Samedi 23 juin, 11h25

L’avantage de traîner dans les pattes d’à peu près tout le monde, c’est qu’on apprend plein de choses utiles ! Du genre « La salle machin de l’université ferme mal, si tu utilises telle méthode tu peux l’ouvrir en une minute et devenir le maître des lieux ». Ena est joueur, aussitôt dit aussitôt tenté. Il avait pu vérifier la véracité de la légende. Pour sa défense, la matinée s’annonçait rude : études avec Hiro à la bibliothèque à peine sorti du lit, pluie, humidité. Si on enlève « Hiro » de cette phrase, il y a tout ce qu’il faut pour déprimer. Alors, quand son frère avait voulu retourner dans leur chambre pour s’adonner à des exercices supplémentaires, Ena en avait profité pour lui filer compagnie. Une danse pour chasser la pluie, ça ne peut pas se refuser, hein ? Même pour Hiro ! Son sac filé à son jumeau, il avait détalé jusqu’au bâtiment principal de l’université pour aller s’entraîner. Discret comme une souris, il s’y était faufilé, feignant l’innocence en découvrant les couloirs, jusqu’à trouver la dites salle. Merci le plan du campus dessiné à la va vite par le sempai altruiste qui leur avait filé l’astuce.

Une fois devant la porte, Ena jubile. Qu’on se le dise, il y a toujours un côté excitant à se détourner de l’autorité. Il n’a rien à faire là, encore moins un samedi, mais un petit coup de génie ni vu ni connu et HOP : le sésame s’ouvre. Le règlement ? Hm ? C’est quoi déjà ? Il entre dans la salle de classe et en referme la porte avec précaution. Il y a peut-être des monstres qui surveillent ici aussi, mieux vaut être prudent. La salle ne paye pas de mine, conçue pour un petit groupe de travaux pratiques à priori. Il s’attendait à mieux. Ça ressemble à peu près à ce qu’ils ont au lycée, La déception s’évapore bien rapidement néanmoins, Ena soulève tables et chaises à la force des bras pour s’échauffer et déplacer ce qui l’encombre sans bruit. Il fait de la place au centre pour se couronner Roi. Ça y est, il est le maître des lieux. Les airpods dans les oreilles, il pose son téléphone un peu plus loin, y lance la musique et attention mesdames et messieurs, le spectacle peut commencer !

Il ferme les yeux pour se laisser imprégner de la musique et échauffe ses articulations. Un petit mouvement d’épaule par ci, un autre par là. Quelques petits sauts sur la pointe des pieds et il est paré ! 1,2,3… 4,5,6 il tournoie, élance les bras l’un après l’autre, balance son corps en rythme et commence à s’emparer des lieux en dévorant l’espace de ses pas. Le tempo ralenti pour mettre à l’honneur le chanteur, il l’imite, laisse la lenteur envahir ses gestes, en profite pour travailler ses mouvements de bassin. Le refrain reprend, la guitare hurle et il se met à accélérer, emporté par les vibrations musicales. Le monde autour n’existe plus, lui non plus, c’est comme ça qu’il se sent vivant quand Hiro n’est pas à côté de lui.

Samedi 23 juin, 11h25

Il danse comme un diable. La salle de classe n’en est plus une, elle devient une scène dont les planches ont l’honneur de soutenir sa prestation. Il se déhanche, ose quelques pas qu’il ne maîtrise pas encore, en improvise d’autres. Dans son esprit, le public est on fire. Il l’acclame, en redemande et lui en bon samaritain, il s’exécute : il tournoie sur lui-même et… « AAAAH ! ».
Putain de mer...credi ! Ena se tient le cœur qui bat à mille à l’heure dans sa poitrine sous la frayeur qu’on vient de lui faire. Il va lui sortir de sous la peau sinon, c’est sûr ! Bwaaaaah, bordel de bordel, y’a pas idée de faire flipper les gens comme ça ! Elle est cinglée cette… étudiante ? Prof ? Oh. Elle est vachement jolie avec ses grands airs et ses yeux sévères. Une de ses mains s’appuie sur la table la plus proche de lui pour le soutenir, il éteint ses airpods et soupire. C’est l’heure des complaintes : « … Vous voulez ma mort, madame ??? Je suis un peu cardiaque, vous savez ?? C’est dangereux de me faire ça ! »

Alors, bien sûr, il ment. Son p’tit coeur se porte pour le mieux et c’est plus pour la stylistique que sa défense parce que s’il était réellement cardiaque… il ne pourrait pas danser comme il vient de le faire. Il suppose tout de même un minimum d'intelligence à cette beauté divine. Ce qui ne l'empêche pas de tenter de la baratiner pour autant: « … La porte était ouverte alors je m’y suis installé pour m’entraîner à danser… Il pleut souvent en ce moment et c’est pas évident de trouver un coin tranquille alors… ça tombait bien. J’avais pas le droit ?... ».

