Prise en otage | ft. Maya

Si les professeurs le lui rappellent si souvent, c’est qu’elle ne fait pas assez attention. Moon secoue légèrement la tête. Décidément, elle est pleine de contradictions, et le pire, c’est qu’elle ne semble pas se rendre compte ni de ses mots, ni de l’assurance avec laquelle elle se permet les familiarités.

Moon fait un pas (métaphorique) en arrière. Si elle trouvait l’étudiante mignonne et était prête à lui laisser passer le coup de la crise de pleurs, elle est un peu moins positive suite à ce nouvel événement. Si elle est capable de parler ainsi de Ryuji, que peut-elle dire sur Moon ?



Que ce soit cinéma, visite à l’aquarium, ou encore visite impromptue d’appartement. La professeur de cinéma l’a bien saisi : elle ne doit laisser aucune porte ouverte à Maya. Et si jamais elle apprenait pour leur flirt ? Pas certaine qu’elle resterait de marbre.



Et oui, elle connaît une personne qui ne devrait pas la repousser. A coup sûr, elle ne sait rien. Elle n’a pas encore dépassé assurément toutes les limites. Mais ça, Maya n’a pas à le savoir.

Moon décide de ne pas appuyer davantage sur le sujet. Elle espère que Maya a compris. Après tout, la jeune femme s’excuse et semble changer de sujet. Moon va faire attention, à l’avenir, à ce qu’elle dit, mais n’est pas non plus assez fâchée pour sortir de la salle et ignorer l’étudiante.

D’une certaine manière, ce serait même un peu too much, et lui donnerait trop d’importance.



Pourtant, ce n’est pas évident, l’Amérique. Là-bas, le mariage n’est pas accepté dans tous les Etats. Et si la Californie et New-York sont un peu plus ouverts sur le sujet, il y a bien des endroits dans lesquels mieux vaut pas être homo. Alors, la pression de la famille, c’est certainement la même dans pleins de pays.

Et la famille de Maya n’est-elle pas aussi assez sévère ? De leur dernière discussion, Moon conserve une certaine tension.

Un petit hochement de tête. Après tout “Maya Wayne”, ça ne s’invente pas. Moon se demande dans quels endroits du pays elle a vécu. Après tout, le pays est grand, et il y a bien des choses à voir, mais là n’est pas le sujet, et la petite étudiante est bien plus concernée par les émotions de son amie.

Chaque chose en son temps, Moon essaie de se concentrer pour un peu comprendre la situation. C’est le genre de moment dans lesquels elle aimerait avoir un carte “meilleur ami homo” à sortir, pour pouvoir lui poser des questions, et proposer une vraie aide.

Malheureusement, elle est complètement démunie.



C’est bien une chose que toutes les sexualités partagent : l’amour, ça ne se discute pas. Ça arrive sur le crâne et il faut faire avec. Il y a bien des stratégies d’évitement. Ne plus jamais voir la personne qu’on aime en est une. Loin des yeux, loin du cœur. Mais la pauvre amie de Maya ne pourra pas le faire toute sa vie.

Moon aimerait pouvoir assurer qu’avec l’âge, elle n’est plus étonnée par grand-chose. Mais c’est faux. D’une part, elle n’est pas assez vieille pour pouvoir tirer la carte de la sagesse. D’autre part, elle n’y connaît rien en problèmes LGBT. Impossible de se mettre dans les chaussures d’une personne en mal de sa propre orientation, elle a du mal à s’imaginer dans cette situation.

Au fond, si elle tombait amoureuse d’une femme, pas sûre que Moon en serait heureuse.



Maya est à priori une bonne amie. Si elle prend soin de toutes les personnes de son entourage comme ça, elle va néanmoins s'abîmer la santé. S’inquiéter pour les autres, c’est important, mais au point de se prendre la tête.



Rien de plus efficace que beaucoup d’alcool, mais ce serait peu pertinent de le proposer à Maya. Elle a l’âge de boire, mais ce n’est pas une leçon morale. Il y a aussi les virées shopping, acheter des beaux vêtements, ça comble parfois le trou béant dans la poitrine.

Une petite moue désolée. Décidément, Moon fait une piètre confidente. C’est que la scène est délicate, et que la professeur n’a toujours pas entamé de formation en psychologie. Aussi, elle ne veut pas trop creuser. Chaque situation est délicate et la pauvre amie de Maya n’a pas forcément envie que Moon soit trop au courant.



