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Au son des cloches
feat. Ryuji
Attachée à son petit sac à main, sagement dressée sur ses escarpins, elle pense. Elle pense aux hommes avec qui elle a fait un petit bout de chemin. Il y a Takumi, il y a tous les autres. Son premier copain, timide et maladroit ; celui qu’elle a rencontré en deuxième année d’Université, fougueux et un peu dangereux. C’est drôle, l’amour. A chaque fois que ça commence, elle espère que ça durera toute la vie.
Chaque rupture est une défaite.
On est en novembre, et Ryuji et elle, ça dure depuis plus de quatre mois. Elle aimerait dire “il s’en est passé des choses, depuis quatre mois !”. Mais même pas tant. Depuis qu’il est venu visiter son appartement, ils n’ont plus jamais osé parler de couple. Sûrement que Ryuji a peur. Sûrement que Moon aussi. Alors, ils ont continué leur petite idylle, comme si de rien n’était. Quelques rendez-vous, quelques nuits endiablées. Et puis, la gêne en public a diminué. Tant qu’ils ne se tiennent pas la main, une rencontre dans le bal d’Halloween, ce n’est pas bien grave.
C’est jeudi, mais Moon ne travaille pas. Jour du travail, jour férié. L’année dernière, elle l’avait passé à bosser. Y’a pas de repos pour les braves ! Mais 2017, c’est différent. Elle a bien des copies en retard. Des dizaines, même. Pourtant, elle les a laissées sur son bureau. Un joli tas, bien rangé. Elle s’en occupera ce soir. Ou demain soir. Parce qu’on est jeudi, un jour froid de novembre, et que Moon attend Ryuji.
Devant le sanctuaire de Ikuta-jinja, elle a l’impression que c’est un grand jour. Elle porte le poids de cette relation. Elle ne peut plus l’ignorer. Quatre mois, à ne partager la couche d’aucun autre homme, ce n’est pas rien.
Les cloches tintent. Un vieux couple se trouve devant l’autel. A quoi ont-ils prié ? Leurs mains s’attrapent, les rides de leurs yeux se plissent. Certainement pas à l’amour éternel, ils l’ont déjà trouvé. Un pincement au cœur de Moon.
Et elle, à quoi va-t-elle prier ?
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Les temples et la famille Yamashiro, c'était une grande histoire. Une histoire entre amour et rejet des traditions. En se préparant ce matin de novembre, Ryuji se remémora les visites annuelles au Naminoue-gū, à Okinawa, avec ses grands-parents. Il se souvenait encore des rituels qu'ils faisaient alors avec son grand-père et sa grand-mère, accompagnés de sa mère et de sa soeur, tandis que son père était soit trop occupé pour venir ou refusait catégoriquement. Bien qu'il n'était pas attaché aux religions, probablement les conséquences d'une famille mixte comme la sienne, il avait conservé certaines de ces habitudes.
Déjà la visite annuelle au temple pour la nouvelle année : quelqu'un d'aussi superstitieux que lui devait se rendre au temple pour espérer obtenir bonne fortune.
Ensuite la visite, annuelle elle aussi, aux ancêtres à Okinawa : encore plus depuis la disparition de son grand-père, Ryuji a toujours rendu hommage aux hommes et femmes de sa famille, même s'il n'en a connu que très peu, si pas aucun. En général il s'arrangeait pour visiter sa famille en même temps, aux environs d'août ou septembre, pour profiter des embruns une dernière fois avant la rentrée et les prochains congés.
Enfin, outre ces deux rendez-vous ponctuels, il s'octroyait de temps à autres des visites pour s'aérer l'esprit. Cela le détendait de se promener dans des parcs et de dévier vers les temples alentours, sans forcément chercher bonne fortune ou accomplir quelque rite, si ce n'est celui de purification au moment de pénétrer dans l'enceinte du temple évidemment. Ce 23 novembre était l'une de ces journées à une différence près : il n'était pas seul pour cette visite, Moon avait accepté de l'accompagner à l'occasion de la Fête du Travail. C'était férié, autant en profiter !
Quatre mois. Cela faisait déjà quatre mois qu'ils se fréquentaient, pour ne pas dire qu'ils sortaient ensemble ; la fois où il s'était rendu chez elle en septembre l'avait vacciné. Pas qu'il n'envisageait plus d'officialiser leur relation mais il était pris par la peur que tout prenne des dimensions énormes comme cette fois-là. Alors il prenait les choses plus légèrement: pas besoin de nécessairement chercher à parler de couple, n'est-ce pas ? Non, Ryuji lui-même n'était pas plus convaincu que ça.
Il rejoignit Moon à l'entrée du domaine du Sanctuaire de Ikuta-jinja. Elle l'attendait déjà avec sa nuque à nu, sa posture droite et digne sur ses escarpins. Elle ne manquait jamais d'élégance, même pour visiter un temple. Il profita qu'elle soit retournée vers les allées pour s'approcher d'elle par derrière et passer sa tête devant sn champ de vision.Bonjour, vous ~
, lui dit-il avec un grand sourire avant de se redresser et se rapprocher d'elle, le bras tendu pour qu'elle s'y accroche. On y va ?
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Il y a bien longtemps qu’elle ne croit plus en Dieu. Ni à aucune forme de divinité. Elle est complètement athée, complètement blasée. A quoi bon espérer à une force supérieure ? La vie est assez terrible comme ça, laissons les malheurs au libre arbitre. Et puis, l’idée de vivre une seconde vie après celle-ci ? Vraiment pas un fantasme pour la professeur de cinéma.
Pourtant, quand Ryuji lui a proposé de fêter le jour du travail au sanctuaire, elle a dit oui. Elle n’a pas hésité, même pas une seconde. Elle n’a pas osé lui dire qu’elle ne savait pas comment honorer le lieu, non plus. Elle a attendu qu’il soit parti de chez elle, pour se ruer sur son petit ordinateur et taper sur Google : “Comment prier dans un sanctuaire japonais ?”. Elle a tout bien lu, tout bien étudié, et la voilà, droite sur ses deux talons, sûre d’elle-même.
Un accent à couper au couteau, mais elle commence à s’améliorer en Français. Sûrement grâce à l’application Duolingo* qu’elle a installée sur son smartphone.
Comme dans un réflexe, elle noue son bras à celui de Ryuji. Elle s’y accroche, sans plus faire attention à ce qui les entoure. Il pourrait y avoir un étudiant, à dix mètres, qu’elle n’en aurait rien à faire. Depuis quelques semaines, elle s’est détendue. Sûrement grâce à Halloween. S’ils peuvent être vus en public, sans que ça ne déchaîne les foules, il n’y pas raison de s’inquiéter.
*Ceci n’est pas un placement de produit.