Il prend un air inquiet, le dos bien droit, la langue qui ne fourche pas. Elle est jolie comme un coeur la demoiselle mais une prof reste une prof… et PIRE encore, peut-être que c’est l’élue des démons de couloirs, ceux de la patrouille des enfers. C'est pas le moment d'avoir une heure de colle, il essaye de faire croire à son père qu'il s'est racheté une conduite.

Samedi 23 juin, 11h25

Les pupilles d’Ena se dilatent. La dame l’intrigue en plus d’être jolie. Elle gagne tout son intérêt à rentrer dans son jeu. Des profs ou des surveillantes comme ça, il n’y en a pas tous les coins de rues ! Est-ce que ce ne serait pas plutôt une étudiante finalement ? Si c’est le cas, c’est son jour de chance ! Il a peut-être trouvé sa perle rare. La belle s’assoit sur un coin de table, elle minaude, le met au défi. Il sent le danger, sa beauté pourrait bien être un leurre pour l’attirer dans ses filets, sa complaisance un moyen de l’y piéger. Le problème c’est qu’Ena aime les défis et il n’hésite jamais à y perdre des plumes.

« Maintenant que vous le dites… Je me sens encore moins en sécurité. Est-ce que vous savez le nombre de fois par jour où je me retrouve seul dans une pièce ? »

La main sur le cœur, il offre sa meilleure prestation d’acteur. Si elle veut jouer, il peut lui donner la réplique. « Je pourrais mourir sous la douche ou pire… dans les toilettes ! Mieux vaut qu’on ne me laisse plus jamais tout seul. ». Il s’élance, rejoint sa table pour y accoler l’une de ses mains. « C’est gentil de vous inquiéter pour moi mais vous n’êtes malheureusement pas des plus indiquées pour m’aider, si vous m’accompagnez jusqu’à l’infirmerie je pourrais ne pas y survivre. Vous êtes si belle… c’est plus dangereux que la peur, je sens mon coeur qui est prêt à lâcher, madame »

Il lui montre ses mains, faussement tremblantes.

« Comment vous ferez si je meurs à cause de vous, hm ? J’en tremble de… »

Sous ses pieds le sol fourmille. Oh mais... c'est vrai qu’il tremble ! Non... Non, non, ce n'est pas lui, c'est la pièce qui pète les plombs ! Il sourit à pleines dents, ses yeux se plantent dans ceux de la jolie jeune femme.

« … wow… regardez, vous en faites trembler la salle entière ! ».

Les feutres et l’effaceur du tableau se jettent dans le vide, les tables commencent à faire la course vers la sortie, la fenêtre se secoue si fort qu’on dirait qu’elle va leur exploser à la figure. Ena rit, un tremblement de terre, là, maintenant, ça ne pouvait pas mieux tomber !

Samedi 23 juin, 11h25

Ses sourcils s’élancent vers le ciel. Ôh-ôh ! Madame la beauté fatale ne rigole pas, dis donc ! Ce n’est pas qu’un petit air, elle sait faire preuve d’autorité. Elle lui agrippe le bras comme s’il lui appartenait et le tire sans prévenir. Ena doit bien reconnaître que ça n’est pas déplaisant. S’il suffit de faire ce qu’elle lui demande pour la combler, comment refuser ? La belle inconnue lui file une première page de son mode d’emploi et il compte bien l’apprendre par coeur. C’est toujours comme ça qu’on commence : une page après l’autre. Il sourit, récite sa première ligne avec complaisance : « Tout ce que vous voulez ma Dame ! »

Malgré tout, son coeur s’emballe. Le décor a activé son mode vibreur, il en a le tournis. Son équilibre est fragile, il lui fait jouer de son centre de gravité pour tenir sur ses cannes. La magnitude n’est pas des plus catastrophiques, les murs tiennent toujours en place, le plafond ne semble pas les menacer non plus, pour l’instant. Il n’empêche qu’il ne peut dissiper la vague d’inquiétude qui le saisie au ventre… Sa sécurité, il s’en fiche pas mal. Par contre, il aimerait être sûr qu’Hiro va bien. Les chaises tombent des tables les unes après les autres, elles leur offrent un concert dont il se passerait bien : ça déchire, surtout les tympans.

