Opération : shopping ! | Beck

Le temps a filé trop vite. Bien trop vite. D’abord, la fin des cours. Ensuite, la fin des examens. Et finalement, les vacances. Moon a l’impression que ça fait une éternité depuis qu’elle a proposé à Beck d’aller faire un tour dans la boutique de thé au centre-ville. Si longtemps qu’elle a fini par avoir peur que cette dernière ne ferme. Et elles n’ont cessé de changer de date, encore et encore, jusqu’à arriver à aujourd’hui.

Mercredi quatre avril deux-mille dix-huit. Exactement un jour après la rentrée. Moon devrait être occupée à faire tout un tas d’autres choses. Comme travailler sur ses cours. Reprendre le trombinoscope de sa nouvelle classe. Regarder le film pour la classe de demain. Mais que nenni ! Moon n’a pas envie du tout de prendre ce temps.

Cette année, c’est décidé, elle prend du temps pour elle ! Surtout depuis qu’elle est célibataire. Plus possible de reposer toute sa vie sociale sur son couple. Elle doit sortir dehors, sortir la tête de l’eau, et sortir se faire des copines.  

Le prochain objectif ? Trouver un nouvel hobbie !

Le premier objectif ? Se faire une nouvelle copine.

Et voilà qu’elle attend Beck devant le magasin de thé, qui existe toujours, malgré ses craintes et ses peurs. Moon a choisi des habits détente aujourd’hui. Elle a troqué ses talons pour des baskets légères et élégantes, et son tailleur pour un pantalon en toile souple. Si les deux filles décident de faire un peu plus de shopping, elle veut être parée.  

Et quand elle voit Beck arriver, au bout de la rue, elle lui fait un signe amical. Quand la psychologue arrive à sa hauteur, Moon la salue :  

Bonjour, j’espère que vous.. Elle s’arrête. C’est que Moon a une certaine habitude du vouvoiement, qui ne semble pas toujours bien se marier avec la camaraderie. Tu vas bien. Et que tu as passé d’agréables vacances !

Elle sourit, en voyant que Beck la tutoie, tout de suite, sans même faire d’erreur. C’est peut être un peu naïf de sourire pour ce genre de détail, mais ça fait du bien, à Moon. Elle a l’impression que le début de leur amitié fonctionne, et que Beck a tout autant envie que Moon de se rencontrer. Ou alors, c’est seulement de la sympathie, beaucoup de bonhomie, une aisance sociale que Beck avait caché lors de leur entrevue dans le bureau de psychologie. Moon ne saurait dire. Et il serait préférable qu’elle n’y réfléchisse pas trop.

Oh ! Eh bien on est deux !

Pour la vie sociale, plus que pour la télé et les jeux vidéos. Maintenant que Ryuji est parti, Moon est vraiment toute seule. Tous les soirs, tous les week-ends, ainsi que toutes les vacances. Bon dieu que c’était long. Peut-être un mal pour un bien, mais pour le moment, qu’est-ce que ça fait mal !

Enfin, pour les vacances, c’était un peu plus dense. Je suis rentrée dans mon pays d’origine.

Finalement, Moon n’a pas osé participer à l’émission de télévision qui l’avait invité. Elle a pris peur, et s’est isolée dans sa famille. Néanmoins, ce retour aux sources lui a fait beaucoup de bien. Pouvoir rentrer chez elle lui a coupé la solitude de sa rupture. Dire qu’elle a pardonné à sa mère et à son père pour son enfance difficile serait exagéré. Mais c’était chaleureux de pouvoir remanger leur nourriture.

Je suis revenue juste avant la rentrée, ça fait bizarre, soudainement, de reprendre la vie normale.

Moon hoche simplement la tête. En fait, elle ne veut pas vraiment s’étendre sur la Corée. Ce qu’elle a laissé dans ce pays, c’est beaucoup de souffrance et de regrets. Ces vacances-ci, elle a appris à pardonner. Mais ce n’est que le début, le tout début. Il lui en faudra encore des allers-retours avant de se sentir en paix avec ses racines… Ainsi qu’avec ses parents.