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Elle avait fait l'effort de lui répondre en Français. Il adorait quand elle le faisait malgré son accent à couper au couteau qui, mine de rien, s'améliorait de jours en jours. Il soupçonna qu'elle fasse usage d'une application pour s'entrainer, à moins qu'elle ne pratique la langue seule avec un autre francophone ? Aussi loin qu'il s'en souvienne, ils étaient à peine une poignée sur tout le campus à parler cette langue, alors il écarta cette piste. Puis après tout, il s'en fichait, ce qui comptait c'était qu'elle s'y essaye ! En plus, si elle s'améliorait c'est qu'elle voulait le faire, plutôt un bon signe, ça !
Lui, de son côté, il ne s'essayait que très peu au Coréen. Il y pensait, souvent, entre autres quand il s'imaginait devoir rencontrer les parents de sa belle. Il savait que son père était un Japonais mais... Comment se mettre la maman dans la poche en cas d'une rencontre ? Parlait-elle Japonais ? Le comprenait-elle ? Parviendraient-ils à converser et se faire comprendre !? Lorsqu'il l'entendit lui répondre en Français il prit note mentalement de s'entraîner à parler au moins un peu de Coréen, pour lui rendre la pareille au moins.
La vraie surprise était qu'elle saisisse naturellement son bras tendu et qu'elle s'y agrippe comme n'importe quelle petite copine. Sur le coup, le trentenaire ne cacha pas sa surprise. Sourire aux lèvres, il entraîna sa belle dans l'enceinte du temple. Ils arrivèrent à un premier, gigantesque, torii, ces grandes arches à l'entrée des temples. Il s'inclina alors légèrement, entraînant Moon avec lui. Il ne savait pas si elle était à l'aise avec ces coutumes là alors il se mit en tête d'être son guide pour la journée. Les respects faits, ils se relevèrent et entrèrent dans l'enceinte du temple.Allons sur les côtés
, lui dit-il gentiment en se dirigeant vers l'allée latérale de droite. Tu sais pourquoi on est censé laisser l'allée centrale vide ? il l'observa subtilement du coin de l'oeil avant de reprendre sans attendre de réponse En fait, l'allée centrale est réservée aux divinités. Et nous, pauvres mortels que nous sommes, devons atteindre le temple par ces petites allées... Je me souviens de m'être fait engueuler par mon grand-père quand j'étais petit. Il était pas mal à cheval sur ça.
Sa voix sembla s'éteindre quelque peu. Il n'était pas particulièrement triste mais forcément, parcourir un temple lui rappelait les visites de son enfance avec le patriarche de la famille. Il était mort récemment en plus, alors plutôt normal pour lui d'être embarqué par un flot de nostalgie. Cependant, ce n'était pas le jour pour avoir le vague à l'âme ! Il toussota en souriant à Moon et reprit son rôle de guide jusqu'à ce qu'ils arrivent près d'un petit pavillon où d'autres visiteurs faisaient la file.
L'heure de la purification était venue !
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Sujet : “Bien se comporter dans un sanctuaire.”
Temps : Quelques heures
Interrogée : Moon Kawaguchi.
Premier exercice : les respects.
Ryuji sait ce qu’il fait, contrairement à Moon. Elle se contente de le suivre, bien accrochée à son bras. Est-ce qu’il se rend compte du malaise de la coréenne ? Elle ne l’espère pas. Moon, elle fait l’actrice aujourd’hui. Arborant un léger sourire, elle marche confortablement sur ses talons. Pas trop lentement, pour ne pas avoir l’air de trainasser, pas trop vite, pour ne pas prendre de l’avance.
Comme pour un vrai oral, Ryuji lui pose des questions. Elle a révisé, Moon, alors, elle connaît la réponse. Elle bombe un peu le torse, prête à lui répéter le paragraphe de l'article Wikipédia “sanctuaires japonais”, mais il ne lui laisse même pas le temps de briller. “Super”, qu’elle se dit. “Il veut faire les questions, et les réponses”.
Ouuuh, la question piège ! Pour Moon, pas pour Ryuji. La trentenaire se mord immédiatement la joue après l’avoir posée. C’est que sa curiosité était naturelle, elle n’avait pas envisagé de devoir ensuite y répondre. Elle lui laisse une porte grande ouverte à la réponse “Et toi ?” Eh bien non, Ryuji, jamais, pour une première fois, elle est plutôt douée la Moon, n’est-ce pas ?
Deuxième exercice : la purification
Heureusement pour Moon, ils ne sont pas seuls à visiter le sanctuaire aujourd’hui. Merci le jour férié ! Une petite file d’attente, rien qu’une dizaine de minutes. Elle est patiente, Moon, mais surtout, elle se permet de glisser un coup d'œil sur ce qui se passe dans le petit pavillon. Elle détaille les gestes, pour mieux les appréhender lorsque ce sera son tour.
Un premier couple se présente.
Un deuxième.
Un troisième.
Puis c’est à leur tour. Un peu effrayée, elle tourne la tête vers Ryuji. Même si elle a bien révisé, elle n’est pas certaine de pouvoir gérer parfaitement la pratique. Mais toujours fière, elle préfère simplement lui proposer :
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Ryuji tourna la tête vers Moon, accompagnant un petit "Hmm?" comme si la vue de ces couples faisant la file l'avait distrait. Il commença à compter silencieusement sur ses doigts, bientôt il n'eut plus assez de ses deux mains pour compter les fois où il était venu au temple avec sa famille. Il se mit à la place de Moon, que devait-elle penser ? Il était plutôt sûr qu'elle ne venait pas souvent, alors que penser de quelqu'un qui avait maintes fois foulé les allées de ce genre de domaine ? Il espérait que cela ne l'étonne pas trop.Aloooors... J'y allais tous les ans à la nouvelle année, comme pas mal de gens au Japon je pense, puis on allait souvent rendre hommage aux ancêtres à Naha, vu que tout le clan ou presque est originaire de là-bas et qu'il semble il y avoir une force qui ramène les Yamashiro au pays pour couler leurs vieux jours ahah
dit-il en avançant dans la file avec elle. Et toi ? Je t'avoue ne pas connaître assez la Corée du Sud pour savoir vos coutumes
Il était sincère et curieux. Même s'il avait fait l'effort de se renseigner un minimum sur les origines de sa petite amie, il n'avait pas la connaissance absolue sur le sujet. Déjà connaître les us et coutumes pour bien se faire voir en société, c'était amplement suffisant. Le minimum minimorum pour bien se faire voir par la belle famille et éviter de se faire bouter hors du pays par sa potentielle future belle-mère !
