J'suis saoulé, ouais. Déjà que je n'ai pas un grand contrôle de mes émotions de façon générale, mais dans ces cas là, il ne faut pas s'attendre à ce que je sois capable du moindre effort pour ramener les échanges sur une pente moins raide. Pas tant que je serais dans cet état.

- "Même si je pouvais chanter à ta place tu peux toujours rêver pour que j'te mâche le travail !"

Bien sûr que tout est de sa faute ! Quand je bosse seul je n'ai jamais ce genre de problème.

- "Pas la peine de t'cacher derrière tes belles phrases toutes faites, je surestime rien du tout, j'ai des attentes ouais, normal, pas question que j'enregistre un truc qui ne me convient pas."

Pour surestimer quoi que ce soit, il aurait déjà fallu que je prenne la peine d'évaluer tout court. Alors, si, bien sûr que je me suis un minimum renseigné sur ce que je pouvais attendre ou non, et avec ce que je peux voir lors de nos heures en commun au club de musique, je savais très bien que ce ne serait pas facile. On n'a visiblement pas la même conception de la façon de "faire de la musique". Mais je crois que je ne me rendais pas compte des complications que cela allait impliquer jusqu'à maintenant.

Toute la tension accumulée au cours des longues minutes précédentes reste bien présente partout dans mon corps et m'empêche de mesurer le ton de ma voix qui réussi à se faire bien plus tranchant qu'à mon habitude.

- "J'croyais que t'avais au moins un minimum d'exigences mais on dirait que laisser faire les autres c'est plus facile. Sauf que moi j'suis pas ton serviteur ou j'sais pas comment t'appelles tes larbins, alors va falloir que tu t'démerdes avec ta partie !"

Ouais, je sais bien que je ne suis pas le mec le plus facile à vivre et bosser avec moi n'est pas toujours ce qu'il y a de plus simple mais eh, elle devait bien le savoir à l'avance avant d'accepter ! C'est pas comme si je lui avais déjà laissé croire l'inverse.

Qu'est-ce que j'en sais si elle fait des efforts ?! J'suis pas dans sa tête ! Mais de c'que j'vois, y a un truc qui m*rde c'est sûr, et le seul facteur extérieur pouvant expliquer ça, bah c'est elle ! En tout cas, elle ne parait pas vouloir accepter bien gentiment de laisser passer la critique. Non. En même temps je ne m'attendais pas à ce qu'elle s'excuse non plus. Je ne sais même pas si ça m'aurait aidé à évacuer toute la tension. Sûrement pas en fait. J'ai toujours eu besoin de m'énerver pour retrouver un état plus stable.

- "Laisse le en dehors de tout ça, il n'a rien à voir avec tout ce bordel !"

Ouais, c'est clair qu'une discussion avec mon frangin sera nécessaire après cette journée. De nouvelles règles semblant désormais s'imposer. Mais même quand il fait n'importe quoi, ça reste mon petit frère et je ne supporte pas d'entendre qui que ce soit l'accuser. Encore plus quand a priori, il n'a rien fait de mal. Alors forcément, mon ton se fait de nouveau un peu trop sec et mon regard qui n'a déjà rien de particulièrement engageant en temps normal devient encore plus noir.

- "C'est ça, continue à me traiter comme un gosse. En attendant, sans moi on n'en serait pas là. Alors ouais, j'suis vénère parce que ça marche pas, parce que ça fait déjà plusieurs heures qu'on est là, et que j'tiens suffisamment à c'que cette stupide collab aboutisse pour pas être capable de faire semblant à me cacher derrière une fausse retenue !"

Alors que les mots sortent sans que je n'ai le moindre contrôle dessus, mon poing se serre automatiquement, essayant malgré tout de contenir les excès de rage alimentés par cette discussion. Mais comme toujours, après la montée en flèche de mon rythme cardiaque et du bouillonnement intérieur, c'est la libération, et ça, ça fait du bien. Faut pas non plus espérer que je devienne d'un coup doux comme un agneau, mais j'arrive à prendre une grande inspiration qui doit réoxygéner correctement tout l'organisme.

