Prise en otage | ft. Maya

A la remarque de Maya, Moon contient un petit rire, qui se transforme en large sourire. Si seulement Maya savait. Oh oui que c’est arrivé ! Moon a participé à bien plus d’un tournage, mais elle veut garder le mystère et se contente d’effleurer la question :



Même si Moon est chercheuse, elle est loin d’être novice en technique. Par passion, d’abord - après tout, le pré-cinéma est aussi une question de technique -, mais aussi par professionalisme. Contrairement aux universités françaises, les facs japonaises ont à cœur de transmettre un enseignement pluridisciplinaire et professionnalisant. Le passage par la pratique est donc obligatoire.



Et heureusement, elle avait gardé quelques contacts. Un ou deux producteurs, pour qui elle avait tourné enfant, et qui ont eux aussi migré pour le Japon. Elle avait d’abord hésité à les contacter pour finalement oser. Après tout, il faut pouvoir manger et payer son loyer. Ses parents envoyaient une maigre pension que Moon se devait de rallonger.



Moon pose une main sur ses lèvres. Et voilà qu’elle commence. Elle n’est pas professeur pour rien, et elle s’emballe vite lorsque ça parle fin du XIXe siècle.

Au contraire. Au jeu du boulot étudiant, Moon a eu de la chance. Pas de travail de nuit dans des konbinis, pas d’odeur de graisse du Mc Do. Elle a pu gagner son argent en travaillant dans un domaine qui lui plaît et qui n’est pas forcément accessible, même diplôme en poche.



S’émanciper un peu des parents. Maya n’est certainement pas pauvre, mais vu ses relations avec son paternel, elle aurait tout à fait raison de trouver son propre argent. Plus on se prend en main tôt, plus c’est facile de tenir tête à sa famille.



Un petit sourire.  Moon a déjà invité Maya une première fois, mais elle n’est pas sûre que l’étudiante soit vraiment intéressée par le cinéma. Ce n’est pas grave, on ne peut pas plaire à tout le monde. Néanmoins, sa dernière remarque la fait sourire. Dieu sait combien la coréenne aime Paris.



Pourtant, elle a bien vu les travaux partout, les poubelles renversées, les trottoirs sales. Mais ça n’a rien enlevé au charme de la vieille ville.

Un rire honnête, sincère, s’échappe des lèvres de Moon. Décidément, Maya n’en a pas fini d’être étonnante. Moon se doute bien de l’intérêt de la jeune femme pour l’argent, mais le déclarer avec autant de lâcher prise est surprenant.



Serveuse, préparatrice de commande, maïd. Il y a bien des boulots auxquels Maya pourrait correspondre. Mais il y a en a un qui vient à l’esprit de Moon tout de suite :



Après tout, Maya est étudiante en littérature, elle est plutôt de bons conseils pour les livres, Moon peut en attester. Et puis, avec son caractère explosif, c’est certainement plus judicieux de l’encourager à rester dans un environnement calme que très fréquenté. Il y a plusieurs enseignes à Kobe et il n’est pas rare de voir quelques étudiants à mi-temps ranger les mangas en rayon.



Quoi qu’un peu peuplé.

Serveuse ? Moon lève un sourcil. Elle n’imagine pas vraiment Maya le sourire aux lèvres et la patience nécessaire pour servir les clients les moins sympathiques. A la limite, en tant que maid, pour camper le rôle de la Yandere. Encore que la clientèle masculine ne risquerait pas d’être au goût de l’étudiante.

Enfin bon, peu importe. Maya fera bien ce qu’elle veut. Après tout, il faut bien que jeunesse se fasse, et tant qu’elle ne se confronte pas à des situations professionnelles diverses, elle ne pourra pas apprendre ce qui lui plaît et ce qui la dérange.



Ni par la Samotrace, ni par la Vénus. La Joconde, par contre, est plus petite que ce que Moon avait imaginé. Une réaction banale. Tout le monde semble déçu par La Joconde. Moon a bien plus été marquée par Les Noces de Cana. Un tableau immense, gigantesque, dans lequel on se sent avalé, juste en face de la fameuse Mona. Si jamais elle revient en France, Moon espère pouvoir se perdre dans ce tableau.

Moon lève les sourcils. Elle maîtrise pourtant parfaitement l’air de la poker face. Sauf si Maya sait lire dans les pensées, il y a peu de chance qu’elle comprenne le fond de la pensée de la jeune professeur. C’est que Moon n’avait pas pensé important de relever sa phrase. Après tout, Maya semble assez persuadée par ce travail.  



Et par définition, responsable.