Pendant ce temps, les visiteurs avant eux avaient tous fini de se purifier. Vinrent alors leur tour. Il posa les yeux sur Moon, qui venait de lui proposer de commencer premier. Il se sentait bête sur le coup: si c'était sa première fois dans un temple comment pouvait-elle savoir ce qu'il fallait faire !? Il invita Moon à le rejoindre en se présentant devant le bassin d'eau servant aux purifications. Il espérait qu'elle était prête pour un petit cours.Tout d'abord je te présente le chozuya il pointa le bassin d'eau en pierre situé au centre du pavilloncela sert à se purifier avant d'approcher le sanctuaire en lui-même. On commence par prendre avec la main droite la louche en bambou et la remplir d'eau. Ensuite on en verse sur la main gauche comme ceci
expliqua-t-il en s'exécutant sur-le-champ, lentement, pour qu'elle puisse bien assimiler les gestes. Du coup, après ça, tu fais la même chose en inversant les mains. Une fois que c'est fait, tu reprends la louche dans la main droite, tu verses un peu d'eau dans la main gauche et tu te rinces la bouche, comme ça...
, dit-il en reproduisant la procédure à la lettre, toujours lentement. Finalement, il leva verticalement la louche pour la vider et la remettre à sa place.
Il fit un pas de côté et invita Moon à en faire de même, avec un sourire aussi rassurant que possible.
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Bon, maintenant elle en est sûre et certaine, Moon est complètement cramée. Ryuji détaille chacun de ses gestes. On ne fait pas ça, quand on pense que son partenaire est à l’aise dans un temple, n’est-ce-pas ? Elle essaie de comprendre là où elle a râté. Dans la file, alors qu’elle regardait les autres couples ? Dès le début, lorsqu’elle n’a pas été assez rapide pour répondre à sa question ? Encore avant, devant le temple ? Elle est vraiment si nulle que ça ?
A quoi bon les efforts, à quoi bon le travail, si c’est du pareil au même. Elle est un peu déçue, Moon, et ça se voit sur son visage. Ses yeux ne pétillent plus du tout, et son sourire s’est détendu en une mine désappointée. On pourrait la croire concentrée, mais pas tant que ça. Elle détaille les gestes de Ryuji sans vraiment les imprimer. Elle est trop gênée par sa maladresse.
Quand vient son tour, elle attrape de la main droite la grosse louche. Elle ne se souvient même plus du nom du pot. Tant pis. Elle prend un peu d’eau, et s’en verse sur la main. Ce n’est pas du tout comme ça qu’elle avait envisagé sa première visite sérieuse au sanctuaire. Elle aurait aimé être bien plus spirituelle, liée avec toutes les femmes du passé, du présent, du futur. Quelque chose de beau, d’élémentaire. Mais elle ne peut pas s’enlever ce foutu échec de la tête. Elle secoue doucement la main gauche, comme un réflexe, pour retirer un peu de l’eau. Elle n’aime pas la sensation du manche mouillé. C’est déconcertant. Elle répète la procédure, sans vraiment y croire, puis pose la louche, et se redresse.
L’épreuve est terminée. Elle ne s’en est pas si mal sortie, mais Moon a un goût amer dans la bouche. Le couple laisse la place à une grand-mère, et continue son périple. D’abord un peu silencieuse, Moon finit par avouer :
Et pratiquante. Véritable aveux d’échec, elle qui ne comptait pas en parler.
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Ryuji observait Moon reproduire les gestes qu'il avait lui-même exécutés la minute d'avant, l'oeil bienveillant et un petit sourire qui se voulait rassurant... mais quelque chose n'allait pas. Quelque chose n'allait pas parce qu'il eut l'espace d'un instant l'impression qu'elle refaisait tout bien qu'il avait fait sans réelle conviction, comme une enfant prise sur le fait après une bêtise à qui on demandait de s'excuser. Pas vraiment le bon genre de mood pour ce type de sortie, à vrai dire. Il l'accueilla près de lui avec une main sur l'épaule avant de lui représenter le bras pour qu'ils continuent vers le sanctuaire en lui-même, en passant devant un second torii.
Il y avait moins de monde que Ryuji avait imaginé, peut-être s'étaient-ils désintéressés de ce genre de visite ou bien tout simplement étaient-ils ailleurs ? Il regarda autour de lui à la recherche du moindre visage un temps soit peu connu puis, une fois sûr de ne pas avoir repéré d'étudiant ou de collègue, il posa sa main sur celle de Moon, la serrant légèrement pour renforcer le contact physique entre eux. Moon brisa enfin le silence et confia ne jamais avoir fait ce genre de sortie. Oh. il se stoppa suite à cette confession Désolé, j'ai dû avoir l'air super chiant... J'espère que tu n'as pas eu l'impression que je te prenais pour une idiote... parce que c'était pas le cas. Tu avais l'air un peu hésitante et tu m'avais dit ne pas être venue souvent dans des temples, alors je me suis dit qu'un petit rappel ne ferait pas de mal...
, dit-il avec une voix un peu inquiète.
Record battu ! Quelques dizaines de minutes à peine depuis leur arrivée et déjà elle était mal à l'aise. Ryuji fit tout en son pouvoir pour que sa gamberge ne se voit pas trop sur son visage, inutile d'en rajouter une couche avec son petit air de golden retriever inquiet, sans les yeux et la truffe humide. Il se contenta de lui faire totalement face pour lui caresser tendrement le bras avec sa main libre, yeux dans les yeux, l'air quand même malgré tout désolé. Il espérait que cela ne gâche pas leur journée, ce serait un comble.
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Elle le murmure. Ou elle pense le murmurer. Elle n’a pas envie de dire que c’est rien. Ce n’est pas rien. Là, tout de suite, elle a envie de tout casser, et de partir. Faire demi-tour, et de ne plus jamais entrer dans un sanctuaire de sa vie. Ni celui-là, ni un autre. L’église, c’est plus simple. Un peu d’eau bénite, un ou deux cierges, on s'assoit sur une chaise, et basta.
« J'espère que tu n'as pas eu l'impression que je te prenais pour une idiote... parce que c'était pas le cas. » Encore heureux. Et il a besoin de se justifier là-dessus ? La colère monte dans l’estomac de Moon. Elle sent sa bile bouillir, et l’acidité remonte le long de son œsophage. Il n’y a rien de pire que ce genre de phrase. S’il dit ça, c’est qu’au fond, il a envisagé la possibilité. Qu’il y a pensé, rien qu’un tout petit peu.
Elle mord sa joue, alors le son s’écrase avant même de sortir de ses lèvres. Un “C’est rien”, qu’on n’entend même pas. Un “C’est rien”, qui n’arrive pas aux oreilles de Ryuji. Pauvre Ryuji, parce que ce “C’est rien”, c’est aussi un signe. Un “stop”, qu’elle murmure. Il faut qu’il s’arrête, tout de suite, qu’ils continuent, parce qu’elle est en train de sur-réfléchir, et de s'énerver toute seule. Le tempérament de Ryuji, anxieux et désolé, l’énerve encore plus. Pourquoi il fait le mignon, comme ça ? C’est rien. C’EST RIEN. Elle a envie de crier, de le faire taire. Mais il continue.
