceux dont la carte d'identité affiche un âge minimum. Ouais bon, des clopes et de l'alcool principalement en gros.

Je me rends donc en ville, dans un konbini où je ne connais personne et où je ne devrais a priori pas croiser de tête connue. C'est que je n'ai pas franchement envie d'être vu à acheter ce genre de marchandise en quantités. Je tiens un minimum à ma réputation hein. Sweat à capuche large, jean troué et vans aux pieds, je me suis également habillé en conséquence. Passe partout. Ma tignasse blonde attire suffisamment l’œil comme ça.

Mon sac à dos encore vide sur les épaules (pas question que je me trimballe avec tout ça à la vue de tous) j'entre donc dans le konbini aux alentours de 20h. Il n'y a pas grand monde. Tant mieux. Je cale deux petits cartons de bière sous un bras, attrape deux bouteilles de whisky de l'autre main avant de me diriger vers les capotes. Ouais, ça aussi ils n'assument pas encore tous de passer devant la caissière avec ce genre d'article. Ils sont trop mignons. J'en prends évidemment une boite au passage pour moi (qui sera donc financée par les leurs, c'est parfait), le tout posé en équilibre au-dessus de mes cartons de bière.

Je commence à me dire qu'il faudrait peut-être que j'aille chercher de quoi poser tout ça (parce que je n'ai plus la place pour aller me prendre quelques boites de nouilles instantanées indispensables à ma survie), que je passe non loin d'un gars qui attire mon attention. Mes yeux se posent rapidement sur son visage par réflexe. Il a l'air jeune, je voulais juste vérifier. Mais là où mon regard aurait dû reprendre la direction des plats tout prêts, je reste subitement comme bloqué. Sa tête ne m'est pas inconnue. Mais je ne suis sûre que ça ne vient pas de l'école. Cheveux noirs et coupe originale, teint hâlé, il n'a en fait rien de japonais. Mes neurones s'agitent à toute vitesse alors que mes souvenirs défilent à une vitesse folle à la recherche de...

Oh merde. J'ai trouvé. Et pour le coup, j'aurais largement préféré ne jamais m'en souvenir. Mon rythme cardiaque accélère subitement. Je reprends rapidement ma route pour tenter de disparaitre de son champ de vision dans la prochaine allée, mais c'était sans compter sur mamie qui passait tranquillement par là au même moment. Je vais trop vite pour l'éviter et la collision est inévitable.

- "Pa... Pardon je suis désolé vous allez bien ? Attendez je vais ramasser ne bougez pas."

Je parle à toute allure alors que mes yeux alternent maintenant entre l'obstacle et le bazar par terre. Je ne sais pas par que miracle j'ai réussi à sauver à la fois mes bouteilles et mamie de la chute mais pour le reste, ce n'est pas joyeux. Mes cinq boîtes de préservatifs se retrouver à patauger dans la pâté pour chat qui a explosé en se retrouvant au sol, partageant leur nouvelle piscine avec des revues plutôt à destination de jeunes femmes. Lingerie spéciale rentrée et conseils pour faire chavirer le coeur de l'heureux élu. Ok, on ne juge pas, je suis en très mauvaise posture pour ça de toute façon.

Aaaah nan nan nan c'est quoi ce scenario catastrophe ?!! Et comme si tout le malaise dû à la situation ne suffisait pas, il faut que celui que je cherchais à éviter se pointe dans notre direction. Pas étonnant. Pourquoi est-ce qu'il faut qu'il bosse pile ici ?!!! C'est le bordel dans ma tête et la panique menace de prendre définitivement le dessus. Ce qui me sauve, c'est de me rappeler qu'à l'époque où on se "côtoyait", je n'avais pas la même tête. Ouais, voilà, pas de raison qu'il me reconnaisse. Mais je croyais qu'il était sensé rester en Europe ? Ok, c'est pas le moment de réfléchir à ça. N'empêche, Akira il y a quelques jours, maintenant lui, ça commence à faire beaucoup.

- "Ah hum ça c'est..."

Ouais, bah j'ai beau essayer de rationaliser au max pour éviter de partir en courant, c'est que mon cerveau est déjà largement trop occupé pour pouvoir réfléchir à une histoire à raconter pour tenter de m'en sortir. Surtout que mamie continue à râler et n'a pas l'air de vouloir être de mon côté.