- "Bien sûr qu'on va s'y remettre. Mais va falloir procéder différement."

Mon cœur cogne toujours un peu trop fort dans ma poitrine sous le coup de mes émotions qui m'échappent une fois de plus, et ma mâchoire n'a pas encore réussi à se décrisper, mais il n'est évidemment pas question que je baisse les bras pour si peu. Non, c'est juste que j'avais besoin d'une petite pause explicative, rien de plus.

Tient, on dirait que miss Exemplaire se laisse aller à exprimer son mécontentement. Non pas que ça me dérange particulièrement. Au contraire. C'est juste qu'il ne faut pas s'attendre à ce que je lui adresse de grands sourires pour autant. Je peux bien me disputer avec elle, ce n'est pas ce qui va me poser problème. D'ailleurs, ce ne sera pas la première fois.

- "Ouais, c'est clair que si j'avais un mode d'emploi pour savoir comment te gérer, ce serait beaucoup plus facile de trouver les solutions, mais tu sais quoi, c'est pas l'cas ! J'ai pas eu de profs particuliers pour m'apprendre à manipuler correctement ses employés, alors peut-être que j'ai pas de supers plans bien ficelés à te présenter pour te rassurer, c'est vrai. Il faudra te contenter de nouveaux essais et probablement des échecs qui iront avec, parce que c'est la seule façon d'avancer que j'connaisse !"

Bah voilà, forcément que je recommence à m'énerver. Mais comment je peux rester calme dans ce genre de circonstances aussi ?! Le ton de ma voix qui remonte un peu trop fort est assez caractéristique de l'état dans lequel je me trouve actuellement, si les traits de mon visage déjà crispés n'étaient pas suffisamment évocateurs.

- "Et j'crois pas qu'il ait été question que ce soit à moi de tout gérer ! T'es pas dispensée de réfléchir à une solution pour nous sortir de ce merdier ! Ce sera beaucoup plus utile que de jouer à la plus maligne !"

Parce qu'il n'est pas question d'abandonner pour autant. Rah non mais c'est vrai, si elle voulait vraiment ne pas s'impliquer plus que ça, elle aurait aussi bien fait de le spécifier dès le début. Je lui aurais envoyé les instructions, on aurait bossé chacun de notre côté et il n'y aurait eu besoin que de quelques minutes de video ! Ça aurait sûrement été beaucoup plus simple que de devoir supporter tout ça !

Bah voilà, maintenant c'est moi qui comprends de travers ! C'est un peu facile tout ça. De toute façon, va bien falloir que je m'y habitue. Avec elle, c'est clair que j'aurais toujours le rôle du méchant. Oui, peut-être que c'est un rôle auquel je suis un peu habitué en fait, mais ça reste relou ! Parce que moi, je suis incapable de contenir ce débordement d'émotions.

Un soupire plus tard et un retour relatif au calme, je me fais malgré tout violence pour tenter de raccrocher aux paroles qu'elle peut prononcer. Et comment je suis censé l'aider ? C'est pas comme si j'avais un diplôme d'enseignant. Cela dit, je dois bien avouer qu'avec un tel discours, c'est compliqué de continuer à m'énerver contre elle. Et pourtant, je crois qu'une partie de moi en aurait bien envie quand même. Mais comme je n'ai pas l'intention de vérifier si elle est vraiment capable de passer la nuit ici, il va peut-être être temps de passer à la suite.

- "C'est pas une question de niveau, c'est juste que..."

Dans ma tête, ça sonne d'une façon spécifique, qu'on peut atteindre, je le sais, mais je n'arrive pas à la choper. Et évidemment, je ne peux pas lui transmettre directement cette version qui n'existe actuellement que quelque part dans la zone de mon cerveau qui gère tout ce qui touche à la musique. Mais je ne peux clairement pas le dire comme ça.

- "J'en sais rien, ça marche pas comme je veux et ça me gonfle."