« Tu avais l'air un peu hésitante… » Alors, elle avait bien l’air complètement conne, devant cette foutue porte, devant ces foutues allées trop petites, devant cette louche. C’est pire que tout, parce que dans ces simples mots, Ryuji avoue que si, il la prend un peu pour une idiote. Peut-être qu’il ne le formule pas comme ça. Comme une non-initiée. Un peu maladroite, même. Mais pour Moon, ce n'est pas du tout ce qu’elle ressent. Elle s’était entraînée, avant fait le travail, avait regardé moult vidéos Youtube. Tout ça pour être prise pour une conne. « …et tu m'avais dit ne pas être venue souvent dans des temples, alors je me suis dit qu'un petit rappel ne ferait pas de mal... » Quand ! Quand ? Il y a à peine cinq minutes, alors que les deux faisaient face pavillon. Et puis, elle avait été vague. Moon aurait préféré encore faire des erreurs, et qu’il l’aide à ne pas se tromper, plutôt que d’être prise pour une enfant.
Une voix forte, un peu impérative. C’est rien, et tu te tais. C’est rien, et on avance. Elle ne supporte pas qu’il s’arrête, qu’il la regarde, avec ses foutus yeux de chiens battus, ni qu’il lui pose sa main sur son bras. Elle fait un léger geste, pour qu’il la lâche, et se tourne vers le chemin, pour continuer. Pas question de rester là-dessus.
Le vent d’hiver sera doux.
La tempête éclate.
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C'est rien.
Évidemment, il ne l'avait pas vu venir. Cette réaction de sa part, ce geste pour se dégager et ensuite s'éloigner de lui, en direction du temple, laissant Ryuji seul comme un con.
Évidemment il s'était encore une fois planté, répandu en excuses, dans un long monologue entrecoupé par les C'est rien.
de Moon, dont seul le dernier avait été assez fort pour qu'il l'entende.
Évidemment qu'elle avait pris une belle avance pendant que lui, était resté totalement pantois, comme coupé net au beau milieu d'une action ; ce qui n'était pas tant éloigné que ça de la réalité.
Évidemment qu'au fond de lui il bouillonnait ! S'il n'avait pas aussi peur de risquer de la perdre en s'énervant, comme ça d'un coup, il l'aurait rattrapée, prise par la main pour lui expliquer son point de vue sur cette situation. Idéal pour créer une scène au beau milieu d'un temple un jour de célébration. On aura vu mieux comme rencard et comme sortie lors d'un jour férié, à n'en point douter ! Au vu de ces éléments, il décida de se retenir, ne pas créer de scène inutile et gênante pour les deux. Cela valait mieux comme ça.
Mais évidemment, il se mit à la rattraper, pressant un peu le pas car mine de rien, elle marchait vite sa petite coréenne, perchée sur ses escarpins en tenant son petit sac des deux mains comme une femme modèle. Plus il se rapprochait d'elle, puis il sentait une forme de colère monter. Il ralentit, l'appela alors qu'ils étaient à quelques mètres l'un de l'autre. Une fois Moon stoppée dans sa course, il s'arrêta à son tour. Il devait rester environ deux ou trois mètres entre Ryuji et le dos de sa compagne.Tu crois pas que c'est un peu abusé ?
, commença-t-il en soupirant légèrement, probablement à cause de la course et de toute cette situation. Je dis pas que tu abuses il avança d'un pas mais que juste me répondre "c'est rien"... C'est pas ça qui fera avancer notre couple, en fait.
Il prit une grande inspiration. Il l'avait fait, il avait prononcé le mot maudit ! Il aurait préféré faire un choix de mots mieux à propos, moins frontaux, mais dans le feu de l'action, c'était celui qui lui était venu le premier. Le plus naturel. N'était-ce pas ce qu'ils étaient devenu, sans se l'avouer, sans rien officialiser avec quiconque ? Il soupira pour conclure, en espérant ne pas s'attirer ses foudres et pouvoir continuer sur une bonne route.Je sais que j'ai merdé, mais j'aurais aimé savoir quoi. Juste histoire que ça ne se reproduise plus, qu'on puisse poursuivre notre rendez-vous comme tous les autres et qu'on démarre sur de vraies bonnes bases. Communiquons, juste, et puis on reprend. Parce que ça me tient à coeur et que j'ai envie que ça fonctionne.
Il observait maintenant Moon, ou du moins son dos, dans l'attente d'une réponse. Avait-il choisi les bons mots ? Avait-il aggravé son cas ? Devrait-il faire une croix sur tous ces films tournés dans sa tête ?
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Et puis, elle a besoin d’air.
Comme si tout l’espace du sanctuaire ne suffisait pas. Elle a besoin de respirer, à pleins poumons, avant d’étouffer. Elle ne sait pas comment agir, en couple. Elle ne sait plus. Elle a trop vécu de relations foireuses, où elle était discrète. Elle n’a pas envie de gueuler. Elle n’a pas envie de s’expliquer. A vrai dire, elle n’a même pas envie de parler. Elle veut avancer, jusqu’à la prochaine épreuve. Terminer chaque étape de cette fichue visite au sanctuaire. Puis rentrer chez elle.
Ou rentrer ailleurs.
Pour ne pas être accompagnée. Rentrer au bar, peut-être. Quand elle est frustrée, Moon rentre toujours au bar. Ça lui manque de boire. Elle le fait moins, ces dernières semaines. D’abord, pour éviter de rencontrer des étudiants. Ensuite. Surtout. Pour ne pas draguer. La chaire lui permet de faire redescendre la pression. Les hommes de passage. Quatre mois, et elle n’en a plus vu un seul. A croire que la monogamie, en fait, ce n'est pas pour elle. Le rêve de maison en campagne, de joli chien à poils longs, et de gamins. Le rêve d’un beau mari, qui l’attend sagement, sur le fauteuil, un bouquin à la main. Le rêve de ne faire l’amour qu’à un seul et unique homme, jusqu’au bout de sa vie.
Elle avance, et il la rattrape finalement. Elle entend le bruit sec de ses chaussures en cuir, et s’arrête. Lui aussi. Qu’est-ce qu’il fout ? Moon a besoin d’avancer, de continuer, de ne pas rester sur cette histoire à deux balles. Ce n’est rien. Et elle le pense vraiment. Ce n’est rien, et si ça continue, ça deviendra quelque chose. Elle s’apprête à lui dire, un peu sèchement : “Continuons ?”. Mais est arrêtée dans son élan.
Abusé ! Le choix du mot est terrible. Plus le temps passe, et plus elle pense que Ryuji est complètement stupide. Ou socialement inadapté. Ou peut-être qu’il a envie que ça se passe mal ? Elle est pantoise. Il y a bien des hommes qui, pour éviter d’être à l’origine des ruptures, font tout pour se montrer désagréable. Ce n’est pas le cas de Ryuji. N’est-ce pas ? Elle en douterait presque.