- "Les jeunes, toujours à courir dans tous les sens. Et puis à empiler toujours plus d'articles faut pas s'étonner de ne rien y voir. Aucune jugeote et voilà le résultat. C'est pas à ce rythme là que mes chats vont manger."

Je crois bien que c'est la première fois que je me fais engueuler pas une vieille dame... Trop triste.

- "C'est de ma faute je suis désolé, j'allais trop vite et je ne vous avais pas vue j'aurais dû faire plus attention."

Bon, elle n'a pas l'air contente mais au moins elle n'a pas l'air blessée. J'évite de trop regarder le dégât par terre et reporte mon attention sur... Mora. Ouais, j'crois bien que c'était un nom du genre. Mais qu'est-ce qu'il fout ici ?! On ne peut pas dire qu'on se connaissait vraiment, mais de l'impression qu'il donnait à chaque fois qu'on s'est croisés, il n'avais pas l'air du genre de môme qui voulait passer sa vie à ranger des cartons dans un konbini !

- "Mais, heu, je vais nettoyer ne vous inquiétez pas."

Un nouveau coup d’œil au sol et l'idée de m'en approcher me donner plutôt envie de gerber finalement... J'espère qu'il va au moins avoir une paire de gants à me filer...

Aaaaah mais il est trop méchant !! Pourquoi je pouvais pas tomber sur un gentil qui m'aurait dit "pas de soucis vous inquiétez pas je vais m'en occuper !" ?! C'est trop injuste ! En même temps ça ne m'étonne pas tant que ça vu l'énergumène. Cela dit, je suis assez étonné de voir qu'il est carrément correct avec mamie. Bon du coup, c'est moi qui passe pour le méchant de l'histoire là !! Et ça, j'suis carrément pas habitué (surtout avec un type comme lui c'est quoi ce bazar ?!!).

Pffff je laisse échapper un long soupire pour essayer de faire redescendre un peu toute cette pression une fois que je suis seul. Ça ne va pas être le cas très longtemps alors c'est le moment de me conditionner pour la suite. Surtout que j'ai bien vu qu'il me matait un peu chelou. Ok, j'ai pas une dégaine des plus orthodoxes, mais ça me fait stresser tout ça ! Vivement que toute cette histoire soit réglée pour que je puisse me barrer bien loin et ne jamais remettre les pieds ici ! En plus il me parle comme à un gamin alors que j'suis plus vieux !!! Grr j'le déteste. Ou alors je déteste tous ces souvenirs qui continuent à revenir quand je pose les yeux sur lui. Dans tous les cas, je me sens affreusement sur les nerfs.

- "Ouais ouais, ça va j'ai compris, pas b'soin d'insister comme ça !"

Oups, il y a peut-être un chouia trop d'agressivité dans cette réponse. Pourtant normalement je me contrôle super bien ! Raaaah mais il y a beaucoup trop de choses qui ne vont pas en ce moment aussi !! Je sens tous mes muscles se contracter de plus en plus alors que je le vois s'éloigner avec ce que j'ai réussi à sauver de la chute. Inspiration. Expiration. Nan, ces stupides exos de respiration ne vont pas suffire.

Bon, ramasser. En reposant le regard sur l'immondice qui recouvre désormais le sol, il n'y a bien que les boites de capotes à ramasser là dedans. Pourtant sur ce coup, je préfèrerais largement juste m'éclipser sans rien emporter. Je pourrais peut-être retenter ma chance un peu plus loin ? Sauf que ça parait assez compromis avec l'autre chien de garde. Bon allez, après tout je n'ai qu'à ignorer totalement tout ce qu'ils peuvent bien penser de moi (de toute façon je ne risque pas de remettre les pieds dans le coin et donc de les croiser à l'avenir), récupérer mes articles, essayer de m'acquitter de cette saleté de ménage et m'éclipser.

Je regarde le seau. J'utilise la serpillère qui va avec pour saisir les différentes boites de préservatifs qui baignent dans la pâté pour chat (on ne remerciera jamais assez le film plastique, osef pour l'écologie) et en enlève un maximum pour pouvoir les prendre entre mes mains sans avoir envie de vomir. Ouais, ce n'est plus que de l'eau, ça va sécher... Auto-persuasion, processus en cours. Ça ne marche pas des masses et je me sens toujours aussi crispé alors que j'apporte le reste des marchandises sauvées vers la caisse. Pas de panique, ça va bien se passer...