Ses pauvres parents, elle y pense davantage depuis qu’elle les a rencontrés. Sa mère a été incapable de faire un deuxième gamin. Elle aurait aimé, pourtant. Et elle a essayé, de toutes les manières possibles. Mais rien n’y a fait. Moon n’a jamais eu de frère, ni de sœur. Alors quand elle a quitté sa famille, elle leur a tout arraché. Elle pourrait s’en vouloir, mais pas vraiment. Elle sait pourquoi elle est partie.

Le pire, c’est de devoir se faire à manger de nouveau !

Moon n’a jamais été bonne cuisinière. Même tout l’inverse. Elle n’est pas à l’aise avec une casserole dans la main. C’était plutôt Ryuji qui faisait à manger, lorsqu’ils rentraient tous les deux le soir. Avant, Moon mangeait des plats tout prêts, ou commandait. Mais elle a pris l’habitude de manger de la nourriture maison. Encore plus avec son retour chez ses parents. Mais pas possible de faire à manger aussi bien que maman. Ou que son ex.

Elles marchent un peu dans la rue. Le magasin de thé est à deux pas d’ici. Mais elles flânent, et ce n’est pas désagréable. Moon laisse courir son regard sur les devantures. Y’a quelques boutiques de fringues qui lui donnent bien envie.

Et puis, elles arrivent devant la boutique.

C’est ici !

Beck peut admirer une jolie petite boutique, aux airs d’antan, aux embruns riches de thé vert. Les vitres sont un peu teintées, mais on peut y voir de jolies allées, et une petite table de dégustation.

On entre ?

Les yeux de Moon se tournent immédiatement vers son amie. Là où Ryuji a échoué, peut-être que Beck pourrait y arriver : J’aimerai apprendre. Elle le dit d’une petite voix. Elle le murmure presque. En fait, Moon a un peu honte de ne pas savoir cuisiner. Ne pas être une femme parfaite, ça, c’est plus un problème, elle apprend à vivre sans être bonne à marier, par contre elle commence à sentir les limites dans sa vie quotidienne. Pourtant, elle n’est pas très bonne pour demander de l’aide. De l’aide, elle n'arrête pas d’en avoir de tout le monde, mais personne ne la lui demande. Alors, elle attend que ça puisse être du 50/50. Un donné pour un rendu. Oh, oui, ça arrangerait bien ce genre de situation.

Moon pousse la porte du magasin de thé. Qu’est-ce que c’est agréable. Cette odeur, la professeur de cinéma ne s’en lasse jamais. C’est drôle. Il y a une multitude de produits et pourtant, ce n’est qu’une simple odeur, volatile, légèrement amère, qui rappelle aux soirées de lectures et d’études. Moon apprécie aussi le café, mais elle préfère le thé pour ses sessions nocturnes. Alors, cette odeur a quelque chose de la madeleine de Proust.

Les deux femmes s’engouffrent dans le magasin, et s’arrêtent devant la table de présentation. Lavande et rhubarbe. C’est drôle, ça sonne comme le printemps. C’est vraiment une bonne occasion, ce mois d’avril, pour le goûter.

Non, je ne le connais pas.

Alors, Moon prend deux petits verres, de tous petits, ceux pour pouvoir goûter, et verse un peu de thé dans chaque. Elle en tend un à Beck. Ensuite, elle se concentre sur le liquide. Il est presque transparent. C’est que la lavande et la rhubarbe sont deux plantes assez pauvres en couleur lorsqu’elles infusent. Mais c’est également doux, comme le printemps. Elle sent l’odeur. Les arômes sont frais, légers, tendres. Puis, elle porte la gorgée à sa bouche. La chaleur lui prend le palais, mais la douceur du goût calme tout de suite le feu.

C’est réconfortant.