Elle ne supporte plus son caractère, ou le petit air qu’il se donne. Il ne se rend même pas compte, de combien il peut être culpabilisant. Comme si Moon n’avait pas le droit d’être frustrée de se sentir prise pour en enfant quand il lui sur-explique chacun de ses gestes. Elle a bien essayé de lui dire, pourtant, afin d’éviter l’explosion de colère, qu’elle est catholique, et pas bouddiste. Mais il en a fait fi. Il préfère la faire culpabiliser sur son rôle dans le couple. Comme s’il était le seul pour qui c’était important. Comme s’il avait la formule magique du gentil petit-ami. Comme s’il avait raison, lui, et qu’elle ne pouvait pas être un peu en colère. Il ne se rend pas compte combien il peut être étouffant.
Moon se mord l’intérieur de la joue, ses ongles s’enfoncent dans la paume de sa main. Elle ne se reconnaît pas. Elle ne se laisse jamais avoir par la colère. Moon, elle n’éclate pas. Moon, elle reste fière, droite. Moon, elle répond avec des petits sourires. Moon, elle prend sur soi, et se décharge sur le corps d’hommes objets.
Moon a besoin de redevenir Moon.
Une grande respiration. Actrice studio, elle relâche la pression sur ses poings et sa mâchoire. Ses joues s’étirent dans un large sourire. Faux. Mais pas sûr qu’il s’en rende compte. Moon a décidé de masquer. De ne plus être vraie avec Ryuji. Si c’est comme ça qu’elle doit se comporter pour que ça se passe bien, alors, soit.
Elle se retourne vers lui, mais n’avance pas. Elle lui fait simplement un léger signe de la main.
La voix, calme. Là, Moon se reconnaît. Ses épaules sont relâchées, son cou relevé. Elle a l’air fière, elle a l’air sereine. Et dans ce rôle, elle se sent à l’aise. Pourtant, au fond, elle sait que c’est le mauvais rôle. Bien sûr, que communiquer, c’est important, mais si elle devait vraiment éclater, Moon serait désagréable, méchante, même. Au fond, elle préfère que Ryuji et elle, ça se termine en douceur, plutôt que dans les larmes. Ça ne fonctionne pas ? Et bien tant pis.
Ils finiront ce date.
Mais pas question de parler de couple.
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Ryuji se stoppa de nouveau. Il avait imaginé s'avancer une fois Moon retournée mais la Moon qu'il avait devant lui n'était pas celle qu'il avait fréquenté depuis juillet. Quelque chose n'allait pas, une impression de déjà-vu désagréable, lorsque quand elle s'était renfermée soudainement à leurs premiers rendez-vous. L'espace d'un instant, il eut l'impression d'avoir affaire à Kawaguchi-san la prof de cinéma, à Kawaguchi-san la collègue, non plus à Moon. Trop polie, trop lisse, un souvenir de leur première rencontre dans la salle des professeurs avant que la photocopieuse maudite ne fasse des siennes.
Il déglutit lentement et difficilement. Que faire ? Crever l'abcès et risquer que cela dérape pour que chacun rentre chez soi sans plus jamais se parler ? Suivre le flow comme si de rien n'était, considérer que ce n'était effectivement rien et garder le tout pour soi bien au fond pour que ça finisse par péter ? Il devait réfléchir vite, sinon cela allait se voir, et bien qu'il était totalement persuadé qu'ils devaient reparler de ça alors que ça avait envenimé la situation, soyons francs il se résigna, afficha son air le plus avenant revint à son hauteur.Allons-y alors ~
, annonça-t-il une fois près d'elle, menant la marche sur le petit chemin latéral vers la prochaine étape de leur visite.
Le domaine était franchement beau, l'hiver commençait à pointer son nez et les arbres avaient fini de muer. Ryuji se dit que l'endroit serait encore mieux au printemps, lors de la floraison des cerisiers. S'ils devaient revenir à cet endroit plus tard, il ferait en sorte qu'ils viennent à cette période de l'année, le cadre serait plus idyllique, propice à de beaux clichés ; qu'il s'agisse de photographie ou d'activités lors d'un rendez-vous.
En parlant d'activité, leur route les amenait en direction d'une pagode bien ouvragée devant laquelle faisaient la file plusieurs groupes. Des personnes seules, des familles, des amis, des couples. Toujours aucun étudiant de l'université en vue, dieu merci. Déjà que cette histoire de purification avait jeté un froid, manquerait plus qu'un étudiant ne les surprenne ensemble, relativement proches même si le contact physique était plus restreint. Il avait proposé de nouveau son bras pour qu'elle s'y raccroche mais finalement ils s'étaient remis en route comme ça, proches mais moins collés.
Arrivés dans la file d'attente plutôt longue, dont la durée était estimée à une quinzaine de minutes d'après un panneau, Ryuji brisa le silence en posant une question anodine : Quelque chose que tu souhaiterais voir se réaliser ? Vu qu'on va sonner les cloches, tout ça...
, demanda-t-il distraitement en regardant les gens devant eux s'avancer.
Il ne cherchait pas forcément à percer ses secrets les plus intimes, loin s'en faut, mais plutôt à faire la conversation. Il n'y avait rien de plus désagréable qu'un silence poli.
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Et dire qu’elle commençait à s’en foutre. Elle était prête à s’assumer un peu davantage. Et avait même prévu, si on lui posait la question, de répondre : “on apprend à se connaître”. C’est une belle phrase, ça. C’est assez évasif. Ça ne veut pas dire “on s’aime”. Ni “on est en couple”. Juste qu’ils se plaisent, et qu’ils essaient de voir où tout ça va mener.
Moon et Ryuji, ils apprennent à se connaître.
Mais ils ne sont pas très bon, à ça. Poisson et bélier, ça ne fait peut-être pas bon ménage ? Moon n’y connaît rien, en signes astrologiques, mais elle se laisserait volontiers tenter par cette lecture. Ce serait plus simple, si le ciel conduisait leurs actes. Si elle savait, pour sûr, que elle et Ryuji, ça ne pourrait pas marcher, elle abandonnerait.
Il a beau être terriblement attirant, lorsqu’il remonte ses cheveux pour les attacher.
Il a beau être terriblement touchant, lorsqu’il essaie d’éviter la maladresse, en vain.
Il a beau être terriblement craquant, lorsqu’il troque le japonais pour le français.