Bah ouais, carrément que ça pue, mais qu'est-ce que j'y peux si la vieille préfère la compagnie de chats à celle des hommes ? C'est sûr que si elle avait prévu de quoi préparer des onigiris ça n'aurait pas eu la même odeur ! J'espère vraiment que ça va finir par partir. Comment je vais leur refiler ça aux autres moi sinon ? Peut-être qu'en les laissant toute la nuit sur le rebord de la fenêtre ça ira mieux demain ? Ou en faisant cramer de l'encens juste à côté ?

Je n'ai pas trop le temps de réfléchir à mon plan anti puanteur que le jeune casse pied (parce que je suis un garçon poli) recommence à m'agacer. Je sais, ce n'est pas dans mes habitudes, mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir crispé à chaque fois que je pose les yeux sur lui. Et c'est encore pire quand c'est l'inverse. Alors de devoir continuer à rester aussi proche de lui alors que je voudrais juste prendre mes jambes à mon cou, c'est difficile.

Presque je préfèrerais qu'il me laisse nettoyer tout seul en repartant s'occuper de je ne sais quoi plus loin dans les rayons. Mais évidemment, ça ne se passe pas du tout comme ça. Je suis en train d'enlever comme je peux les boites à moitié vidées pour les mettre dans un sac poubelle, mais l'employé du mois revient. Avec des questions qui ne me plaisent pas du tout !

- "Eh, c'est pas du tout de la contrebande ! On organise une soirée avec des potes, on prévoit juste ce qu'il faut pour tout le monde, normal."

C'est quand même vachement pratique d'être capable de balancer la première excuse qui me passe par la tête avec un parfait aplomb. Et surtout d'avoir toujours des excuses prêtes à l'emploi en fait. Comme si j'avais fait un petit stock tout au long de ma vie, dans lequel je n'ai qu'à piocher quand j'en ai besoin. En fait, après réflexion, c'est carrément probable ! Oui, donc voilà, bientôt grosse fiesta.

- "J'sais pas quel âge t'as, mais j'suis sûr que tu dois savoir c'que c'est. Faut bien quelques stocks pour accueillir tout le monde."

Je ne sais pas si c'est parce que je suis content de ma trouvaille, mais je me sens soudain soulagé. Enfin, j'irai pas jusqu'à dire que je suis à l'aise dans mes basques non plus, mais j'ai comme un léger poids en moins. Par contre, je suis toujours aussi peu enthousiaste à l'idée de m'attaquer à ce qui repose désormais au sol. Allez, plus vite ce sera fait, plus vite je pourrais me tirer.

Je ne sais pas trop dans quel genre d'histoire je m'embarque encore mais eh, vous savez c'qu'on dit, on arrête pas si facilement un train qui est lancé et là, je suis parti sur la ligne à grande vitesse j'crois bien. Alors pas question de changer de cap maintenant. Il veut faire le fouineur, je vais lui en trouver des réponses, pas de soucis. Et ce ne sont sûrement pas ses petites provocations qui risquent de piquer mon égo bien difficile à dénicher.

- "Ahah ouais, c'est vrai que je m'suis un peu faire avoir sur c'coup mais, bon, c'est souvent c'qui s'passe quand on perd un pari... Mais j'compte bien gagner la prochaine fois !!"

Je prends mon air tout gêné, comme si je pouvais effectivement avoir un peu honte d'avouer cet échec fictif.

- "Et dis donc, ça a l'air de bien t'intéresser quand même cette "sacrée soirée" ! On se rejoint chez un pote, ses parents sont pas là ce week end. Je t'aurais bien proposé de venir mais... T'as l'air un peu jeune pour ça !"

Petit sourire légèrement provocant, ça m'arrange évidemment pas mal ! Non mais parce que si j'lui proposais de venir (pour la forme) et qu'il acceptait je serai mal barré ! Là, c'est la bonne excuse toute trouvée. Et je sais très bien qu'il est plus jeune que moi (on me l'a bien mis dans la tronche à l'époque) donc, pas de risque !

Bon, j'arrive peut-être à garder mon sang froid et le fil de la conversation, ça n'empêche que je ne me sens vraiment pas bien à être aussi proche de ce mec depuis si longtemps. Plus on parle, plus les risques augmentent. Et je sais bien qu'il n'a pas le profil enfant de chœur malgré sa tendance à venir en aide aux mamies bousculées. Alors forcément, même si la tâche est franchement dégoutante, je m'active et ne fais pas semblant (mais c'est vrai que ça éclabousse bien la pâté...). Et il y en a un qui n'a pas l'air bien plus à l'aise face à ce spectacle.