Troublé, Ena laisse la Majestueuse faire de lui une poupée de chiffon. Il l’autorise à le trimballer de partout, suit ses pas. Mais rien ne sera facile pour la demoiselle, l’environnement s’érige contre elle. L’armoire du fond de la classe s’ouvre, elle doit avoir le tournis elle aussi puisqu’elle renvoit au sol tout son contenu. Les cahiers, les pots de crayons, les stocks de papiers, tout le matériel se fait expulser. Le tout se confronte à la gravité. Certains objets les éclaboussent. Ena manque de tomber en évitant à sa jambe, de justesse, un projectile. « Wouah ! Attention, on nous attaque ! » lance-t-il, amusé. Mieux vaut en rire qu’en trembler. La terre fait déjà ça suffisamment bien.

Dans l’allée de tables qu’ils tentent de traverser, la moitié des chaises est tombée, il leur faut enjamber quelques cadavres. En Gentleman, Ena prend la main de sa demoiselle en détresse, lui propose un appuis quand vient son tour. Il faut dire qu’un rien suffit à les déséquilibrer. D’ailleurs, il finit les fesses par terre. Dans sa chute, il embarque la jeune femme. Arf ! Il était si près de l’objectif, quelle plaie ! Rien de cassé heureusement mais ça ne saurait tarder, le reste des chaises qui se retiennent sur les tables menacent elles aussi de céder à la panique. « C’est pas le moment de me tomber dans les bras, Madame » plaisante-t-il. Il essaye de se remettre debout mais impossible, la gravité n’est plus de son côté. Tant pis, il continue à quatre pattes. D’un signe de la main, il invite la Mystérieuse à faire de même. Sa voix s’élève pour gravir le bruit, il la provoque : « Allez, on y est presque ! Vous deviez pas me sauver ?? »

Ca aurait pu être drôle si les dernières chaises n’avaient pas décidé de les écrabouiller.  

«AAH, SHIT. »

Il esquive de justesse l’une d’elle et se jette sur la jolie jeune femme pour la protéger de son petit corps. Des bleus ou des commotions, ça vaut bien un câlin gratuit !

Samedi 23 juin, 11h25

Le sol gronde, tout se casse la gueule, c’était marrant cinq minutes mais maintenant Ena commence à sérieusement s’inquiéter pour Hiro. Heureusement, la dame sent bon. Son odeur est réconfortante. Y’a quand même plus désagréable que de passer un tremblement de terre allongé sur une jolie femme qui sent bon. Il en est presque déçu quand l’apocalypse commence à se rendormir et que la professeur l’encourage à se relever. C’est qu’elle cherche à le rassurer en plus… Elle gagne 100 pts à son lovemeter ! Hormis Hiro, personne n’arrive à le rassurer et il ne sera tranquille que lorsqu’il aura retrouver son frère mais il apprécie l’effort. C’est rare qu’on se soucie de lui. Il obéit sagement en contrepartie. La détermination dans les yeux de la jeune femme le fait sourire, Ena lui prête gentiment sa main. « J’compte sur vous, madame ! »

Il veut bien être la demoiselle en détresse. Ça ne le dérange pas. Il joue les Indiana Jones en passant entre les débris à sa suite.  Sa chevalière est jeune, belle comme un coeur. Elle a du baigner dans une marmite de charisme à la naissance et elle a l’air d’être du genre à savoir ce qu’elle veut. Hmm… Il se demande, quel type de professeur elle pourrait-être ? Il ne la voit pas du tout prof de math, encore moins d’histoire-geo – il faut être chiant ou perché pour finir prof d’histoire géo – peut-être qu’elle enseigne le japonais ? Naaaan, derrière ses grands airs, elle n’a pas l’air si docile. L’enseignement du japonais est trop traditionnel, trop rigide… Raaah, il est curieux !

« Aaaah… J’suis soulagé, vous pouvez pas savoir comment ! » il soupire en lui lâchant la main, une fois dehors. Ce n’est pas faux mais il en fait encore trop. Tout ça pour faire passer la pilule, l’enrober de crème, quand il fond dans ses bras pour l’enlacer. « Merci beaucoup Madame, j’ai cru qu'on allait y passer ! »

Bon, il y va un peu fort mais autant profiter de la crise comme il se doit ! Il la relâche, lui fait un grand sourire victorieux et s’enfuit. Au pas de course, il lance derrière lui : « Faites attention à vous quand même hein ! Ça pourrait reprendre ! Et à bientôt j’espère ! ». Il s’arrête au fond du couloir, les baskets qui grincent sur le parquet. « Quoique… Vous êtes trop jolie, j’ai peur de me retrouver dans un tremblement de terre à chaque fois que je vous vois ! » pour appuyer son argument, il pose une main dramatique sur son coeur, feignant la crise cardiaque. Puis, il disparaît en tournant à gauche. Elle ne lui a pas demandé son nom, mieux vaut profiter de la panique et de la surprise avant qu’elle ne le réalise. Maintenant qu’il a échappé à tous ses ennuis, il ne lui reste plus qu’à s’assurer qu’Hiro va bien.