Il est aussi frustrant. Maladroit. Tellement maladroit qu’elle ne sait plus comment réagir. Elle aimerait penser que ce n’est pas grave. Qu’elle est au-dessus de tout ça. Qu’après-tout, ce n’est qu’une histoire de différences culturelles. Il est français, elle est coréenne. Mais il est aussi japonais, et elle est japonaise. Rien n’explique vraiment pourquoi ils essaient en vain. Pourquoi à chaque fois qu’ils avancent l’un vers l’autre, ça foire. Pourquoi ils ne retrouvent pas l'attraction de leur premier rendez-vous, dans le jazz club, dans le restaurant français, dans cette ruelle noire. Il lui plaît, elle lui plaît, c’est indéniable. Mais est-ce que ça peut aller au-delà d’une simple envie l’un de l’autre ? Tout ne peut pas se régler sur l’oreiller, et Moon le sait. Elle a envie d’une relation dans laquelle elle arrive à s’épanouir, sans se prendre la tête. Comme dans les contes de fées, ou les films de noël. Celui qui fonctionne, au premier regard. Rien besoin de se dire, tout est evident.
“Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.”
Mais avec Ryuji à côté d’elle, difficile d’envisager le mariage. Encore moins les enfants. Tous les deux, ce sont des adolescents, qui ne savent pas comment jouer les adultes. C’est nouveau pour Moon, qui a toujours eu l’habitude des relations plus graves. Moins légères. Depuis Takumi, amour secret, elle n’a pas vraiment eu de vraies histoires d’amour. Et ce que Ryuji lui propose, c’est quelque chose de facile, en soi. Il faudrait juste qu’elle se laisse porter.
Mais elle en a peur. Complètement peur. Si elle se laisse porter, elle accepte d’abandonner le contrôle. Si elle contrôle autant, c’est aussi parce qu’au fond, elle n’est pas complètement guérie de la blessure Takumi. Sa relation était tellement difficile qu’elle refuse de croire qu’elle peut vivre une histoire simple. Une histoire comme elle en voudrait. Alors, elle envenime tout.
Face au temple, la cloche à quelques mètres, elle sait, combien elle exagère. Elle sur-interprète chaque geste de Ryuji. Trop exigeante, elle voudrait qu’il soit le prince parfait, qui peut lire dans ses pensées, qui anticipe chacun de ses gestes, et chacune de ses envies. Comme si c’était possible. Il y a tellement de monde, dans la queue. Quinze minutes, c’est trop. Surtout quinze minutes à se triturer le cerveau.
Qu’est-ce que son rêve ? Qu’est-ce que ses désirs ? C’est difficile de vraiment s’y confronter. C’est plus simple de dire “je veux l’amour, la santé, et la prospérité". Pendant longtemps, elle rêvait d’un bon travail. Puis, d’un mariage et d’un enfant. Mais maintenant, dans cette queue, elle n’est pas si certaine qu’elle désire quelque chose d’aussi simple. Elle a besoin de travailler sur elle, Moon, de mieux se comprendre, d’abandonner son masque et de s’accepter. Elle a besoin de se rendre la vie plus facile.
Mais ça, elle ne peut pas l’avouer, même pas à demi-mot.
- PNJNon validé ; bouhouhou■ Age : 35■ Messages : 6340■ Inscrit le : 31/03/2008
PNJ Poissard
Ceci est une intervention divine
« M-Mais. Mais c'est vous !? J'ai lu toutes vos oeuvres ! Je suis votre plus grand fan, je ne pensais pas vous croiser un jour ! Vous habitez ici ? Quand sortira le prochain tome ? Vous travaillez sur un autre manga ? »
Que fera Ryuji ? Répondra-t-il favorablement ? Ignorera-t-il ce fan un peu trop enthousiaste ?
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J’en sais rien.
Une réponse claire, nette et sans bavure, sans fioriture. Rien d'autre qu'une phrase courte qui vient briser le silence un instant avant de le laisser se réinstaller. On aura vraiment vu mieux comme rencard, Ryuji n'arrête pas de se le dire en voyant cette file beaucoup trop longue se réduire trop lentement à son goût. Une partie de lui aimerait bien qu'ils passent directement aux voeux et mettre fin à ce fiasco, qu'ils rentrent chacun de leur côté chez eu et qu'ils n'en parlent plus. Un plan qui peut sembler bon sur le papier mais qui a une faille: ils sont voisins. Le chemin du retour risquait d'être très gênant s'ils avaient la même idée au même moment. Si leur rendez-vous devait se terminer si abruptement, il faudrait que l'un des deux décide de faire un détour avant de rentrer.
Enfermé dans sa gamberge, il ne rebondit pas à la réponse de Moon qui n'invitait pas forcément à la conversation. Son esprit décida de s'enfermer dans une boucle pernicieuse dans laquelle il passait en revue tous leurs rendez-vous précédents, comme s'il analysait des bulletins de notes en vue de donner une note finale à un étudiant. Si leur verre à l'issue de leur rencontre s'était bien déroulé, il eut l'impression d'enchaîner bourde sur bourde. Entre la journée à l'aquarium de Kobe qui aurait pu se terminer autrement et son passage chez elle avec ces montagnes russes d'émotions... Le bilan était très mitigé.M-Mais. Mais c'est vous !?
Ces mots le sortirent de la brume. Devant lui un homme d'une trentaine d'années, l'exemple caricatural typique de l'otaku comme on en voit dans les journaux. Il s'était retourné par hasard et l'avait interpelé comme s'ils se connaissaient. Si Ryuji n'avait aucune idée de qui était cet homme, le type semblait le connaître. Ou du moins, il semblait bien connaître "ses oeuvres". Ryuji se demanda de quoi il pouvait bien parler, avant que son cerveau ne relie les points entre eux... Il s'agissait visiblement d'un "grand fan" de son travail d'illustration quelque peu épicé. Merde.
Autant il n'avait rien caché à sa partenaire, autant il n'avait jamais osé penser qu'un lecteur ne le reconnaisse dans le foule ! Surtout qu'il avait bien pris soin de signer sous un autre nom et de ne jamais apparaître publiquement dans aucun média ni aucune convention spécialisée. Au pire il était là en visiteur anonyme mais il n'avait jamais participé à des séances de dédicace. En bref, il se demandait comment cet homme avait pu faire le rapport entre Ryuji Yamashiro et les dessins érotiques qu'il avait signés. Conscient d'être en porte-à-faux, il décida de feindre l'ignorance.Houla. Euh. Pour être honnête, je ne vois pas du tout de quoi vous pouvez bien parler, monsieur...
— M-Mais... Mais vous êtes bien l'auteur de [titre de manga olé olé du début des années 2000], non ?
— Non non ! Je vous assure que ce n'est pas moi...