- "Ahah ouais, enfin, on sait quand même se gérer jusqu'à trouver les chiottes normalement ! T'auras aussi les bons réflexes un jour, t'inquiète ça viendra."

Petit air légèrement provocant qui sous entend très clairement que ce n'est qu'un gosse et qu'il ne sait par conséquent pas très bien de quoi il parle. Ouais je sais, je devrais éviter de jouer sur ce terrain là, je n'ai pas le moindre doute qu'il le connait parfaitement et qu'il n'est pas du genre à se laisser déstabiliser facilement mais... Ok, peut-être que mon self control est légèrement émoussé. De toute façon, la partie nettoyage avance bien, je devrais bientôt pouvoir juste me barrer et me contenter de ne plus jamais remettre les pieds ici !

INTERVENTION PNJ

Alors qu’ils sont tous les deux en train de nettoyer le sol – cette flaque est immonde – trois chats réussissent à entrer par la porte automatique du konbini pour venir manger le délicieux festin qui se trouve sur le sol.

Eh bah, y a pas à dire, il a toujours autant mauvais caractère. Il est jeune, c'est tout, c'est pas comme si je l'insultais. En tout cas, le respect des aînés ce n'est clairement pas un concept qu'il connait. Vraiment, je ne vois pas ce qu'il fait à bosser dans un endroit pareil. Il serait beaucoup plus à sa place là d'où il vient. Ou alors il a fait une grosse bêtise et son père a voulu le punir ? Ce ne serait pas si improbable finalement.

Heureusement, un peu de douceur est envoyée au milieu de cette ambiance pesante, sous la forme de boules de poils ronronnantes. Trop, mignooooon !!!! Je sors tout aussi vite de mes pensées moroses en voyant le premier matou rappliquer, rapidement suivi de ses potes.

- "Oooooh mais t'as faim toi !! Vas y, profite en c'est cadeau !"

Je profite évidemment du fait que grognon soit parti chercher je ne sais quoi pour parler au chat. Mon image auprès de lui est déjà totalement foirée donc je ne serai pas à ça près, mais autant limiter la casse. D'ailleurs, il ne manque pas de râler en revenant.

- "Bah au moins ils vont tout  nettoyer, y aura plus qu'à passer un petit coup derrière au lieu de s'embêter à tout ramasser."

Et puis eux ils seront contents, tout le monde y gagne, je ne vois pas le problème.

Comme je ne compte clairement pas approcher ces chats autrement que pour leur faire des câlins (mais seulement une fois qu'ils auront terminé leur dîner évidemment), je laisse l'employé faire comme bon lui semble sans bouger le petit doigt. Déjà je suis de bonne volonté je veux bien filer un coup de main et ne pas faire le client relou (alors que je pourrais tout à fait me barrer en lui laissant ses articles et retenter le coup un peu plus loin), faut pas trop en demander non plus !

Sauf que si je ne comprends rien à ce qu'il baragouine dans cette langue étrangère, j'entends en revanche très distinctement ce nom qui ponctue sa phrase. De quoi me faire rater un battement de cœur et lui lancer un regard de biais méfiant. Il a l'air très concentré sur les chats. Peut-être que Matsuda a une signification en espagnol ? Ou alors il a dit autre chose qui s'en rapproche ? J'essaie tant bien que mal de trouver une explication rationnelle pour retrouver un peu plus contenance et limiter la trahison de mon visage. Après tout, s'il m'avait reconnu, il n'aurait sûrement pas laissé trainer ce petit jeu aussi longtemps...

- "Laisse tomber les chats, tu n'arriveras pas à les virer avant qu'il n'y ait plus une miette à lécher. Tu risques juste de finir tailladé. Et j'sais pas trop où ils trainent, mais vaut mieux éviter de trop t'approcher de leurs griffes si tu ne veux pas choper je ne sais quelle infection."

Ce n'est pas compliqué de deviner en les regardant qu'ils n'ont rien à voir avec ces chats de salon à l'hygiène irréprochables et qui ont le droit à leur visite régulière chez le vétérinaire. Je me recule donc légèrement pour les laisser terminer sans pour autant laisser croire que je veuille me barrer.

- "Pourquoi tu bosses ici ? Ça n'a pas l'air de t'enchanter."

Bah ouais, autant essayer de faire la conversation en attendant que le ménage de surface soit effectué. Et tenter d'en apprendre un peu plus au passage.