Qu’elle ne s’inquiète pas ! Qu’elle ne s’inquiète pas !! Qu’elle ne f*cking s’inquiète pas !!! Moon n'aurait pas pu rêver meilleure réponse que celle-ci. Beck semble lui proposer un coup de main, sans même que ça prenne cette forme-ci. C’est comme si c’était évident. Elle lui apprendra la cuisine, comme on sort faire du shopping. Et Moon est reconnaissante pour ce faux détachement. Elle n’a pas vraiment l’habitude de la simplicité des amitiés saines. Et si c’est à ça que ça ressemble, Moon veut ne plus vivre que ce type d’amitiés !  

En fait, Moon n’est pas une femme particulièrement solitaire. Elle a toujours trouvé des groupes auxquels s’attacher. Au lycée, elle était avec les impopulaires ; en licence, avec les bosseurs ; en Master, avec les fêtardes ; et en Doctorat, avec les mamans ex-fêtardes. C’est à ce moment-là qu’elle s’est sentie vraiment seule. Toutes ses copines ont commencé à ne parler que de linges et de couches culottes. Moon était la dernière encore dans les études. Qu’est-ce que ce fut long.

Parce qu’elle n’est toujours pas maman, leur amitié s’est petit à petit étiolé. Elles n’ont plus rien à se raconter. Il n’y a que Mariko, qui a gardé cette âme de bonne vivante. Mariko est encore à Tokyo, et Moon ne lui rend pas assez souvent visite. Elle devrait.  

Moon revient au réel, et hoche la tête. C’est mignon, ce que lui dit Beck. C’est mignon, parce qu’elle le ressent tout autant, mais n’aurait certainement pas osé le dire de cette manière. Moon n’est pas aussi frontale, surtout lorsque l’on parle de relations.  

Je me sens bien aussi, pas jugée, surtout. Malgré son travail de psychologue. C’est que ça fait du bien, et que ça change, aussi, pour moi. Merci beaucoup.

Moon termine sa phrase en souriant. Elle se sent reconnaissante d’être tombée sur une telle personne. Elle espère sincèrement que rien ne puisse entacher ce début d’amitiés. Après tout, elle en a vécu des histoires gâchées...

...Surtout par les garçons....

…Souvent par sa faute.

Pendant longtemps, Moon pense avoir aussi collé des étiquettes aux gens. Peut-être même qu’elle le fait encore, aujourd’hui. C’est qu’elle a appris à vivre comme ses amies. A regarder de travers les marginaux, les reculés, les inadaptés. Elle n’avait pas envie d’être hors du groupe, alors elle était le groupe. Pourtant, aujourd’hui, elle essaie de s’en émanciper. D’abord, parce que ça la rend triste, ensuite, parce qu’elle s’intéresse de plus en plus à la sociologie.

C’est sûrement grâce à Maya, ou peut être que c’est arrivé encore avant, mais Moon a commencé à lire, à lire, et encore à lire. Des écrits féministes, surtout. Et elle a beaucoup appris. Sur les constructions sociales, sur la place de la femme, sur sa place à elle, dans la société.

Je n’ai pas envie de casser du sucre sur leur dos, mais… Malgré tout, Moon aime toujours ses amies de Tokyo. ... Mon cercle d’amies. Enfin, mon ancien cercle d’amies ? Sont des mères de famille, avec un mari qui bosse, et des gamins à l’école. Et depuis qu’elles sont mères, elles ne m’ont plus vraiment laissé de place dans le groupe. Je ne suis pas comme elle, et parce que je semble pas vouloir devenir comme elle… Elle hausse les épaules, et ne termine pas la phrase. En fait, verbaliser tout ça lui fait du mal.

Elle termine, la voix un peu serrée. Et le pire, c’est que j’aimerai bien aussi, moi, avoir un môme et un mari. Juste que j’arrive pas à construire des relations amoureuses durables..