Que ce soit pour oublier leurs sentiments, ou pour mieux les accepter.



Elle se tracasse trop. Et puis, de toute manière, il n’y a pas un chat dans le club d’arts plastiques en cette fin d'après-midi. Si Maya s’en va, Moon va certainement fermer la salle, rentrer dans son petit appartement, avancer sur ses cours de la rentrée, et se reposer sur son petit balcon.

La toile de Maya est encore là, devant elle, prête pour accueillir les petits coups de pinceaux nécessaires à l’achever. Il y a bien Monsieur Lapin, aussi, qui n’attend que d’être croqué, allongé comme l’une de ces femmes françaises.



Maya n’est peut-être pas l’artiste la plus expérimentée du club, mais Moon a beaucoup à apprendre. Après tout, elle en est encore à l’étape “croquis” avec Sorin. Elle n’est pas du genre à brûler les étapes, mais elle a la sensation que ça pourrait être une bonne diversion pour Maya.

Penser à autre chose, se mettre dans les pieds d’une professeure.

Moon se rapproche avec son petit carnet canson A4, sur lequel est croqué assez maladroitement le pot et les pinceaux au crayon gris. Les perspectives ne sont pas parfaites, les tracés non plus, mais après tout, peu importe : c’est une base pour poser quelques couleurs.

Un petit rire. En une phrase, elle résume combien son niveau est lamentable. Moon ne connaît rien en la discipline. Même si l'on apprend certainement en observant, et que la jeune référente a pris le temps de détailler les gestes de ses étudiants, elle ne les a jamais mis en pratique.

Assez énergique, elle est contente que sa proposition soit acceptée par l’étudiante. Pas tant pour progresser en arts, que pour voir ses yeux s’estomper tristesse et inquiétude.  



Pinceau à la main, le premier qui traînait, Moon essaie de prendre la bonne posture. Mais malheureusement, elle tient l’outil assez maladroitement. C’était déjà son problème avec les crayons de bois, et Sorin lui avait appris à s’améliorer. Décidément, elle n’a pas les bons réflexes.

Moon est concentrée. Finalement, elle prend assez au sérieux ce qui devait, de base, être une excuse pour sortir Maya de ses propres pensées. La jeune professeur prend le temps d’écouter chaque conseil, et si elle se rate souvent lorsqu’elle copie les gestes de l’étudiante, elle fait attention à corriger dès que possible ses erreurs.

Peindre, c’est pas si désagréable. Surtout parce qu’il n’y a personne pour juger, certainement. Moon ne montrera pas ce petit dessin à toutes ses amies la fierté dans la voix. C’est un véritable torchon. Les couches sont trop épaisses, les couleurs ne vont pas ensemble, mais à minima, Moon sait maintenant tenir un pinceau correctement.



Un grand sourire. Et finalement, un éclair ! Si Moon n’a pas de question, Maya pourrait revenir à ses questions, et il reste encore une bonne demi heure avant que le club ne ferme. Moon veut profiter de ce temps pour ne pas laisser Maya en plein blues.



Rediriger la conversation, poser des questions, la relancer ! Moon peut bien faire ça.

Du bout des lèvres, Moon souffle sur la peinture, afin qu’elle sèche. Il y a bien des sèche-cheveux dans l’un des placards de la salle du club, mais Moon ne voudrait pas que le son de l’appareil couvre la voix de Maya.



Elle continue de souffler, d’un peu plus belle. Elle voit les premières couches se durcir. Peut-être que Moon pourra récupérer son carnet à force.



Un léger sourire. Dit comme ça, le parcours de Moon semble avoir été simple. Mais il a en fait été un peu plus difficile que cela. Elle a travaillé d’arrache pied tout le long des années universitaires. Ensuite, elle a participé à de nombreux colloques au Japon et ailleurs. Moon n’a pas eu peur de sacrifier le début de sa vie pour son travail. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle se trouve sans époux et sans enfant.

Mais après tout, le poids de la maternité risque d’être tout différent pour Maya, autant qu’elle s’occupe sur un autre projet.

Pour être un bon professeur, il faut d’abord être passionné par sa matière. Moon en est persuadée. Difficile d’emporter les étudiants lorsqu’on est nous même lassés par ce que l’on apprend. Surtout, il ne faut jamais être fatigué de découvrir. La connaissance se travaille bien après l’obtention des diplômes.



