BOMBE !

Oliver adorait Kobe. La ville fourmillait de vie, d’activités intéressantes, de lieux qui ne demandaient qu’à être découverts et de liens qui ne demandaient qu’à être créer. Les étudiants de l’université provenaient des quatre coins du globe, tous déterminés à parfaire leurs connaissances en japonais et à profiter pleinement du cadre idyllique de l’établissement et de la qualité supérieure de ses enseignements. Entre la ville qui semblait ne jamais se reposer, et l’université pour laquelle rentrée semblait être synonyme de renouveau (tout s’agitait, tout s'accélérait, les activités reprenaient), Oliver avait l’impression d’être entraîné dans un flot constant de mouvement, un remou qui ne le submergeait peut-être pas, mais avec lequel il fallait composer.

C’était tout ce qu’il avait toujours espéré, en intégrant une telle université. Se confronter à la vie, la vraie, au cœur de ce pays qu’il affectionnait tant. Il ne regrettait pas son choix (et de toute façon, c’était un peu tôt pour ça alors que l’année commençait à peine), adorait partir à la découverte de cette ville et de cette faculté qui l'accueillaient à bras ouverts, mais parfois, comme aujourd’hui… Il avait juste besoin de se retrouver un peu seul avec ses pensées.

Oliver adorait se sentir comme faisant partie d’un tout. Il adorait être au contact des autres, adorait apprendre à connaître ses nouveaux camarades et adorait, plus que tout, être enfin en mesure de mettre en pratique ces années d’apprentissage d’une langue dont les subtilités lui échappaient encore. Il n’aurait pas pu être plus heureux, et pourtant, étrangement, sa solitude lui manquait.

Il n’aurait jamais pensé que ce soit possible : après tout, il détestait être seul. Seulement voilà; après avoir passé des années à vivre seul, d’abord avec ses parents souvent en déplacement, puis dans son petit studio universitaire, Oliver avait développé des automatismes qui n’avaient plus lieu d’être maintenant qu’il vivait en colocation. Sa chambre n’était pas vraiment sa chambre, et même s’il faisait de son mieux pour passer pour le colocataire parfait, ce n’était pas chose facile. Et parfois, juste parfois, il avait envie de se retrouver seul pour… pas forcément pour méditer, il avait essayé et ça ne lui réussissait pas, mais pour se recentrer sur lui-même.

Et quel meilleur endroit que la piscine, à un horaire habituellement boudé par les autres étudiants, pour faire ça ? La réponse était évidente : il s’agissait de la plage en soirée, mais le démarrage sur les chapeaux de roue ne lui laissait pas vraiment l’occasion de faire un crochet par la mer en soirée. Bientôt, quand il aura pris le rythme. Mais pas maintenant. Alors, la piscine était la deuxième meilleure option. Il partirait quand les athlètes arriveraient, ou ferait quelques brasses pour se donner bonne conscience, mais pour le moment, il avait le bassin pour lui tout seul.

Perdu dans ses pensées, concentré uniquement sur le calme qui l’envahissait lorsqu’il se laissait porter par l’eau, il n’entendit pas l’avertissement lancé dans sa direction. Ou plutôt, il l’entendit, mais il ne réalisa pas qu’il lui était adressé. La voix semblait lointaine, très lointaine, et il n’y avait de toute façon jamais personne ici. Peut-être un écho de son subconscient ? Ou un souvenir qu’il n’arrivait pas à replacer ?

Contemplant ces possibilités en silence, il écarquilla les yeux lorsqu’il sentit un remou le déplacer. Mauvaise idée, car une vaguelette choisit ce moment précis pour le frapper à la figure. Déconcentré, il perdit sa position de repos et regarda, interloqué, la nageuse qui remontait à la surface près de lui pour le saluer gentiment, comme si elle ne venait pas tout juste de lui envoyer un paquet d’eau au visage. Impossible qu’elle ne l’ai pas remarqué, il était seul dans le bassin. Elle avait peut-être loupé son plongeon et s’était fait mal ? Non, elle ne sourirait pas comme ça si c’était le cas. Du genre farceur, donc ? Très bien.

Oliver chassa l’eau de son  visage et se tourna vers la demoiselle pour lui répondre tranquillement.