Moon aimerait dire que le poids de l’âge n’est pas pesant. Que d’avoir trente ans, quand on est une femme au Japon, ce n’est pas flippant du tout. Mais c’est tout le contraire. Être une femme, c’est effrayant. Que ce soit sa famille, ses amies, ou les médecins, tout le monde lui rappelle que les heures passent, et que bientôt, elle sera périmée.  

Périmée.  

Elle déteste cette impression d’être un vieux yaourt oublié dans un frigo. Pourtant, elle sait bien qu’il est encore possible d’avoir des enfants à quarante ans. Mais c’est plus difficile. Et Moon a peur de devoir se battre le temps voulu.  

Elle se demande si au final, il ne serait pas possible de faire un bébé toute seule. Pas forcément de la bonne manière. Pas forcément avec un don. Mais avec un garçon du coin, le premier venu, n’importe qui, juste histoire de ne pas vieillir toute seule.

Mais elle sait que c’est un caprice et qu’élever un enfant en tant que mère célibataire n’est pas une chose facile. Alors, pour le moment, elle préfère attendre. On ne sait jamais que ça fonctionne.

J’ai cru que cette fois, ça marcherait, vraiment. Mon cop-… Mon ex-copain m’a largué, y’a quelques semaines. J’ne peux même pas lui en vouloir. Il avait ses raisons, et elles étaient bonnes. Mais ça me ramène un peu à toutes ces questions, que j’avais petit à petit évacué de ma tête.

Ah ! L’amour.  

Moon attrape le sachet de thé devant elle. Elle le regarde. Comme si lire le nom de ce thé pouvait chasser toutes ses mauvaises pensées. “Brin d’été”. C’est joli, ça, brin d’été. Et ça donne envie à Moon. L’été dernier était un bel été, malgré la chaleur du mois d’août. Malgré sa climatisation cassée, aussi. Un peu de mangue séchée, du thé blanc. Moon pourrait aimer, si ce n’est pas trop sucré.

Elle repose le sachet avant de répondre à son amie.

En fait, je ne sais pas si j’ai envie de lui parler. C’était une drôle de relation, elle et lui. D’abord, parce qu’il s’agissait d’un flirt, ensuite parce qu’elle devait être cachée pour les étudiants et les collègues, et enfin parce qu'ils n'arrivaient pas à parler. On n’arrivait plus vraiment à parler, à la fin. Je crois que ça ne collait pas. Je n'arrivais pas à lui parler, et lui n’arrivait pas non plus. On a mal débuté cette relation, dès le début.

Moon hausse les épaules. A vrai dire, elle a peur d’être toujours dans ce même schéma. Elle sait qu’elle a peur de l’engagement, et elle devrait peut-être travailler dessus avant.

En fait, on l’a longtemps cachée. Et j’aimais bien ce statut un peu non-officiel. Quand ça a commencé à devenir sérieux, j’ai commencé à flipper, il l’a pas supporté.

Moon hausse les épaules. En fait, au final, ce qu’elle aimait bien, c’était cette adrénaline du départ. La fougue de leurs premiers rendez-vous. C’est quelque chose qui lui avait plu tout de suite, chez Ryuji. Le professeur de design avait une certaine facilité à se laisser aller à l’aventure, et à savoir la surprendre. Plus le temps est passé, et plus la routine est devenue lassante. Rapidement, l’exaltation de la séduction s’est évanouie. Peut-être qu’elle en attendait trop aussi, de lui. Moon a l’habitude d’être flattée par le regard des hommes, et elle ne trouvait plus vraiment ce jeu avec son amant.

Elle continue d’avancer, à travers les rayons, machinalement, elle attrape un sachet de thé vert. C’est un thé classique, un hojicha. Elle aime bien le côté iodé de cette variété. Un an ? Elle semble réfléchir. Non, même moins d’un an. Mais à la fin, ça paraissait assez long. Ils continuent d’avancer à travers les rayons. C’est drôle, Moon parle d’elle et de sa vie, sans vraiment y réfléchir. D’habitude elle est un peu plus réservée. C’est peut-être à cause des super-pouvoirs de psychologue de Beck ? Ou juste parce que la professeur de cinéma se sent en confiance.