Oui, voilà, ça résume tout aussi bien la situation. En tout cas, elle a beau dire que se disputer ne nous fait pas avancer, moi, ça me fait quand même du bien. Je me sens beaucoup moins tendu pour reprendre le boulot. Et essayer de réfléchir au meilleur moyen d'en finir avec l'enregistrement des voix. Mes doigts tapotent rapidement le bord de la table basse où repose mon pc tout en essayant de trouver un autre moyen de procéder. Après quelques secondes à tenter de saisir le fond du problème, je modifie quelques branchements et m'installe finalement derrière le synthé auquel je n'ai pas touché depuis un moment maintenant.

- "On va bosser ce passage autrement. Je vais reprendre directement la mélodie et t'auras qu'à essayer de te calquer sur les notes. Mais va falloir que tu te lâches un peu plus. C'est une chanson qui demande d'envoyer c'qu'il y a au fond. La musique est minimaliste pour laisser toute la place aux paroles, c'est pas pour rester sur la retenue. Vaut mieux prendre le risque de faire de fausses notes parce qu'on perd le contrôle et bosser là dessus que de rester dans sa zone de confort et ne pas être capable de décoller."

J'essaie tant bien que mal de mettre des mots sur ce qui me parait pourtant être une évidence. Mais j'ai déjà pu remarquer qu'on ne fonctionne pas du tout de la même façon.

J'aurais pu partir sur une version avec beaucoup plus d'instruments, un fond bien plus rempli qui offrirait une possibilité de moindre exigence vis à vis de ce qu'expriment les voix. Mais ce n'est clairement pas de cette façon que j'envisage le concept d'une collaboration. Alors tant pis si on doit galérer. Et s'engueuler.

Je commence à jouer comme annoncé, méthode bien plus claire pour exprimer la façon dont j'entends les choses. Emily se saisi assez rapidement des quelques variations à apporter pourtant, ce n'est toujours pas ça. Je ne dis rien, la laissant s'approprier les dernières modifications, reprenant plusieurs fois la partie, jusqu'à ce qu'un vrai changement s'opère. Je ne sais pas d'où ça vient et ce n'est pas ce qui m'intéresse. Ce n'est pas quelque chose qui peut s'expliquer avec de simples mots. C'est plus une notion de ressenti.

A cet instant, je relève les yeux vers Emily et c'est avec un certain contentement que je me rends compte que son expression aussi à changé. Je continue de l'accompagner, jusqu'à ce qu'on vienne à bout de cet énième essai. Cette fois, je n'enchaine pas, mais je me recule légèrement, un sourire satisfait affiché. De toute façon, j'imagine assez bien qu'après l'effort qu'elle vient de fournir elle ne va pas pouvoir reprendre immédiatement.

- "Eh bah, là c'est quand même autre chose !"

Oublié mon air contrarié, je vois enfin les choses avancer ce qui a de quoi me rassurer. Bien sûr qu'elle a une jolie voix et que tout ce qu'elle proposait jusque là aurait eu de quoi satisfaire la grande majorité des auditeurs. Si ça n'avait pas été le cas, je me serais probablement arrangé pour m'éviter cette journée de l'enfer. Mais je ne suis pas du genre à me satisfaire du minimum quand je sais que je peux avoir mieux. Et là, je crois qu'on a atteint l'objectif.

- "T'as senti la différence quand même entre ça" Je lance l'un des précédents enregistrements pour lui refaire écouter l'une des anciennes versions les plus proches musicalement de ce qu'elle vient de faire. Puis, une fois ce premier replay terminé, je lance le dernier enregistrement. "Et ça ?"

Je veux bien que je ne sois pas toujours clair dans mes explications, que la communication ne soit pas mon point fort, mais je pense quand même que n'importe qui est capable de faire la différence. A mon sens, la musique n'est pas qu'une question de performance technique, mais repose davantage sur le ressenti. Alors forcément, c'est beaucoup plus difficile à exprimer. Et là, j'ai enfin réussi à être vraiment captivé par sa voix.