La situation été ubuesque. Fort heureusement, il s'était gardé de crier haut et fort le titre du dit tome, sur lequel Ryuji aurait pu effectivement travailler par le passé, peut-être. Il n'en était plus sûr, il avait collaboré tellement de fois qu'il lui arrivait d'oublier. Si le type l'avait dit plus fort, les autres personnes dans la file se seraient retournées et Ryuji pouvait déjà imaginer leurs regards interrogatifs, voire accusateurs pour celles et ceux ayant reconnu le nom du manga dont il était question. Faire son petit succès dans l'édition de littérature érotique, ça peut avoir du bon mais ça peut surtout avoir des conséquences très gênantes si cela s'apprend dans des milieux où cela ne s'y prête pas, notamment lorsqu'on se reconverti en professeur, lorsqu'on profite d'un congé pour se rendre dans un temple ou quand on décide de le faire avec une personne à qui on tient. Absolument pas la situation du jour, non non.
Ryuji lança un coup d'oeil rapide à Moon, d'une pour vérifier qu'elle n'ait pas fui et de deux, tenter de voir une émotion chez elle. En plus, vu sa stratégie de défense, cela pouvait clairement être vu comme une réponse totalement normale venant de quelqu'un qu'on prenait pour quelqu'un d'autre. Il n'eut pas le temps de bien analyser sa posture car l'autre revint à la charge.J'en suis totalement sûr ! J'adore votre travail, j'aimerais beaucoup que vous me dédicassiez le dernier volume, s'il-vous-plait. Vous vivez ici ? Vous êtes en vacances ? C'est pour ça que le manga n'est plus édité ? Et vous êtes venu accompagné ? Et et et (...)
— STOP. Shinji. Cet homme te dit que ce n'est pas lui, laisse le tranquille enfin, tu me fais honte.
Sauvé par le gong. Ou tout du moins par cette gentille femme très compréhensive qui avait intervenu en sa faveur, rappelant à l'ordre celui qui aurait pu être son amie ou même plus, vu comme elle l'avait recadré. Penaud, l'homme s'inclina pour s'excuser envers Ryuji puis repris place dans la file qui avait bien avancé pendant ce temps. Le flux naturel forçant Ryuji et Moon à suivre le pas, ils les rattrapèrent jusqu'à l'entrée de la bâtisse où se trouvait la fameuse cloche à faire sonner. Encore quelques minutes et c'était à eux.
Une fois la pression redescendue, il se retourna en direction de Moon :Je suis désolé... Je t'assure que je ne connais pas ce type ni même le manga dont il parlait. C'est un énorme malentendu... dit-il tout haut avant de chuchoter puis c'est pas comme si on pouvait me reconnaître...
Il espérait vraiment de tout coeur qu'elle le croit. Il avait fait l'inventaire de tout ce qu'il avait pu décider et très honnêtement, ce que l'homme avait cité ne correspondait absolument pas ! Il s'était vraiment trompé de cible et à cause de lui, Ryuji risquait de perdre de précieux points ; encore faut-il qu'il lui en reste. Si on prenait cette mini-esclandre en compte, il était bon pour le célibat et pour une fin de date séance tenante...
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Le silence. Il est lourd, écrasant, pesant. Parce que Moon aimerait bien autre chose. Non, parce qu’elle attend autre chose. Même si elle ne sait pas exactement quoi, elle voudrait que ça se passe bien, et qu’elle puisse avancer avec les épaules droites et l’allure fière. Qu’elle puisse avoir confiance en l’avenir. Qu’elle puisse construire le futur auquel elle aspire. Celui qu’a construit toutes ses amies à Tokyo. Celui qui lui fait peur, mais auquel il faudra bien se confronter un jour. Celui qui rend tout plus stable.
Le silence n’est pas rompu par Moon.
Ni par Ryuji.
Mais par un inconnu, à l’air désagréable. Moon l’observe, des pieds jusqu’au haut de la tête. Ce n' est pas terrible. Il a l’air empêtré dans des jours et des jours d’enfermement. Peau pâle, baskets trouées, vêtements trop lâches et délavés. Moon n’aimerait pas se montrer en public avec ce genre de type. Elle ne comprend pas vraiment la demoiselle qui l’accompagne. Elle est plutôt jolie, elle, pourtant. Une touche de maquillage, des cheveux bien coiffés, et des vêtements repassés. Qu’est-ce qu’elle fout avec un type pareil ?
Et si seulement ce n’était que le physique. Le pauvre homme insiste et insiste à vouloir parler du travail de Ryuji. Et cite même le nom d’un bouquin de fesses. Un peu de tenue ! Ce n’est pas une honte, de consommer, mais il n’est peut être pas nécessaire d’en faire toute une histoire au temple. Pauvre fille ! Oh oui pauvre fille. Elle essaie de le cadrer, honteusement. C’est peut être du transfert, mais Moon a l’impression qu’elle veut se casser, et qu’elle aimerait qu’il se calme, qu’il se taise.
Elle mérite certainement un prince charmant, qui l’écoute et ne lui fasse pas honte.
Il finit par obéir, comme un enfant. Quel horrible portrait. Quelle horrible relation, aussi. Est-ce que c’est ça, le couple, après des années de vie commune ? Il faut être la meilleure amie, l’amante, et aussi la maman. Mettre les règles, taper sur les doigts ? Cette altercation lui fait peur. Au fond, elle s’en fout pas mal que ce soit sur un manga de fesse. Que Ryuji ait eu cette activité, soit.
Mais elle ne peut s’empêcher de se comparer à ce triste couple : Ryuji et elle, ça ressemble à quoi, d’extérieur ? Qu’est-ce qu’elle pense, cette pauvre dame ? Est-ce qu’elle voit combien Moon est gênée et honteuse ? Est-ce qu’elle pense pareil : « Fuis, pars, avant de finir comme moi » ? Elle n’en saura jamais rien, ils ont repris leur place dans la file.
C’est pas grave.Pas besoin d’autant se justifier.
Tu n’es pourtant pas si banal.Ryuji, métisse, aux cheveux roux, et aux yeux clairs, ne ressemble définitivement pas au japonais lambda. Alors, peut-être qu’il y a bien un rapport entre ce manga et lui. Ou un autre manga. Peut être que ce fan le reconnaît bien. Mais il s'est juste trompé de titre.
Ou peut-être qu’ils ne se connaissent pas du tout. Mais ce n'est finalement pas si grave. Moon est tellement perdue dans ses pensées, dans son doute relatif au couple. A leur couple. Que l'événement lui glisse dessus. Elle devient petit à petit imperméable.
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Au vu de la réaction de Moon, l'incident semblait ne pas avoir fait de vague. Chanceux, le Ryuji, ou bien totalement bercé par ses espoirs, allez savoir. Quoi qu'il en soit, la file était en train d'avancer et aussi naturellement que précédemment, ils se mettent à suivre un peu distraitement le flux. Encore deux duos et c'était à leur tour. Pas si banal, hein...
, dit-il à haute voix sans s'en rendre vraiment compte. Elle ne sembla pas sourciller, pourtant. J'avais juste pas envie que ça amène encore plus de... il marqua une pause de gêne.