Tiens ! Ce thé ! Elle pointe du doigt un mélange que Moon aime beaucoup. C’est un thé en vrac, un thé noir, assez âpre. Il est mélangé à des pétales de roses et à de l’amande. La douceur de la roses et la rondeur de l’amande rend l'amertume du thé noir bien plus agréable. Cet équilibre, Moon l’adore. Sens, c’est une merveille.

Et elle tend la petite boule à thé qui sert de diffuseur avant de se rendre compte de la réflexion qu’avait fait Beck un peu plus tôt. Des élèves ? Comment tu sais qu’on se cachait des élèves ? J’ai jamais dit que c’était un collègue. Il y a anguille sous roche. Ou alors elle est médium.

Oh.

Beck connaît Ryuji. Moon lâche le paquet d’Hojicha. Il tombe à ses pieds, dans un bruit mou. Ce n’est même pas extraordinaire. Et puis, rien ne tombe. C’est que Moon ne s’attendait pas à ce que les deux se rencontrent. A la rentrée, à l'orée des vacances. Et si plein de questions lui viennent, la professeur de cinéma n’ose pas les poser :

Pourquoi tu le connais ?
Comment tu l’as rencontré ?
C’était une rencontre professionnelle, ou d'avantage ?
Et qu’est-ce qu’il t’a dit sur moi ?
Pourquoi a-t-il parlé de ses sentiments ?
Vous êtes proches.

Mais non. Elle se contente de se baisser vers le paquet de thé, pour le récupérer, et de dire, avec un petit sourire - certainement faux, pour cacher ses émotions : Oups, qu’est-ce que je suis maladroite. Tu as raison, oublions les histoires d’ex, ce n’est pas vraiment important.

Moon préfère la fuite à la confrontation. Toute cette histoire avec Ryuji, elle préférait en discuter lorsque le concerné était anonyme. Maintenant que ça devient réel, elle ne sait plus vraiment sur quel pied danser. C’était beaucoup plus simple avant.

Bien sûr, Moon ne remet pas en question Beck. Elle a bien le droit de rencontrer qui elle veut. Peu importe la situation de leur rencontre. Elle est juste un peu vexée de se rendre compte que les cercles amicaux du corps professoral de Kobe High School soit si resserrés.

Elle avance dans les allées, mais maintenant ne semble plus vraiment avoir goûts aux différents thés. Peu importe leurs couleurs, et leurs odeurs. Alors, elle garde seulement le sachet d’Hojicha dans la main et demande à son amie : Tu veux prendre quelque chose, toi ?

Est-ce qu’elle a envie de faire quelque chose ? Moon louche sur son panier. En fait, elle n’aurait pas du discuter de Ryuji. Même pas de sa relation. C’est dingue comme ça la plombe. C’est que ça fait longtemps qu’elle ne s’était pas fait larguer la demoiselle, et ce sentiment de solitude, ça colle à la peau.  

Moon ne saurait pas vraiment dire si elle se sent honnêtement mal parce qu’elle a de l’égo, ou parce qu’il lui manque. Une chose est sûre, c’est qu’elle ne compte pas repartir tête la première dans cette relation. Regrets, ou pas regrets. Il peut dire tout ce qu’il veut à Beck, cela ne change pas grand-chose à leur relation. Elle était au ralenti, depuis des mois et des mois.

Et Moon essaie de se rassurer comme ça.

Si, je crois que j’ai bien envie de faire quelque chose d’autre.

Elles passent à la caisse, il faut bien faire durer le suspense. Moon range le sachet de thé dans son sac à main. C’est assez petit pour ne pas s’encombrer de sacs supplémentaires.

Enfin, pour le moment. Parce que Moon ce qu’elle souhaite faire :  

J’ai envie de me sentir bombe. J’aimerai bien trouver de nouveaux vêtements.