C'est assez bizarre comme situation. Pour un peu, je croirais presque voir une autre personne. Toute cette distance et cette parfaite maîtrise qu'elle affiche si bien semblent avoir été remplacées par autre chose. Et ce n'est plus du tout la même impression qui se dégage d'elle. Je me doute bien que pour qu'un tel changement se soit opéré dans sa façon de chanter, c'est que quelque chose de plus profond a dû se passer, mais n'ayant jamais été confronté à ce problème, c'est assez difficile pour moi d'en saisir les réelles implications. Tout ce que je sais, c'est que je préfère largement ce que je vois actuellement.

En entendant sa remarque sur sa performance, je laisse échapper une expiration qui pourrait s'apparenter à une ébauche de rire. Vraiment trop bizarre.

- "J'vois pas c'qu'il y a de si dur à croire. T'as toutes les bases alors, à moins que tu ne sois en réalité un robot, bien sûr que tu peux chanter de cette façon."

Ce qui est plus compliqué à croire ce serait qu'elle ait une moins bonne appréciation de ses compétences que ce moi je pourrais lui prêter. Ce n'est pas comme si elle était ce genre de meuf qui manque de confiance en elle et passe son temps à se rabaisser. En tout cas ce qui est sûr, c'est que là tout de suite, elle n'est pas en état de poursuivre le boulot.

- "Tu devrais faire une pause. Va te prendre un truc à boire, sors un peu. J'ai de quoi faire pour avancer de toute façon, prends le temps."

Pour ce qui est du chant, j'ai désormais tout ce qu'il me faut pour monter quelque chose de cool. Il ne nous restera plus qu'à enregistrer la partie introductive de la video. Cette partie précisément où il vaudrait mieux que nos désaccords habituels ne transparaissent pas.

Ok, je ne m'attendais pas forcément à ce qu'elle me propose de me ramener quoi que ce soit. En fait, je n'avais juste pas envisagé cette possibilité. Mon esprit était bien plus accaparé par des questions de montage que de boisson. Il me faut donc quelques secondes pour capter qu'elle attend une réponse et lui demander la première chose qui me traverse l'esprit.

Quand Emily sort de la pièce, il ne me faut pas plus de temps pour revenir me concentrer sur la suite. Ce n'est sûrement pas parce que l'ambiance était plus lourde qu'un soir d'orage que je vais en être affecté. Je dois avoir un peu trop l'habitude et me plonger dans la musique a toujours eu tendance à m'apaiser. Je passe rapidement à l'enregistrement des percussions, ce qui ne me prend que quelques minutes. C'est à dire qu'à force de bosser sur cette chanson, j'ai déjà une idée très précise des ajouts de rythmique à apporter et leur donner vie n'est pas bien compliqué.

Je suis donc installé sur le canapé, pc sur les genoux, occupé à faire du tri dans tout ce qu'on a enregistré depuis le début de cet après midi (et mine de rien ça commence à faire beaucoup) quand la porte s'ouvre à nouveau. Je lève juste les yeux pour apercevoir Emily (non mais on ne sait jamais, des fois que ce soit quelqu'un d'autre ce serait relou) et continue à ajuster la partie sur laquelle je suis en train de bosser.

- "Merci."

Un merci qui sonne peut-être assez creux mais que je prends quand même la peine de formuler. Bah ouais, elle n'était pas obligée de me ramener quoi que ce soit, j'en ai bien conscience. Et je dois admettre qu'après tout ce temps passé enfermé, une dose de sucre n'est pas de refus.

- "Pour la musique on est bons, on a tous les enregistrements qu'il faut. Il ne reste plus que l'intro de la vidéo."

J'ouvre la bouteille de limonade et en boit une gorgée tout en réfléchissant. Habituellement, il ne s'agit que d'une simple formalité, mais là, j'avoue que je n'ai pas la moindre idée de comment je peux faire pour trouver une façon qui fasse à la fois naturelle et sympa pour qu'on présente ensemble cette nouvelle collab. Ce n'est pas franchement comme si la bonne ambiance avait été de mise tout au long des heures précédentes.

- "Comment on est sensés faire semblant ?"

Cette question qui n'est une fois de plus pas forcément posée de la meilleure façon qui soit exprime pourtant parfaitement le flou face auquel je suis actuellement. Et sur ce coup là, je dois admettre que Emily aura probablement plus de réponses.