Se permet-elle néanmoins de souligner. C’est curieux, comme choix de boulot pour Maya. Maya la féministe. Maya l’anti société paternaliste. Moon n’a rien contre les cafés à thèmes, à priori. Chacun a ses fantasmes. Mais depuis qu’elle commence à lire les autrices, plus difficile de nier leur but. Les hommes qui s’y font servir s’y amusent plus que les femmes qui y travaillent.



Moon a encore bien des villes et des pays à découvrir.

Cette fois, Moon ne cache pas sa moue. Définitivement, ce ne serait pas une bonne idée, maid. Il faut quand même avoir un certain relationnel, savoir prendre sur soi. Et Maya ne fait même pas semblant.  



La bonne manière de travailler sur les mecs, c’est d’en rencontrer. De leur laisser leur chance. De ne pas les agresser à la première occasion. Mais évidemment, pour rencontrer des gars sympas, il faut faire attention où on se balade. Et définitivement, pas dans les maids café. Pas en tant que serveuse.



Ce ne serait pas la première fois. Un haussement d’épaules. Le sujet de l’Europe est peut-être un poil plus intéressant. Moon a visité la France et l’Italie plusieurs fois. Elle a même dans ses tiroirs quelques souvenirs de ces deux pays. Utiles, les souvenirs. Moon n’est pas du genre à conserver des attrape-poussières.



Et très artistique.

Pire ? Pire que quoi ? Moon se demande quel genre de type Maya a eu la malchance de croiser dans sa vie pour être aussi hargneuse. Alors, oui. Lorsqu’on est très penchée sur le féminisme, on peut avoir une certaine difficulté à accepter les réflexes patriarcaux des hommes. Mais il y a une différence entre ça et les détester par nature.

Et Maya, elle les déteste par nature.



Moon ne dispute pas Maya sur cette plaisanterie. De mauvais goût, évidemment. Il est préférable d’éviter les menaces de mort. Même pour des personnages imaginaires. Mais Maya a cette habitude d’être trop excessive. Tout le temps. Et elle ne pense certainement pas ce qu’elle dit.



Dans le sens “Est-ce que je peux me permettre de vous bousculer un peu, ou risquerais-je de voir vos larmes encore une fois ?”

Il y a toujours le choix. De refuser de répondre. De mentir. De faire omission. Moon ne lui en aurait pas voulu. Après tout, elle n’a pas les qualifications pour. Elle n’est personne pour lui forcer la main. Mais Maya répond tout de même.

Moon est tout de suite gênée. Elle a la sensation de lui retirer les mots de la bouche. De les sortir, sans vraiment le consentement. Alors, elle glisse une main désolée dans ses cheveux pour rectifier sa coiffure. S’occuper les mains, ça permet de cacher un peu les sentiments.

Les traumatismes, ça ne se contrôle pas. Difficile de vraiment comprendre ce que le père a pu faire pour être un “vrai connard”, ni les modalités de la noyade. Mais Maya semble garder une certaine distance, et Moon n’a plus tellement envie de creuser. Elle le sait, plus on essaye de chercher les détails, et plus vite les larmes peuvent sortir.

Là, tout de suite, Moon n’a pas envie de voir les larmes de Maya.



Enfin non, pas totalement, mais elle peut le concevoir.

Alors, si Moon est rassurée de voir que l’idée qu’elle lui a suggérée n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde, elle ne comprend pas vraiment ce que Nissa a à voir avec cette histoire.

Le psy, c’est quelqu’un que l’on va voir seul. Seul avec ses pensées. Seul pour pouvoir tout lâcher, sans aucune peur du jugement. Et même si parfois, ça fait du bien de tenir la main d’un proche pour pouvoir avancer, il faut pouvoir faire le chemin seul.

Mais. Nissa ?



Il faut déjà être certain que l’on parle de la même Nissa. C’est quand même une drôle de coïncidence. C’est qu’il n’y a pas que trois étudiants et trois lycéens à Kobe. Et il faut que Moon tisse des liens avec deux copies. Sans s’en rendre compte.

Et quel type de copines ? Les idées de Moon s’éclairent tout de suite. AH ! Ce genre de copine ! Le genre de copine qu’on embrasse et qui n’est pas sûre d’aimer les filles ! Le genre de copine qui embue les sentiments de Maya.

Moon s’est trompée. Complètement trompée. C’est qu’elle fait des liens un peu trop rapides. Bien sûr que Maya n’a pas qu’une seule amie. A quoi pensait-elle ? Après tout, ce n’est pas une raison. Elle peut s’être brouillée avec Nissa ET quelqu’un d’autre. Ce n’est pas si déconnant. Après tout, la belle blonde a un sacré caractère, et ça ne peut pas matcher à tous les coups.