-    Enchanté, dit-il en inclinant légèrement la tête, Ou plutôt…

Sans plus de cérémonie, il balaya rapidement la surface de l’eau de sa main droite, restée à flot, envoyant par la même occasion une vague en direction de l’inconnue qui avait décidé de mettre un terme à son moment de paix. Bien sûr, avec ses lunettes elle ne risquait rien, mais c’était l’intention qui comptait, après tout.

-    Bonjour, répéta-t-il, souriant à son tour, parfaite copie de la demoiselle, Comment ça va ?

Oliver conserva son sourire poli et son air enjoué malgré son envie grandissante de soupirer. Elle n'était pas là pour jouer. Ah la la... Kobe et son élite étudiante avide de se mesurer aux autres et de sortir vainqueur de toutes les compétitions possibles et imaginables. Kobe et ses élèves modèles. Kobe et sa piscine qui n’était même pas utilisée à bon escient (à savoir, pour se relaxer et oublier ses petits tracas du quotidien). Qui, mais qui s'entraînait aussi tôt le matin ? Kazane Mitsugu, à priori.

L’Australien eut envie de se laisser couler et de disparaître, mais il n’en fit rien. Tant pis pour la relaxation; il n’allait pas chasser Kazane et, quitte à être deux à se partager le bassin, autant qu’au moins l’un d’eux soit content. Et puis, pas sûr qu’elle n’essaie pas de l’éloigner de l’eau à grand renfort de vagues en pleine figure à chaque passage, s’il déclinait son offre. Oliver commençait à se méfier des demoiselles de KHS, à force. La dernière fois, il s’était fait taper avec une branche, quand même. Ça commençait à faire beaucoup, et l’étudiant n’avait pas envie de finir assommé par une frite en mousse s’il prenait la poudre d’escampette tout de suite.

-    Un entraînement pour la compétition à venir ?, répéta-t-il, histoire d’être sûr de n’avoir pas juste eu un peu trop d’eau dans les oreilles, Là, maintenant, alors que le soleil est à peine levé ?

Il s’éloigna jusqu’à rejoindre le bord de la piscine pour y prendre appui. De là, il jeta un œil aux alentours : toujours désert. Puis, il reporta son attention sur Kazane, essayant de se rappeler s’il l’avait déjà vu lors des entraînements proposés par le club. À bien y réfléchir, le nom lui disait vaguement quelque chose. Mitsugu, Mitsugu… Ça lui reviendra peut-être plus tard. En attendant, il n’avait pas besoin de la connaître pour reconnaître la flamme qui brillait dans ses yeux sombres. La détermination.

-    Si tu comptes juste faire la course, je risque de te décevoir, rit-il, La compétition, c’est vraiment pas mon truc. Il est trop tôt pour se démener.

Amicale ou non, d’ailleurs. Oliver n’aimait pas se mesurer aux autres. Il n’avait pas besoin d’être meilleur que quelqu’un pour savoir qu’il était doué dans un sport. De toute façon, à moins de faire en sorte que toutes les personnes puissent concourir, le titre de “meilleur” était complètement arbitraire. Le meilleur pâtissier n’était que le meilleur parce qu’il avait fait partie d’une toute petite sélection de personnes, et avait été le meilleur d’entre elles. Est-ce que cela voulait dire que personne d’autre ne pouvait l’égaler ? Absolument pas.

C’était pareil pour les compétitions sportives. Oliver admirait les efforts fournis par les athlètes, et évidemment, il ressentait un sentiment de fierté en se classant parmi les premiers à l’époque où il faisait encore des compétitions de surf, mais c’était surtout parce que son père, immanquablement dans l’assistance, sautillait presque sur place en s’exclamant de joie. Finir sur un podium lui importait peu, au final.

-    Mais si tu veux t’entrainer… Alors pourquoi pas. À quoi tu pensais, au juste ?

D’un geste, il invita Kazane à lui faire part de son idée. Au pire, il pouvait toujours récupérer un chronomètre dans le stock de matériel et se poser sur le côté de la piscine pour l’encourager et lui donner son temps. D’ailleurs, il aurait peut-être dû commencer en lui proposant ça, s’il voulait profiter d’encore un peu de calme. Oups.