“Bombe”. Ce n’est pas une expression habituelle pour la professeure de cinéma. Elle est souvent plus soft dans ses expressions. Mais “bombe”, c’est vraiment ce qu’elle veut être. Elle veut que tous les regards se tournent sur elle, dans la rue, comme avant. Elle a l’impression que le célibat la marque, et qu’elle est moins attractive.

Elle veut retrouver l’âme chasseuse.

Moon hoche la tête. En fait, elle sait exactement ce qu’elle aime, comme vêtements. Sa garde-robe est remplie de fringues de bonne qualité, de belles coupes, et aussi hors de prix. Souvent, ce sont des marques de luxe. Moon aime acheter certaines pièces dans les grands magasins Tokyoïtes, parce qu’elle a l’impression d’être quelqu’un qu’elle ne sera jamais. La star de cinéma qu’elle n’a pas réussi à devenir. Pourtant, la plupart du temps, même sa paie de prof d’université (très bonne au demeurant au regard de la médiale japonaise), ne lui permet pas de s’offrir tout le luxe qu’elle souhaite.

Alors, elle a quelques adresses secrètes, que d’habitude, elle ne garde rien que pour elle, et pour personne d’autre. Mais aujourd’hui, elle peut bien faire une exception :  

Il y a une sorte de friperie de luxe, au centre de Kobe. C’est un magasin privé, pas de grosses devantures, et de pub à gogo. C’est que ça fonctionne un peu par le bouche à oreille.

C’est bien le style des magasins de luxes, ça. Créer de l’attention par une fausse discrétion. Moon tombe complètement dans le panneau.    

On y trouve de jolies tenues. De tous styles, mais surtout des tailleurs, et de belles jupes. Complètement professionnelles ! Ce sont des marques de luxes en revente. Le prix est complètement cassé. J’ai acheté plusieurs vêtements là-bas, donc un superbe carré Hermès. Pas ce qui coûte le plus cher de la marque, ceci dit. Est-ce que ça te dit ?

Fantastique ! Si elle aime bien ce genre de boutique. C’est que c’est un bon moment pour le porte monnaie, tout autant que pour les yeux. C’est important, pour Moon, d’être belle. Elle aimerait bien comprendre pourquoi elle apporte un tel intérêt à son apparence. Mais pour le moment, elle ne sait pas, elle ne comprend pas pourquoi. Malgré tous les écrits féministes qu’elle consomme ces derniers mois, elle n’arrive pas à voir sa valeur dans autre chose que son physique.

Et tant qu’elle est belle tout va bien.

Au fond, la réponse à cette question, Moon doit bien la connaître. C’est seulement qu’elle oublie. Ou qu’elle veut oublier. Quand elle était adolescente, Moon est devenue moche. D’un coup ! Enfin, moche. Beaucoup la trouvent très belle sur les photos. Mais pour l’adolescente, c’était un drame. Elle qui avait une belle réputation de jolie fille, d’actrice en devenir, a vu ses rêves déchus par d’énormes poussées de bouton. L’acné, elle en conserve de multiples cicatrices. Si le fond de teint épais cache la rosacée, les crevasses ne pourront jamais complètement disparaître. Et ce, malgré les rendez-vous au SPA, les lasers, et les soins de beauté.

Les deux femmes marchent un peu. Moon parle un peu de vêtements. Des tailleurs qu’elle apprécie porter. Ce sont les mêmes depuis des années. Elle est heureuse de ne pas avoir eu à les mettre de côté, à cause de prise de poids. C’est qu’elle fait beaucoup de sport pour surveiller sa ligne. C’est quelque chose qui pourrait lui faire peur, en ayant un enfant, que son corps change. De ne plus pouvoir mettre ses vêtements. Et finalement, elles arrivent :

C’est ici !

Un carillon sonne lorsque Moon ouvre la porte et entre dans le magasin. Il est assez grand, pour une friperie. Il s’étale en deux étages, le premier pour les accessoires, sacs et vestes, et le second pour tout ce qui est habits.