Dernier duo avant de leur, le couple en question. Le pauvre boug de tout-à-l'heure se faisait encore chambrer par sa prétendue copine. Ryuji, lui, broyait du noir. Il espérait ne jamais se retrouver dans cette position là, à se faire reprendre par sa partenaire pour ses excès, ses enthousiasmes. Soit il se contrôlait, et pour de bon, soit la situation devait changer entre Moon et lui.Nous y voilà.
, dit-il sans grande conviction, devant le stand aux cloches. Cette fois, pas question de reproduire l'erreur de la dernière fois. Il se contenta de s'avancer vers la corde, se préparant à la sonner en ayant une idée de ses voeux en tête quand le bonze en place le stoppa.Monsieur, ne laissez pas cette jeune dame en arrière : faites vos voeux ensemble
, dit le vieil homme avec un air bienveillant en pointant Moon.
Ryuji soupira de résignation. Il ne voulait pas que la sortie s'arrête mais ne voulait pas trop envahir l'espace de Moon. Il se contenta de saisir la corde de la main gauche et de se retourner vers la coréenne. La porte était ouverte, il lui suffisait de prendre la corde elle aussi... ou pas.
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Parfois, Moon a l’impression que la vie n’a aucun sens.
Il y a six mois encore, elle aurait rêvé d’un homme. Un vrai. Un qu’elle peut aimer, et qu’elle peut présenter à ses copines. Un qu’elle n’a pas à cacher. Et maintenant que c’est le cas, que Ryuji n’attend que ça, elle se trouve complètement interdite. Les hommes, c’était plus simple de les rêver que de les aimer.
Pourtant, elle aime Ryuji. Enfin, elle le croit. C’est difficile, de vraiment le dire. Elle est complètement perdue sur ce point. Elle qui a toujours eu des relations passionnelles et passionnées, ne comprend pas bien comment vivre avec quelque chose d’aussi simple.
Non, non…Comment ça pourrait amener plus de gêne ? Ils arrivent à un certain paroxysme.
Ne t’inquiète pas.
Leur tour arrive, et Moon reste muette. C’est un peu plus simple, au sanctuaire. Sûrement qu’ils ont prévu les questions des touristes. A droite de la cloche, un panneau indique en pictogrammes les gestes à faire. Taper des mains, attraper la corde, tirer sur celle-ci, faire sonner la cloche.
Alors, elle accepte la main tendue par Ryuji. Leurs yeux se croisent. C’est ridicule, cette journée, mais Moon a l’impression que ça le serait davantage si elle restait en contrebas. En quelques pas, elle arrive sur la petite estrade, elle tape deux fois sur ses mains, avant d’attraper la corde.
En cœur, ils tirent dessus, et font sonner les cloches. Les yeux fermés, Moon essaie de faire un vœu. Mais interdite, elle n’en trouve aucun. Comme pour se rattraper, en dernière minute, juste avant de lâcher la corde, elle se dit :
faites que cette fin d’année soit heureuse.
Pour lui, et moi.
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Finalement, Moon accepta de rejoindre Ryuji et de saisir avec lui la corde reliée à cette fameuse corde. Il ne savait pas vraiment que souhaiter. Qu'ils aient un bon avenir ? Ca semblait un peu cliché. Certes, c'est sans doute ce qu'il voulait au fond mais bon... Peut-être aurait-il autre chose en tête.
Réfléchis, Ryuji. De l'argent ? De la gloire ? Du succès dans son travail ? Ce n'était pas comme s'il avait encore besoin de tout cela à l'heure actuelle : son métier de prof le mettait assez bien à l'abri financièrement. De plus, les quelques royalties sur ses dessins lui permettaient d'avoir un petit supplément pour se faire plaisir tout en mettant de côté. La gloire, il n'en avait que faire : inutile d'être célèbre pour être un bon prof et être un bon prof, c'était ce qu'il voulait faire de sa vie.
Et l'amour, dans tout ça ? Depuis quelques mois il avait l'impression d'avoir trouvé quelqu'un de bien. Certes, leurs rencontres n'étaient pas des plus paisibles et ce qui semblait être leur couple ressemblait plus à une amourette adolescente qui se la jouait sérieuse plus qu'à un couple d'adultes mais il y avait encore la possibilité que ça s'améliore. Peut-être que le voyage de fin d'année organisé par l'école allait leur permettre de se rapprocher ; qui sait, une sortie en dehors de Kobe, loin de l'école...
Il secoua la tête pour se sortir de la gamberge et fit sonner la cloche en même temps que Moon. Il souhaita que l'année se finisse sous de bonnes augures et que la suivante soit encore meilleure. Classique, au final, mais efficace ! Une fois la cloche sonnée, ils laissèrent la place aux autres visiteurs, la file était vraiment longue. Une salutations solennelle supplémentaire et ils étaient prêts à partir. Devant l'enceinte du temple, Ryuji se retourna vers Moon.Tu veux qu'on aille manger quelque part ou qu'on fasse autre chose ?
, demanda-t-il avec un petit sourire.
Si elle décidait de rentrer, il comprendrait. La sortie avait été riche en rebondissements, comme d'habitude entre eux au final.
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Au son des cloches
feat. Ryuji
Elle aimerait bien, Moon, que ça éclaircisse toutes ses pensées. Ne plus avoir à réfléchir, et juste se laisser aller. Elle sait, pourtant, que ce n’est pas plus simple. Ces derniers mois ont été extrêmement challengeants pour elle. L’amour, elle n’arrive pas à le rendre facile. Il faut que tout soit compliqué.
Elle aimerait bien, Moon, que ça apaise ses à prioris. Ceux qu’elle a sur Ryuji, surtout. Parce qu’elle le sait, au fond de son cœur, qu’il ne ressemble pas à l’image qu’elle se faisait de l’homme idéal. Pourtant, il a de l’argent, une bonne figure, et une bonne famille. Il est juste… plus maladroit ?
Elle aimerait bien, Moon, que ça achève tous ses rêves de prince charmant. Ou de prince pas si charmant. Elle doit apprendre à s'éloigner de ses besoins de relation toxique et profiter de ce que peut lui proposer Ryuji. Elle est bien avec lui, alors pourquoi toujours regretter les époques où elle devait se cacher dans les bras de son ex, Takumi ? Elle a tellement eu l’habitude de chasser des garçons qui ne lui trouvent aucun intérêt qu’elle se sent presque gênée par l’amour débordant du français.
Mais cet amour débordant, il est réconfortant, aussi parfois.
Moon lâche la cloche, et après quelques pas, répond à la proposition de son amant. Elle va faire des efforts :
D’accord, allons manger.Un restaurant à côté, ou très très très loin, un restaurant de luxe, ou un boui-boui familial, arrosé de champagne ou d’asahi.
Moon aimerait bien le suivre.
#terminé