Je grimace un peu quand elle parle de mon jeu d'acteur. Pas tant parce que je pourrais dire le contraire (je sais très bien que quand quelque chose me gonfle je suis incapable de le cacher) mais cette façon mielleuse de présenter les choses qui revient, ça pourrait me filer la gerbe. La pause a dû lui rendre ses sales manies au passage. Mais comme on dirait qu'elle a quelque chose d'intéressant à proposer, je fais l'effort d'écouter la suite.

Et je dois admettre que je suis étrangement assez d'accord avec ce qu'elle raconte. Je l'observe tout en réfléchissant à une traduction concrète de cette proposition.

- "Ok. L'impro ça me plait bien. Pas de script, on y va en one shot et on voit c'que ça donne."

Oui, c'est ce que ça veut dire non ? Je m'étire avant de me relever du canapé et cette fois, c'est la caméra de mon téléphone que j'active. Je le repose sur l'une des étagères à bonne hauteur, le mode selfie d'activé pour être sûr d'être correctement cadré. Je préfère cet outil quand il s'agit de parler face à la caméra, c'est plus facile de se rendre compte de ce que ça donne (et si rejouer un grand nombre de fois une musique pour qu'elle soit nickel ne me dérange pas, pour ce qui est de cette partie, je préfère l'expédier au plus vite).

J'améliore vite fait les réglages de base pour que le rendu ne soit pas bidon (je ne comprends toujours pas les paramètres de base sur les téléphones) et lance la video, ce qui nous permet de prendre le temps de nous éloigner correctement pour être à bonne distance (ce n'est pas parce que c'est du one shot que je ne couperai rien à la fin). J'attends que Emily paraisse prête et... Faut bien se lancer. Regard face à la caméra et c'est avec cette même attitude décontract' que j'ai sur la plupart de mes videos que je me lance.

- "Vous savez quel est est le meilleur moyen de terminer la semaine ? Avec une nouvelle collab ! Et aujourd'hui, c'est Emily Nakamura qui est ravie d'avoir pu passer des heeeeures en ma compagnie !"

Je tourne la tête instinctivement vers Emily dans un signal assez explicite pour lui laisser la suite. C'est vrai que c'est assez facile de parler comme je le ferai d'habitude en fait. D'ailleurs, quand je suis dans une telle situation, mon attitude se fait plus facilement "blagueuse" que "moqueuse", ce qui contribue très probablement à ce que mon capital sympathie sur le net soit bien plus élevé que irl. Sûrement parce que je me sens moins concerné quand tout passe par le biais d'un écran.

Je n'ai aucune idée de ce dans quoi je m'engage mais là, je décide de ne réfléchir à rien et de me contenter de réagir instinctivement. Un peu comme je fais d'habitude en fait. Sauf qu'avec les autres personnes avec qui j'ai déjà pu faire des collabs, on n'avait pas vraiment le même passif. C'était sûrement un peu plus simple. Parce que là, je dois quand même me faire un minimum violence pour ne pas chercher les sous-entendus négatifs. En tout cas, ça doit plutôt bien marcher, puisqu'on arrive à boucler l'intro en une fois, sans se disputer. Alors oui, ça n'a vraiment pas pris longtemps, mais c'est déjà une petite victoire.

- "Ça m'étonnerait qu'on arrive à obtenir mieux."

Non, en fait c'est même sûr que si on commence à vouloir la refaire ça risque juste d'empirer à mesure des nouveaux essais. Par acquis de conscience je lance quand même l'enregistrement pour qu'on puisse le visionner, s'assurer qu'il n'y a pas eu quoi que ce soit qu'on aurait raté et qui nécessiterait malgré tout de recommencer.

- "Eh bah, ça aura été chaotique, mais on dirait qu'on a réussi à venir à bout du programme de la journée."

Je branche mon téléphone sur le pc pour transférer ce qui vient d'être enregistré, avant de faire la même manip pour la caméra qui a tourné en non stop. On ne sait jamais, mieux vaut être trop prudent. J'en profite pour terminer ma limonade, puis jette un regard de dépit sur le reste de la salle. Parce que c'est cool, on a s'en est sortis, mais ça veut aussi dire devoir tout ranger et alors là, c'est clairement la partie qui me hype le moins.