Et puis même si elle ne s’était pas trompée, elle a fait le pas de trop. Celui de travers, qu’il faut éviter de faire lorsqu’on est professeur. Ce n’est pas l’histoire de Moon. Et elle n’a pas à s’immiscer dans celle de Nissa. Après tout, la lycéenne a été assez mignonne pour ne pas chercher à comprendre ce qui se tramait entre Moon et Ryuji. Et pourtant, elle avait tous les indices en main.



Plus que surprise, complètement effrayée, oui !

Si seulement. Elle aimerait pouvoir donner à Nissa le goût de la photographie. Lui insuffler une vraie passion. Mais la lycéenne est déjà proche des choix universitaires, et elle semble davantage attirée par les sciences que par les arts.

Quoi que, il ne faudrait pas séparer les deux. Il y a de superbes photographies biologiques, et des documentaires plus intéressants encore ! Après tout, l’image animalière, ça se vend bien.



Un petit rire. De l’excès de zèle, oui. Moon aime voir les petites étoiles dans les yeux des étudiants. Alors, elle ne dit jamais non. Jamais.



Il n’y a pas de petit favoris - quoique, Moon a vraiment développé une tendresse pour la petite Nissa -, tout le monde a sa chance.

Moon ne remarque pas l’once de déception dans la voix de Maya. Ni la petite jalousie. En fait, elle a l’impression que l’étudiante s’intéresse vraiment à sa matière. Au premier degré. Et après tout, pourquoi pas ? Elle est bien au club d’arts plastiques, ce n’est qu’une autre manière de mettre en valeur les images.

Et puis, elle est loin de se douter de la relation entre les deux jeunes femmes. Et même si elle n’imagine pas un double cours (Nissa est déjà bien avancée, et il y aurait le club de photographie pour ça), elle propose quand même à Maya :



Après tout, elle n’a pas oublié dix ans de pratique.

C’est bien Maya, ça. Choisir l’option la plus difficile pour Moon ! Mais après tout, c’est celle qui lui correspond le plus. Elle ne lui imagine pas la patience pour supporter une longue session de post-production… et son lot de soucis techniques. Il faut avoir les nerfs solides pour ne pas exploser son PC contre un mur lorsqu’il ne fonctionne pas. Et ça arrive bien trop souvent dans ces métiers.



Un petit rire. C’est tout le talent de l’actrice. Sortir de son rôle de tous les jours pour emprunter l’esprit et le corps de quelqu’un d’autre. D’un inconnu. Parfois même d’un fantasme. Mais c’est un bon défi pour Maya. Peut-être qu’en apprenant à jouer, elle pourra même gérer sa colère.



Moon glisse un oeil sur sa montre. Stratégie de repli ! Elle n’a pas du tout envie de s’étaler sur sa vie privée. PAS du tout. Et puis, sauvée par le gong : c’est l’heure de fermer le club. La trentenaire ne pourrait pas en être plus heureuse !



Ou pour jamais. Faites que Maya oublie cette petite histoire, elle n’a pas besoin de connaître tous les détails. Quoi que Nissa en sait déjà un peu trop, et il lui suffirait de lui poser les bonnes questions.

Un petit rire. Moon ne la croira pas sur parole. Certainement pas ! Jouer, c’est tout un art. Et peu de personnes ont la chance de pouvoir naturellement prendre le caractère des autres. Même Moon n’a pas cette chance. Peut-être trop authentique, son naturel reprend vite le dessus. C’est qu’elle n’a pas pratiqué depuis longtemps. Trop longtemps, même.

Et elle devrait trouver une raison de reprendre. Un jour, ça viendra. Elle se l’est promis. Elle a juste besoin d’un petit coup de pouce. Une raison de se remettre au théâtre. Toute seule, elle ne l’osera pas.



Et malgré le caractère explosif de la gothic lolita, elle n'est pas si désagréable. Certes, avec elle, il faut prendre des pincettes, de grosses pincettes, mais Moon pourrait presque s’être attachée à son étudiante.



Un sourire honnête. Elle ne voudrait pas que Maya prenne ça pour une invitation en l’air. Même si les autres ne l’étaient pas, Moon a la sensation que ce cours pourrait vraiment lui être utile. Plus que le cours magistral sur le pré-cinéma.

Peinture rangée. Pinceaux lavés. Monsieur lapin dans le sac. Moon prépare la clé de la salle, et invite Maya à partir avant elle. Elle n’a pas envie de l’accompagner dans les couloirs, et se risquer à devoir raconter ses histoires d’enfant.

#terminé