Moon commence toujours par les habits. Mais elle n’est pas seule, alors elle demande : Que veux-tu regarder ?

Des petites étoiles illuminent les yeux de Moon. Oh, que Beck l’écoute bien ! Ou alors, que Beck a de bons goûts. Certainement un peu des deux, en fait.

Les ensembles, c’est mon rayon.

Que ce soit tailleurs jupes, ou veste et pantalons, Moon en a une flopée dans son dressing. Elle trouve que ça donne de la classe, de l’allure, qu’on peut le rendre très sexy, masculin, féminin, professionnel ou un peu plus… festif. Suffit d’une brassière en plus, d’un haut en moins, d’un collier supplémentaire, de longues boucles d’oreilles. Les ensembles, ce sont des vêtements “statement”. La bonne coupe, la bonne couleur, et tu illumines la pièce.

Alors, d’un signe de tête, elle invite son amie à la suivre. Elle trottine dans les escaliers. Ils sont petits, un peu en escargot, mais amènent vers la caverne d’ali baba. Ensuite, elles traversent quelques rayonnages de pulls et de t-shirt avant d’arriver aux vestes et pantalons.

Deux possibilités : il y a les tailleurs, qui sont déjà pas paires. Certains sont trop professionnels et un peu moches, et sauf si tu sais coudre (ce qui n’est pas mon cas), difficile de les rendre joli. Pour appuyer son propos, Moon touche de la paume de sa main un ensemble en laine grise, terne et classique. Par contre, parfois, y’a des pépites. Regarde cet ensemble ! Elle se rapproche d’une jupe et d’une veste rose fushia, qu’elle retire du porte-manteau pour pouvoir regarder la taille. Bien trop grand pour moi. Mais qu’est-ce qu’il est beau ! Tu portes ça, tout le monde te regarde. Moi j’adore.

Moon repose la tenue, avant d’avancer un peu plus loin. Il y a là des pantalons et des vestes dépareillées. Il y a de tout ici. C’est un peu du mix and match. Des fois, on peut vraiment créer des tenues bijou. Des fois, y’a rien aussi, c’est la surprise.

Plus qu’à fouiller !

Moon se lance à l’aventure ! Elle a l'œil pour repérer les bonnes pièces. C’est sûrement dû à l’expérience. Elle reste un petit temps vers les tailleurs, mais rien ne lui dit. Il y a des jolies pièces, mais trop de noir, et trop de blanc. D’une part, Moon en a déjà bien assez dans ces tons là, d’autre part, Moon a envie d’être une BOMBE. C’est tout le but de cette journée. Se sentir méga-splendide et magnifique pour pouvoir aller draguer du damoiseau dans les plus belles boîtes de nuit.

Enfin, la dernière phrase est en option.

Alors, elle abandonne les tailleurs et cherche à faire son propre ensemble. Elle trouve un très beau pantalon. En coton épais, il sera parfait pour le début du printemps et de l’automne. La couleur, rouge, est assez osée. En le portant, Moon n’a aucun doute : elle va faire tourner toutes les têtes. C’est bien le but, alors elle le garde. Il semble être à sa taille, plus qu’à l’essayer.

Elle continue et trouve une jolie petite veste, un peu plus sobre, noire, il faut savoir ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier (rouge, le panier). Elle est en cuir, un peu épaisse. Un vrai cuir, pas abîmé, sans aucune rayure. C’est un petit prix, mais c’est une jolie marque. Allez, hop ! Dans la poche. Plus qu’un petit chemisier blanc ou crème, fluide, classe, avec une jolie coupe et un col carré.

Une fois qu’elle a tout, Moon retrouve Beck. Une petite tenue. Manquera plus que les accessoires pour lui donner vie. Et elle louche sur les bras de Beck. Jolie trouvaille ! Noir et rose, c’est un bon choix.

On les essaye ? Moon espère vraiment que le pantalon est à sa taille.