- "Faut que j'aille fumer."

Bien sûr que je ne lui propose pas de m'accompagner. Déjà, ce serait bizarre, ensuite, c'est pas forcément ce qu'il y a de plus agréable pour un non fumeur. Enfin, je ne sais pas trop quelles sont ses habitudes en la matière, mais j'imagine assez facilement qu'une fille de bonne famille ne peut se permettre d'approcher un tel produit. Sauf que moi, j'ai besoin d'un break avant de me lancer dans la tâche finale de tout travail.

J'ai un léger sourire en coin quand Emily fait état de notre survie. Sans aller jusqu'à commettre un meurtre, il est vrai que j'avais un peu peur de ne pas réussir à me maîtriser en venant ici. Et si on ne peut pas dire que tout ait été fluide du début à la fin sans le moindre accroc, le mobilier est intact et aucun de nous deux n'a claqué la porte avant de se barrer (même si je crois qu'on est tous les deux trop bornés et fiers pour ça).

Je redescends pour prendre l'air après toutes ces heures enfermées, tout ça pour allumer en suivant une clope qui a tout de même le mérite de me faire redescendre en pression. Je ne suis pas vraiment un gros fumeur dans le sens où je n'ai pas besoin d'en griller une toutes les heures (sauf en soirée mais c'est pas pareil) mais je ne suis pas pour autant capable de m'en passer complètement (et c'est relou j'sais bien). En tout cas, après ces quelques minutes passées jusqu'à ce que je ne me retrouve plus qu'avec un mégot entre les doigts, j'ai au moins l'impression d'être beaucoup plus serein quand je rentre à nouveau.

Je pousse la porte de la pièce pièce investie et je trouve Emily affalée sur le canapé, visiblement assoupie. Je fronce légèrement les sourcils, étonné de la voir ainsi. Ce n'est pas franchement ce à quoi elle m'a habitué. Mais avec l'après midi qu'on vient de passer, j'imagine que n'importe qui serait épuisé. On ne peut pas dire que je vienne de passer les heures les plus agréables de ma vie, mais je dois admettre que ce que j'ai pu voir d'elle aujourd'hui était quand même plus intéressant que dans mes pires scenarios. C'est peut-être vrai que si ça n'a pas été un fiasco total, c'est aussi parce qu'elle a su y mettre du sien.

Sans rien dire je me dirige vers la table de mixage pour tout éteindre et commencer à débranche chaque instrument, sans pour autant faire gaffe à être particulièrement discret. Eh, c'est pas parce que je ne l'ai pas secouée direct en entrant que je compte la laisser pioncer tranquille pendant que je me tape tout le sale boulot ! De toute façon, je crois commencer à comprendre qu'elle a beau avoir un train de vie qui doit lui éviter ce genre de tâches, elle ne cherche pas pour autant à les éviter à tout prix. Pas avec moi en tout cas.

- "On fini de tout remballer et on s'tire d'ici ?"

Une question qui sonne davantage comme une affirmation en fait, que je pose sans vraiment la regarder, continuant à enrouler les câbles.

Je lève tout juste les yeux vers Emily lorsqu'elle me répond. Simple automatisme. Est-ce que je peux avoir mauvaise conscience de la forcer à sortir du sommeil comme ça ? Non, je suis sûr qu'elle va bientôt pouvoir trouver bien plus confortable que ce canapé pour se remettre de cette journée. Et puis je ne compte pas les fois où j'ai cru mourir pendant les heures de danse à enchainer les exos qu'elle peut donner (non je n'exagère pas) alors pour une fois que c'est moi qui ai le rôle du bourreau, je ne vais pas me priver !