Je ne sais pas bien à quoi est dû ce léger changement d'attitude que je perçois, mais je ne vais pas me plaindre de le sentir moins agressif. J'ai occupé bien assez de jobs de bas étage depuis que je suis arrivé à Kobe pour comprendre à quel point ça peut être frustrant. Alors forcément, quand il présente de pseudos excuses, je ne peux plus lui en vouloir. Bah oui, je suis comme ça.

- "Désolé, c'était pas pour te narguer ou te faire sentir mal. Moi aussi j'ai dû attendre avant de pouvoir en acheter, ça viendra !"

J'ajoute ces mots avec un léger sourire. Je ne doute pas qu'il sache parfaitement se débrouiller pour pouvoir malgré tout faire la fête et pas uniquement avec du soda. Mais je sais aussi à quel point c'est frustrant d'être dépendant de quelqu'un d'autre quand on n'a pas encore l'âge requis. Bon par contre quand il commence à dire qu'il a l'impression de me connaitre, là ça devient tout de suite beaucoup moins agréable. Évidemment que je ne peux pas lui dire qu'on s'est déjà vus.

- "Je suis étudiant actuellement, mais ça m'arrive régulièrement d'enchainer des petits boulots selon ce que je trouve pour pouvoir payer mes études. Je sais ce que ça fait de passer une sale journée. Et, je suis désolé pour ça..."

J'indique le sol d'un petit signe de tête. Sol qui a désormais été quasi nettoyé à la perfection par les matous qui commencent à venir ronronner à nos pieds sûrement pour réclamer du rab.

- "En revanche, je ne crois pas qu'on se soit déjà croisés. Enfin, si c'est le cas, je ne m'en souviens pas."

Si, évidemment que je m'en souviens un peu trop bien.

- "Allez file moi la serpillère je vais passer un coup avant d'y aller !"

Maintenant que plus aucun morceau n'est présent par terre ça va être beaucoup plus simple. Et je vais enfin pouvoir y aller parce que tout ça commence à être difficile à supporter pour mon pauvre cœur !

Est-ce que je peux vraiment lui dire où j'étudie ? Si je n'ai pas très envie qu'il puisse savoir où me retrouver, en partant de l'idée qu'il m'ait réellement reconnu, je me dis finalement que le simple fait qu'il soit déjà au courant que je me trouve à Kobe est bien plus embêtant que d'avoir le nom d'un établissement. Et surtout, il n'y aucun nom d'université du coin qui me vient instantanément, alors il faudra se contenter du classique.

- "Je suis à l'université de Kobe High School. Et c'est pas franchement donné, alors sans parents pour aligner les billets derrière, il faut bien trouver quelques options pour payer tout ça !"

Je me demande d'ailleurs toujours ce que lui-même fout là à bosser dans un konbini. Son père doit avoir bien assez de fric à lui filer. Mais évidemment, il n'est pas question que je pose une question aussi indiscrète. Je préfère poursuivre sur un terrain moins risqué. Notamment en lui proposant mon aide pour cette serpillère et pouvoir partir au plus vite. Même si je me sens un peu moins à cran que lors des premières minutes, on ne peut pas dire que je suis ultra à l'aise dans mes basks actuellement.

J'attrape le manche du balai et commence à frotter le sol pour en enlever toute la saleté qui s'y est étalée. Je hoche simplement la tête en signe d'acquiescement lorsqu'il me dit aller changer de tablier, mais évidemment, dans ma tête je vois seulement que le champ est libre. Ok, j'ai peut-être quelques remords à le laisser avec tout ça. J'enlève donc très rapidement le plus gros, repose le balai, et après un dernier petit coup d’œil en direction de la réserve où Pablo a disparu, je me dépêche de passer la porte d'entrée.

- "Désolé, mais je ne pouvais vraiment pas rester plus longtemps..."

Je chuchote tout bas ces mots d'excuse qui ne parviendront jamais au principal intéressé. Non, ça devient trop compliqué. A la base, je voulais juste me faire un peu de fric sur la revente moi, pas me retrouver face à un gars qui par je ne sais quel miracle m'a connu il y a plusieurs années. Ce serait beaucoup trop embêtant qu'il finisse par découvrir la vérité. En partant du principe qu'il n'a effectivement pas compris. Tant pis pour ce soir. Je reprends la direction de l'école, c'est beaucoup plus prudent que je reste seulement dans ma chambre.

#Terminé