Ensuite, il faut savoir gérer ses humeurs. Pas question de pleurer après une remarque vexante, de frapper pour un commentaire déplacé, de s’amouracher après quelques œillades langoureuses. Sans devenir une pierre, il faut savoir prendre du recul. Décidément quelque chose qui manque à Maya.



Bien sûr, tout le monde a ses “petits préférés”, les professeurs sont des humains, pas des machines. Mais pas question de mal noter les garçons un peu trop perturbateurs !

Une petite moue tord le visage de la professeure. Pour les cours d’université, il ne faut pas prendre les choses à la légère. Les universitaires sont souvent des passionnés qui ont donné toute leur vie à leur sujet de recherche. Difficile de tomber là par hasard, et surtout pour les sciences humaines.

Il y a beaucoup de coureurs, mais pas assez de place sur le podium.



Écrire des articles, rencontrer des collègues dans des colloques : Maya est déjà en troisième année d’Université, et il ne faut pas hésiter à commencer à se montrer. On fait son trou en marquant les esprits.



L’un n’allant de toute manière pas sans l’autre.

Encore les hommes. Toujours les hommes. Les mêmes hommes. Maya les a à travers la gorge, et ne peut cesser d’en parler. A croire qu’ils la fascinent tout autant qu’ils la dégoûte.



Une affirmation, pas une question. Après tout, c’est assez logique. Les livres féministes lus par Moon attestent de la passion de l’étudiante. C’est évident, Maya est brûlante à ce sujet, et c’est plutôt un bon signe. C’est important de se sentir vibrer par ses recherches.



Un petit rire. Moon est trop perfectionniste, peut-être, alors elle ne supporte pas qu’une tierce personne mette son nez dans son travail. Discuter ensemble, partager lors de colloque, oui, mais quand arrive le gros du sujet, la planification et la rédaction c’est tout autre chose.



Et puis, il y a toujours les associations féministes.

Animal social. Oui. Animal qui préfère travailler toute seule pour pouvoir faire les choses comme elle le veut, sans entendre aucune remarque, sans n’avoir aucun point de vue contraire. Plus encore. C’est certainement un défaut, mais Moon a passé l’âge de se poser la question. De toute manière, aujourd’hui, son travail ne regarde qu’elle et ses étudiants.



Après tout, pourquoi décourager Maya de faire la bonne chose. Ce n’est pas parce que Moon s’empêtre dans ses défauts qu’elle ne peut pas souligner les bonnes initiatives de son étudiante. C’est bien, d’être capable d’entendre les réflexions de ses pairs pour s’améliorer.



Moon a eu cette chance de très rarement avoir à la consulter, adolescente. Son chemin lui a semblé tout tracé.

Heureusement qu’il y a des professionnelles. Moon se sent bien démunie lorsque l’on parle d’autres métiers que ceux de l'audiovisuel. Si elle est excellente en sa matière, il lui manque bien les connaissances dans les autres matières. Bien sûr, elle connaît les rudiments de la sociologie - c’est même nécessaire, même en étude cinématographique -, mais elle n’a aucune idée des métiers relatifs à ces enseignements.

Certainement des associations ? De la politique ? Mais au Japon, pas certaine qu’une syndicaliste féministe trouve du travail.



Avec cette question, Moon ne se montre pas seulement curieuse et intéressée par le futur de son étudiante, elle compte aussi - et surtout - parfaire ses connaissances de la sociologie.



Enfin, simple. Elle a bien eu un premier métier, mais Moon ne compte pas s'épancher dessus aujourd’hui. Elle ne voudrait pas que Maya traîne sur internet pour regarder le triste historique de comédienne de la coréenne.



Mais elle ne s’en plaint pas le moins du monde. Moon est étonnamment mielleuse avec ses étudiants.

La trentenaire secoue la tête de droite à gauche. Triste, c’était surtout une manière de parler. Elle n’est pas triste de sa vie. En tous cas, pas de sa carrière. Au contraire, s'il y a bien quelque chose pour laquelle elle ressent de la fierté, c’est son travail.



C’est certainement l’une des raisons de passion. Le cinéma est un art multiple, qui est une synthèse à la fois d’arts visuels, sonores et écrits. Lorsque l’on étudie le cinéma, ou peut tout autant s’intéresser à sa forme qu’à son fond. Et c’est sans parler de toutes les études sociologiques et historiques !



Petite pensée à Shintaro. Il est le parfait exemple de l’étudiant volontaire, qui sait ce qu’il veut faire de sa vie, et qui se bat pour.