On ne peut pas dire que je sois ultra efficace dans le rangement (ça me gonfle et c'est sûrement un peu trop visible) mais petit à petit tout retourne dans ses sacs et il ne reste plus que la partie finale. J'acquiesce quand Emily mentionne les quelques voyages qui nous attendent. J'aurais pu lui épargner cette partie en vrai (j'ai plutôt l'habitude quand même) mais... Je ne sais pas pourquoi, l'imaginer avec un air victorieux si je lui proposais de m'en charger seul, ça m'agacerait au plus haut point. Alors je ne prends pas le risque et nous revoilà repartis à vider partiellement la salle (et remplir ma voiture).

Quand on est de retour après un énième voyage, je récupère les dernières affaires à moi qui trainent, à savoir, mes fringues (ouais je lui rendrai celles que je porte actuellement une fois que je les aurai lavées, ça me parait bien plus correct). Ce qui me fait assez machinalement poser les yeux sur le portique avec toute la panoplie de tenues qu'elle m'a présenté en début d'après midi.

- "J'imagine qu'il y a des... Gens, qui vont venir s'occuper de tout ça ?"

Ok, je n'ai pas la moindre idée de comment ça se passe pour elle. Parce que d'habitude, chacun débarque avec son matos, on monte et démonte tout ensemble puis on va se prendre un verre ou à la rigueur chacun repart de son côté. Mais quand je suis arrivé (à l'heure prévue) Emily attendait simplement et tout était déjà en place. Alors ouais, j'ai du mal à l'imaginer tout avoir installé elle-même, mais je ne suis pas non plus un c*nnard fini. Je ne vais pas me barrer et la laisser en plan sans m'assurer un minimum qu'elle ne va pas se retrouver en galère (même si une fois de plus, j'ai de gros doutes sur le fait qu'elle ait un jour expérimenté cette sensation). On ne peut pas dire qu'on s'entende particulièrement bien, mais je n'en suis pas au point des coups bas (de toute façon ça exige trop de subtilité cette discipline).

Une légère moue embêtée s'affiche quelques secondes sur mon visage quand Emily m'indique devoir emballer tout ce qui se trouve encore dans la salle. Si on a viré une bonne partie du bazar ramené, il faut avouer qu'il y a pas mal de fringues qui trainent encore sur ses portiques et... J'imagine que c'est assez laborieux comme tâche. Mais mon air habituel revient bien vite lorsqu'elle mentionne son ressenti face à cet après midi.

Après un nouveau court laps de temps à l'observer emballer tous ces vêtements, c'est cette fois sans un soupire que je décide de m'approcher pour l'aider (en me positionnant tout de même à l'opposé de l'endroit où elle se trouve).

- "Je ne compte pas les garder. Je te les ramènerai une fois lavés."

Ce n'est pas franchement le style de fringues que je porte habituellement, mais surtout, ils me rappelleraient sûrement beaucoup trop ces quelques heures qui viennent de s'écouler et ce serait hyper bizarre. Et puis, je n'ai pas besoin d'aide pour me trouver des fringues.

Je ne suis clairement pas aussi efficace que Emily pour ce qui est du rangement de tous ces vêtements, mais après quelques chemises remises tant bien que mal dans leur housse, je commence à prendre le coup de main. A peu près. Et une fois de plus, ce travail de rangement ne se fait pas au milieu de grandes conversations. De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais la moindre idée de quoi parler avec elle. Comme avec n'importe qui d'autre en fait.

- "Ce n'était pas aussi désagréable que ce que j'avais envisagé pour moi non plus. Enfin, on s'en est plutôt bien sorti, je crois que c'est le principal."

Une fois la plus grande partie de ce qu'elle avait ramené soigneusement emballée, je finis par lâcher cette pseudo réponse qui me tournait en tête depuis un moment. Et qui arrive bien trop tard pour pouvoir être considérée comme une réponse. De toute façon, ça me fait suffisamment bizarre de prononcer de tels mots pour ne pas avoir l'intention de m'éterniser davantage.

- "Bon, j'te laisse."

Ouais, je ne suis pas non plus très doué pour ce qui est de la meilleure façon de dire au revoir. Genre, trouver une bonne excuse ou une phrase sympa pour accompagner le tout, je ne sais pas faire.

- "Tchao."

C'est sûrement la meilleure façon dont je puisse conclure cette journée.